Nabil Kalboussi, ancien capitaine de l’USM

«L’importance des choix gagnants de Benzarti»

Sur les balles arrêtées, Nabil Kalboussi savait exprimer une classe insolente. En 1984-85, cela a failli lui valoir d’inscrire son nom au palmarès des meilleurs buteurs de notre championnat, terminant juste derrière le Cotiste Faouzi Henchiri. Mais il ne faudrait pas qu’un tel exploit éclipse l’essentiel, à savoir douze saisons (1980-1992) de rendement régulier, généreux et altruiste en faveur de son club de toujours, l’Union Sportive Monastirienne.

«De par mon statut de capitaine d’équipe, notre entraîneur Si Faouzi (Benzarti) me faisait confiance en tant que relais entre lui et les joueurs, raconte-t-il. Il a innové en installant le pressing, et exigeait de nous, gardien de but compris, une implication totale dans le jeu. Il voit très loin et éprouve à chaque instant le besoin de bénéficier de l’adhésion totale de tous ses joueurs».

«D’ailleurs, ce n’est pas faire injure aux autres coachs que j’ai connus, les Bathenay, Ameur Hizem, Rado, Chteline, Zouba… que de dire qu’ils étaient un cran derrière Benzarti», témoigne celui qui compta un frère, Kamel, à ses côtés sous la bannière «Bleu et Blanc».

Nabil Kalboussi, vous êtes connu pour votre adresse diabolique sur les balles arrêtées. D’où vous vient cette science des coups francs et des corners ?

Tout jeune, notre entraîneur Lotfi Benzarti me prenait tout seul à la fin de chaque séance d’entraînement pour un «supplément» consacré au travail des gestes les plus délicats et les plus importants, dont justement les balles arrêtées. Que ce soit sur corner ou sur coup franc, j’étais le spécialiste : tirs croisés, brossés, passes décisives, tout y passait. Si Lotfi m’a appris les mille et un secrets du lob. Tout est question de personnalité et de confiance. Quand je prends la balle au point du coup franc, je me dis que je vais la mettre dedans. Confiance, prise de risques maximale, effet de suggestion: le facteur mental compte énormément. J’étais capitaine et leader du groupe. Il y a par contre des joueurs qui manquent de confiance. Dès que vous leur demandez de jouer un coup franc à la limite des 16,50 m, c’est comme si vous leur aviez mis une grenade entre les mains. Si mon coéquipier Adnène Laâjili a pu terminer meilleur buteur du championnat national 1986-87 avec 14 réalisations, c’est en grande partie grâce à mes assists, sept ou huit cette année-là, je crois.

Comment êtes-vous venu au football ?

L’entraîneur des minimes, Hedi Merchaoui, m’a repéré dans un match de quartiers. En 1976, alors que j’étais minime, j’ai signé ma première licence en faveur de l’Union Sportive Monastirienne. Et c’est Lotfi Benzarti qui m’a promu avec les seniors. Je venais d’inscrire trois buts dans un match juniors perdu (5-3) contre l’Espérance de Tunis au Zouiten. Notre président Abdelwahab Abdallah, qui assistait au match, a demandé à l’entraîneur ce que je faisais encore avec les juniors.
Il a demandé à ce que je sois promu parmi les seniors.

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le sport de haut niveau?

Non. Mon père Néji, menuisier ébéniste à Sousse, n’aimait pas le foot que j’ai pratiqué, du moins au début, à son insu. Je faisais le trajet jusqu’au stade à pied puisque j’habite au quartier Stah Jabeur, au centre-ville, près de la plage. Jusqu’au jour où les amis de mon père à Sousse lui parlèrent de moi car j’évoluais désormais dans la catégorie seniors. Il en devint fier. Un jour, il me demanda même de l’emmener au stade pour me voir jouer. Eh bien, il n’a rien compris tellement il était myope. Quant à ma mère Zohra, elle me couvait. Nous étions neuf dans la famille : sept garçons, et deux filles, et tous des sportifs. Ridha, décédé il y a quatre ans, a évolué à la fin des années 1960 avec les Merchaoui, Ali Sekma, Mahfoudh Benzarti… Kamel et Samir ont appartenu à la Sogitex Monastir. Par la suite, Kamel allait jouer durant trois ans avec moi à l’USM.

Est-ce un avantage de compter un frère à ses côtés ?

Pas vraiment. Kamel était mon aîné de huit ans. On ressent une certaine gêne vis-à-vis d’un frère aîné : dans les vestiaires, à l’hôtel… Eh bien, lorsque Faouzi Benzarti me confie le poste de pivot, je remplace en cours de jeu justement mon frère Kamel. Il était très athlétique. C’était contre l’EST, nous l’avions emporté (4-1), dont deux buts de Kamel.

Avez-vous toujours été pivot ?

J’ai toujours évolué au milieu du terrain. Alors que j’étais régisseur, notre entraîneur Amor Dhib m’a demandé un jour, contre le Club Africain, de faire le pivot afin de marquer de près Lotfi Rouissi. A vrai dire, je n’étais pas très chaud pour le faire. Eh bien, on a pris trois buts. Mais c’est Faouzi Benzarti qui m’a définitivement convaincu d’évoluer en tant que demi défensif. «Vous ne devez pas laisser passer votre adversaire. S’il le faut, vous le descendez, même si c’est votre coéquipier !», m’a-t-il prévenu en rigolant. Comme j’étais du genre à appliquer scrupuleusement les consignes, eh bien je ne m’étais point gêné pour investir dans mon jeu un féroce engagement total.

Quel genre de stratège était Faouzi Benzarti ?

En fait, j’ai connu plusieurs entraîneurs. Chez les jeunes, Hédi Merchaoui, un grand éducateur, Hédi Gdouda, Lotfi Benzarti qui m’a lancé dans le grand bain. Chez les seniors, les Allemands Dieter Schulte, Gerhard Wolfgang et Manfred Honer, l’Algérien Abdelhamid Zouba, les Français Jean-Pierre Brucato et Dominique Bathenay, Ameur Hizem, le Yougoslave Radojica Radojicic, le Russe Alexandre Chteline… Mais c’est incontestablement Faouzi Benzarti qui m’a marqué le plus. C’est le meilleur. D’ailleurs, ce n’est pas faire injure aux autres coachs que j’ai connus que de dire qu’ils étaient un cran derrière F.Benzarti qui m’a vite fait confiance en tant que relais entre lui et les joueurs puisque j’étais capitaine. Il a innové en installant le pressing, et exigeait de nous, gardien de but compris, une implication totale dans l’action. Ce technicien voit très loin, et éprouve à chaque instant le besoin de sentir une adhésion totale de la part de ses joueurs. Il s’énerve rapidement. Constatant que nous peinons à appliquer son pressing, il tranche en nous lançant : «Ce que fait votre capitaine Kalboussi, eh bien, vous l’appliquez. Vous devez l’imiter, c’est tout !». En effet, parfois, on a l’impression qu’il exige du joueur davantage que ce que celui-ci peut faire. Peut-être ne réussit-il pas toujours à communiquer ses idées. Toutefois, ses choix sont gagnants, et cela a beaucoup d’importance pour grandir aux yeux de ses joueurs. Il sait emporter la sympathie des joueurs qu’il aime vraiment. Si l’un d’eux se trouve dans le besoin, il n’hésite pas à lui donner de son propre argent. Sur le terrain, il devient toutefois fort exigeant. On ne le reconnaît plus tellement il s’emporte, s’énerve et s’excite parfois bien au-delà du raisonnable.

N’avez-vous jamais eu envie de l’imiter en caressant une carrière d’entraîneur ?

Si. Par la suite, j’ai du reste regretté de n’avoir pas embrassé une carrière de technicien. Nous devions suivre, notre latéral droit Habib Bouzgarrou et moi-même, un stage de formation d’entraîneurs à l’Institut des sports de Sfax. Toutefois, Habib y a renoncé au tout dernier moment. Il était du genre qu’on ne dérange pas facilement. Pourtant, cela aurait pu constituer le point de départ d’une carrière d’entraîneur. Et qui sait ?

Avez-vous jamais été dirigeant ?

A deux reprises. D’abord, en 1995-96, lorsque le club a chuté en division 3. Les Monastiriens ont abandonné leur club. De dépit, certains étaient allés jusqu’à appeler à dissoudre la section football. Il faut dire que Habib Allègue a eu le courage de présider l’USM à un moment aussi pénible. Les anciens joueurs étaient revenus l’aider dans cette tâche ingrate. Nous avons commencé par installer une bonne ambiance, et lancer dans le grand bain les enfants du club, dont Jawhar Mnari. L’entraîneur Salah Gueddiche a rajeuni l’effectif. Bref, nous avons relevé le défi, faisant revenir l’USM en L1 en à peine trois saisons. J’étais revenu une autre fois lorsque le club sortait d’une phase aller désastreuse. Abdelwahab Abdallah donnait alors les consignes à partir de Tunis. Sans être officiellement président du club.

Vous rappelez-vous votre meilleur match ?

Oui, face au Stade Tunisien (victoire 3-1). J’ai inscrit des 30 mètres un très joli but qui sera choisi troisième meilleur but de la saison après ceux d’Adel Sellimi contre le CAB, et de Zoubeir Beya.

Quel est votre meilleur souvenir ?

Notre victoire (1-0) à Sfax contre le SRS dans un match capital pour notre maintien.

Et le plus mauvais ?

J’allais être convoqué en sélection par Youssef Zouaoui qui a même demandé à mon coéquipier Habib Bouzgarrou de m’avertir afin que je me prépare pour une prochaine convocation. Malheureusement, j’ai été expulsé quelques jours plus tôt par Naceur Kraiem dans un match contre l’EST. Nous menions alors (1-0). Ali Ben Neji n’arrêtait pas de me tirer par le maillot. Enervé, je lui ai asséné un coup de coude. Cela m’a valu une suspension de cinq matches. Adieu mes rêves de sélection !

Quelle était votre idole ?

Tarek Dhiab. J’ai joué contre lui durant quatre ou cinq saisons. C’était le moteur de l’Espérance de Tunis qui dégageait beaucoup de confiance et de sérénité et savait communiquer ces qualités à ses copains.

A votre avis, quel est le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?

Hamadi Agrebi. Malheureusement, je n’ai pas beaucoup joué contre lui. En 1987-88, nous devions jouer contre le CS Sfaxien dans un stade Mhiri archicomble. Tout le monde était là pour voir Agrebi qui venait de renoncer à prendre sa retraite. Notre entraîneur Amor Dhib me demande de le marquer. Eh bien, chaque fois où il prend le ballon, il me faut laisser trois ou quatre mètres de distance avec lui. Autrement, bonjour les dégâts ! Il vous rend la risée des spectateurs tellement il est techniquement capable des gestes les plus incroyables.

Et le meilleur joueur de l’histoire de l’USM ?

Bouraoui Jemmali. Il faut dire que je n’ai pas vu jouer les Mahfoudh Benzarti ou Nouri Hlila dont on cite souvent le nom. Par contre, Jemmali, je le connais suffisamment.

Au bout du compte, que vous a donné l’USM ?

Financièrement, pas grand’chose. Notre prime la plus importante a été de l’ordre d’un millier de dinars, perçue pour toute l’opération maintien. Il nous fallait gagner nos quatre derniers matches pour échapper au purgatoire. Eh bien, nous l’avons fait: victoires 3-2 à Béja, 1-0 contre le SRS à Sfax, 2-0 face à l’ESS et 5-3 devant le COT. Mais l’USM m’a donné une chose qui ne s’achète pas: l’amour des gens qui apprécient chez nous tant de générosité et de don de soi. Nous avons énormément sacrifié. Faouzi Benzarti nous soumettait régulièrement à de longs rassemblements d’une dizaine de jours à Jebel El Oust, un coin qui ressemblait alors au bout du monde. Une fois, alors que nous luttions pour le maintien, nous avons perdu contre l’ESS à Sousse (3-1). Je n’étais pas en forme, ce qui peut arriver à tout le monde. De dépit, Benzarti a démissionné. Néjib Kahna, Jalel Maghrebi et moi-même étions allés chez lui pour le convaincre de revenir. Il venait de se marier. Je me rappelle qu’il a pleuré à chaudes larmes, accédant finalement à notre demande. Une autre fois, la rumeur a enflé à Monastir: elle laissait entendre qu’on nous a vus à Sousse dîner, notre gardien Mhalla et moi-même avec Abdelmajid Chetali et Faouzi Benzarti, qui était alors à la tête de l’ESS. Nous avons perdu (2-1). Mhalla a pris un but entre les jambes. On nous accusés d’avoir «vendu» le match. J’ai dû raccrocher à 29 ans à cause de ces bobards vraiment ingrats. Dieu merci, j’ai tout donné à mon club. Durant mes 12 ans de carrière avec les seniors, l’USM n’a jamais connu la relégation en L2.

Que faites-vous dans la vie ?

Je suis agent de Tunisair depuis 1982. Bientôt, je prends ma retraite.

Parlez-nous de votre famille…

En 1987, j’ai épousé Henda, qui est la cousine de feu Moncef Tabka, notre ancien keeper international. Nous avons deux enfants : Ahmed, 31 ans, commerçant et qui a joué jusqu’à la catégorie écoles avec l’USM, et Yosr, 25 ans.

Quels sont vos hobbies ?

J’ai un faible pour les bagnoles. J’ai même ouvert une agence de location de voitures, puis, avec un ami, une salle d’exposition de voitures. J’aime aussi suivre le foot européen sans avoir vraiment un club préféré. J’aime le beau jeu, c’est tout. Je regarde les chaînes de télévision françaises. Je joue de temps en temps avec les anciens de l’USM des parties de sixte.

Que signifie pour vous l’argent ?

Un moyen indispensable pour vivre décemment, mais cela n’a jamais été un but.

La beauté ?

Dieu aime le beau.

Le bonheur ?

Je l’éprouve dans une foi sincère.

La santé ?

La chose la plus importante dans la vie. Seul Dieu peut nous la procurer.

Et la culture ?

Un précieux capital pour comprendre le monde et le vrai sens de la vie.

Enfin, un regret ?

Un seul, celui de ne pas avoir poussé mes études un peu plus loin. Pourtant, à l’école, j’étais très brillant. Certes, il est difficile de concilier études et football de haut niveau. Toutefois, cela réussit à certains, par exemple mes coéquipiers Othmane Kallala qui est pilote, et Khaled Zrafi qui est directeur de banque. Ils ont donné la priorité aux études, et ont réussi.

Charger plus d'articles
Charger plus par Tarak GHARBI
Charger plus dans Magazine La Presse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *