Le dernier Conseil ministériel a décidé la création d’une Commission nationale qui aura pour mission de veiller à tout ce qui est en rapport avec le transport et l’entreposage ou le stockage des produits dangereux. Bonne initiative, mais cela ne nous empêche pas de nous poser une question tout ce qu’il y a de plus …naïve : pourquoi cette commission nationale n’existait pas bien avant cette terrible explosion qui a emporté la moitié de la capitale libanaise ?
Une explosion dont on recherche encore les causes et alors que des voix s’élèvent ici et là pour soutenir qu’elle n’était pas un accident. Laissons les experts faire leur travail, mais revenons à ce qui nous intéresse.
Les événements ont imposé la création de cette Commission nationale qui aura pour tâche d’assurer le suivi de tous les circuits de stockage et de distribution de ces produits dangereux, d’en dresser l’inventaire, de mettre à jour la liste de ceux qui les fabriquent, distribuent, exploitent et entreposent.
Il y a certes des commissions régionales qui se montrent fort discrètes. Cette reprise en main avec des moyens que l’on espère réellement opérationnels et logistiques bien en phase avec ce qui est nécessaire est la bienvenue. Elle aura entre autres attributions la faculté de synchroniser et de conforter ce qui existe déjà sous d’autres formes.
Sans aucune faiblesse
Cette Commission aura à être extrêmement rigoureuse dans l’application des réglementations régissant ce genre de produits et est de ce fait appelée à imposer sans aucune faiblesse ni complaisance ou état d’âme la loi en vigueur.
Cela résume en grande partie l’inquiétude qui s’est emparée de toutes les parties prenantes de ce créneau détonnant et qui ne pardonne pas le moindre faux pas. Et pour cause, lorsqu’on est assis sur de la dynamite, on ne peut en aucun cas fermer l’œil.
Les accidents, en dépit de toutes les précautions, peuvent en effet, survenir à n’importe quel moment. On dit dans ce domaine que le risque zéro n’existe pas. Mais bien entendu, lorsque l’on garde l’œil ouvert, qu’on obéit aux consignes de sécurité et que l’on est intraitable dans l’application des normes de prévention, de sécurité, au niveau de la production, de la manipulation, du transport et de l’utilisation, les risques sont réduits.
Plus d’un s’est posé la question à propos de ce qui s’est passé à Beyrouth : la Tunisie est-elle à l’abri d’une catastrophe aussi destructrice et meurtrière ?
Au niveau de nos ports ou d’un certain nombre de nos villes, des zones industrielles, il y a bien des choses, bien des insuffisances à relever.
Des dispositions urgentes
Nous avons remarqué qu’un expert en la matière, M. Abdelhamid Jouini, préconise « qu’il faut agir pour accorder la priorité absolue à l’intérêt national et se pencher sur ce qui est de nature à porter un grand préjudice à la communauté nationale. Les usines et unités de production qui fonctionnent à l’intérieur des zones habitées nécessitent des dispositions urgentes, répondant aux normes de sécurité nationale et internationale. Il cite en exemple les unités de production de Gabès, qui produisent le NO2 (nitrate d’ammonium) qui a été à l’origine de l’explosion de Beyrouth ».
Les appels d’offres se sont multipliés pour mettre en place ce qu’il fallait pour assurer la sécurité et permettre à ces unités de se conformer aux normes internationales. Cela n’avance pas. L’administration a beau assurer que tout est en règle et que tout est conforme, la vérité surgira-t-elle de cette nouvelle Commission nationale qui est aujourd’hui face à ce genre de problèmes récurrents dont on repousse les solutions d’une gestion à une autre ?
Une cause nationale
De toute évidence, la nouvelle Commission a intérêt à agir en tant qu’organisme défendant une cause intimement liée à la sécurité nationale. Le problème est que les lobbys obéissant aux différents partis et qui se trouvent au niveau de l’administration, de toutes les administrations, du secteur de l‘agriculture, un des utilisateurs de ce genre de produits dangereux, du transport, de l’industrie, noyautent ces secteurs vitaux et les empêchent d’accomplir leur travail. Les dossiers apparaissent et disparaissent. Les solutions et l’application des mesures prises sont repoussées aux calendes grecques. Les responsables se retrouvent du jour au lendemain englués dans un magma, des sables mouvants qui les engloutissent et les poussent à battre en retraite.
La catastrophe de Beyrouth nous semble un sérieux coup de semonce pour ceux qui étouffent les dossiers compromettants et passent outre les consignes de sécurité qu’imposent les lois en vigueur.
En cas de catastrophe, les conséquences n’épargneront personne.
Une décision politique
Il fallait une décision politique et un organisme nommément désigné pour délier les mains et …les langues.
Un grand travail est à faire. A moins bien sûr que les lobbys ne s’y mettent encore une fois pour vider cette Commission de sa substance en agissant à contre-courant pour mettre tous ses membres au frigo jusqu’à la…. prochaine catastrophe.
Le fait même que le Conseil des ministres se soit saisi de la question au lendemain de l’explosion de Beyrouth prouve si besoin est que…la conscience de ceux qui ont en main les destinées du pays n’était pas tranquille. Il fallait effectivement tirer des conclusions de ce drame et se dire que cela n’arrive pas qu’aux autres.
La mise en place de cette Commission est donc un coup de fouet qui claque au visage de ceux qui dormaient sur leurs lauriers adossés confortablement aux lobbys partisans qui les protégeaient. D’ailleurs, bien des voix se sont élevées un peu partout, surtout du côté de Gabès où les usines chimiques sont regroupées pour se dire qu’un coup d’œil attentif doit être absolument tourné vers cette région qui étouffe.
D’autres encore ont relevé le mauvais stockage, la manipulation et le transport sans précaution des produits dangereux.
En alerte permanente
Une réunion s’est tenue à Bizerte pour faire le point à propos de cette question. Il s’est révélé qu’il y a pas moins de 29 produits à surveiller de très prés, à cocher sur une liste que la Commission régionale se propose de suivre, de maintenir sous son regard pour prendre à temps les décisions qui s’imposent à l’effet d’agir et sévir le cas échéant.
A ce propos, il n’y a pas que les produits chimiques qui sont dangereux. Nous voyons ces camions de carburants rouler sur les routes à tombeau ouvert. N’y a-t-il pas moyens de les contrôler et de les suivre (à l’heure du GPS) pour les en dissuader ? Ces camions traversent les centres-villes, les agglomérations sans escorte ou autres précautions à prendre.
Avec ces chauffards qui provoquent tous les jours des accidents, on ne peut qu’être inquiet du devenir de ces cargaisons dangereuses.
Dans cet ordre d’idées, les stations-services devraient être progressivement éloignées des centres d’habitation. Elles représentent en dépit de toutes les précautions que l’on prend des lieux à risques, à surveiller de très près. Surtout que nous voyons régulièrement des automobilistes s’approvisionner en carburant, cigarette au bec, sous l’œil impassible du pompiste.
Quid de cette Commission ?
Reste la question principale : de qui dépendra cette Commission ? Si elle est appelée à être assujettie à une administration, dans les conditions signalées plus haut, elle risque de devenir un groupe d’hommes et de femmes goûtant au confort de la moquette, à l’air climatisé et aux voitures de service. De sa liberté d’action dépendront son envergure et son efficacité. Voilà un dossier que l’on doit absolument garder à portée de vue.
Nous sommes tous Beyrouth !