Illustration: « Beirut Blast », un dessin de NEMØ (Canada) / Cartoon Movement
Par Abdel Aziz HALI
Baptisée « La Ville qui refuse de disparaître » ou « La Cité qui ne meurt pas », Beyrouth a vécu, avant-hier, l’enfer pour ne pas dire un drame dont les images nous renvoient à celles d’« Apocalypse Now » (le célèbre film de guerre américain sur le Viêt Nam, lauréat de la Palme d’Or au Festival de Cannes 1979-Ndlr), le chef-d’œuvre du cinéaste Francis Ford Coppola.
En effet, sous la bénédiction d’une kleptocratie irresponsable, d’une classe politique corrompue, de décideurs nonchalants et négligents, d’une administration insouciante et d’un État en totale perdition, l’explosion de plus de 2.700 tonnes de nitrate d’ammonium « NH4NO3 » (un composé chimique utilisé comme engrais « azoté » pour les cultures de légumineuses à feuilles ou également dans la fabrication d’explosifs-Ndlr) entreposés depuis 2014 dans le complexe portuaire du « Paris de l’Orient » [1] a fini par raser de la surface de la terre le poumon économique du pays du Cèdre… la « Fille de Venus » [1], que la fatalité a encore frappé.
Meurtri(e)s par l’ampleur de la déflagration au moment crépusculaire du 4 août 2020, les Beyrouthin(e)s furent témoins de véritables scènes de guerre avec plus de 100 morts (135 décès, selon un dernier bilan provisoire rendu public, hier, par le ministre libanais de la Santé, Hamad Hassan-Ndlr) — entre Libanais, Philippins et Australiens —, des chaussées ensanglantées et criblées de cratères, des immeubles éventrés et enchevêtrés, des bâtiments affaissés et réduits en cendres, des quartiers totalement détruits et terrassés, des voitures carbonisées, des arbres calcinés, des services d’urgences débordées de blessés (on parle de près de 5.000 âmes-Ndlr) et une « Mère nourricière des lois » [1] plongée dans le chaos de la bêtise humaine.
D’ailleurs, même le lieutenant-colonel Bill Kilgore — le personnage du commandant de la « cavalerie aéroportée », magistralement, interprété par Robert Duvall dans l’opus de Coppola — n’aurait pas fait mieux !
Pour un peuple libanais pris en otage, depuis des décennies, par des politiques incompétents l’ayant précipité dans le gouffre d’une étouffante crise financière sans issue, la tragédie du port de l’ « Étoile du Liban » [1] n’est que la chronique d’une catastrophe annoncée.
« À quoi vous attendiez-vous? », comme l’a si bien dit le mystérieux colonel Walter E. Kurtz (Marlon Brando), ancien béret vert, avec sa voix nasale et entêtante lors d’un monologue resté célèbre face au capitaine Benjamin L. Willard (Martin Sheen), officier des forces spéciales, dans cette cultissime adaptation libre de la nouvelle « Au cœur des ténèbres » (« Heart of Darkness ») de Joseph Conrad, parue en 1899.
« L’horreur, l’horreur »: tels étaient les derniers mots d’un colonel Kurtz agonisant dans cette œuvre majeure du septième art. Voilà une réplique qui résume parfaitement le désarroi et la rage au ventre des habitants de « Beroë » [1] face aux dégâts matériels et aux pertes humaines de ce Mardi noir.
Nul doute, sur fond d’un blocage institutionnel (une impasse politique à l’origine d’une crise économique ayant provoqué, depuis le 17 octobre 2019, une grogne sociale sans précédent et de violentes émeutes populaires dans le berceau de la civilisation phénicienne-Ndlr), ce gigantesque désastre survenu dans cet entrepôt de la douane libanaise est non seulement l’ultime constat de la faillite d’un pays décidément maudit des dieux, mais aussi l’abîme et la déliquescence qui caractérisent cette ingérable « Suisse de l’Orient » après la signature de l’accord de Taëf [2] en 1989.
A.A.H.
[1] – Paris de l’Orient, Étoile du Liban, Fille de Venus, Beroë et Mère nourricière des lois : des surnoms de la capitale libanaise, Beyrouth.
[2] – L’accord de Taëf (Arabie saoudite) est un traité inter-libanais, signé le 22 octobre 1989, destiné à mettre fin à la guerre civile libanaise qui a duré plus de 15 ans (du 13 avril 1975 au 13 octobre 1990), sous l’égide d’une commission tripartite arabe formée de l’Arabie saoudite (le roi Fahd ben Abdelaziz al Saoud), du Maroc (le roi Hassan II) et de l’Algérie (le président Chedli Bendjedid).
Hssen B Tayyib
6 août 2020 à 00:39
The horror, the horror……..