Quelques heures avant le vote de confiance au gouvernement Mechichi, tous les partis ont fait machine arrière. Ils attendent la position d’Ennahdha dont le Conseil de la choura se tient aujourd’hui pour savoir quelle posture adopter. C’est le clair-obscur qui règne. Sans bien vraiment comprendre ce qui se passera durant ces 24 heures, on sort les parapluies et on croise les doigts pour que la casse ne soit pas trop importante. On a coutume de dire que lorsqu’on s’attend au pire on n’est jamais déçu…
C’est aujourd’hui que plusieurs partis vont se prononcer sur l’issue à donner au gouvernement Mechichi. En effet, l’annonce de la composition du gouvernement n’a pas été du goût des partis, même ceux qui avaient accueilli favorablement au début de la désignation de Mechichi l’idée d’un gouvernement de compétences nationales.
D’autres ont mal digéré la griffe de Kaïs Saïed dans l’élaboration de cette équipe. Pour eux, le fait qu’il ait reçu à Carthage le ministre des Affaires culturelles proposé, Walid Zidi, après que Mechichi a déclaré son retrait de la liste des ministres, est la preuve que c’est Saïed qui fait la pluie et le beau temps dans l’exécutif et ce geste a été perçu comme une humiliation au Chef du gouvernement désigné.
Il n’empêche que ni les noms proposés, ni la nouvelle restructuration des départements ministériels n’ont trouvé bon écho auprès des acteurs politiques qui ont préféré faire un pas en arrière.
Les reins moins solides
Une position qui n’est pas du tout confortable pour le Chef du gouvernement désigné qui se présentera à l’ARP avec les reins moins solides. En effet, il se retrouve sur la ligne du feu, face à des coalitions en rangs dispersés. L’enthousiasme du PDL s’est estompé et conditionne l’attribution de ses voix par le remplacement de Taoufik Charfeddine proposé à la tête de l’Intérieur et celle de Mohamed Boussetta à la Justice. Selon le PDL, le premier a «des liens familiaux avec l’un des terroristes» et le second, un magistrat, qui «ne compte pas parmi les compétences reconnues». D’autres noms tels qu’Ali Hafsi, qui a été considéré par Abir Moussi, présidente du PDL, comme «l’œil de Ghannouchi ainsi que la reconduction, à leurs postes respectifs, des ministres des Affaires religieuses, Ahmed Adhoum, et des Technologies de la communication, Mohamed Fadhel Kraiem, ainsi que la nomination de Othman Jarandi aux Affaires étrangères qui, a-t-elle dit, avait déjà occupé ce portefeuille dans le gouvernement de la Troïka. En somme, elle demande d’écarter tout candidat proche des partis Ennahdha et du bloc de la coalition Al-Karama au sein du Parlement. Pour sa part, le mouvement Echaâb est revenu sur sa décision de départ de soutenir le gouvernement Mechichi, après avoir fait part des réserves de son parti concernant certains noms, en termes d’indépendance et de compétence.
Le mouvement a critiqué dans ce sens la suppression du ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi et la fusion des ministères de la Formation et des Sports.
Il est à rappeler que la coalition démocrate, regroupant 38 députés d’Echaâb et du Courant démocrate a failli se fissurer sur fond de divergence de vues sur le vote de confiance à Mechichi. Le secrétaire général du mouvement Echaâb, Zouhair Maghzaoui, a récemment indiqué que la position de son parti sur le gouvernement sera annoncée aujourd’hui lundi 31 août.
En rangs d’oignon
Dans le même sillage, Qalb Tounès a annoncé qu’il donnera sa position ce soir. Au fait, à part Al Karama qui a annoncé dès le départ qu’il n’accordera pas à Mechichi le vote de confiance et qui a campé sur sa position de départ, tous les partis se sont mis en rangs d’oignon attendant la décision du Conseil de la choura du mouvement Ennahdha et sa position à adopter vis-à-vis du gouvernement Mechichi pour savoir si quelle posture finale adopter.
Pourtant, l’heure est grave pour un pays qui sombre au rythme des crises multiples qui le secouent de jour en jour et le clair-obscur ne fait que renforcer le doute et raviver les tensions.
Mais force serait de reconnaître que tous les regards sont rivés sur le conclave des cheikhs pour savoir de quoi demain sera fait. On scrutera le ciel jusqu’à ce que la fumée blanche s’échappe, pour connaître finalement sa position pour ou contre. N’empêche, à chaque fois que ce parti islamiste semble à bout de souffle, rebuté et éloigné des cercles de décision, des hommes politiques se bousculent à sa porte, sollicitant la bénédiction du cheikh, dont tout récemment l’ex-président de l’Inlucc, Chawki Tabib, qui lui a dressé une lettre sollicitant son intervention pour le maintenir en poste après son limogeage par Fakhfakh. Autant d’évènements tristes qui viennent corser l’atmosphère d’un film d’épouvante à la pointe du jour et troubler le rêve de millions de Tunisiens.
Mais c’est cette idée que l’on ne peut gagner ou gouverner qu’avec l’aval ou l’appui de ce mouvement qui déçoit des milliers de citoyens. En effet, ce chassé-croisé chez les nahdhaouis est perçu comme un appel au secours de personnalités politiques, incapables de rassembler autour de leurs projets suffisamment de voix pour se voir intronisés aux postes convoités. C’est comme si du bout des lèvres, on commençait à avouer son échec avant même d’entamer le mandat. D’où le recours à la baraka du Cheikh. Au lieu d’aller au charbon, mouiller le maillot pour gagner les cœurs des Tunisiens, on préfère s’assurer les services d’un joker facile. Mais à quel prix et en contrepartie de quoi ? Il est vrai que les islamistes ont remporté les élections haut la main, à chaque fois, depuis 2011.
Un risque majeur
Mais jouer cette carte ne sera pas sans risques majeurs, aussi bien pour le parti islamiste que pour ceux qui concourent sous son pavillon. Cette fois, le terrain du jeu n’est pas du tout stable. A en croire les fissures dans l’édifice nahdhaoui, le mot d’ordre ne sera pas respecté par tous les partisans, tant les corbeaux ont manifesté leur grogne au grand jour.
Mechichi ira donc demain à l’ARP en marchant sur le fil du rasoir. Le seul atout qu’il a en main c’est que sa chute signifiera la dissolution du Parlement et l’organisation d’élections législatives anticipées. Et c’est ce que craignent les députés qui s’accrochent à leurs sièges dans l’hémicycle. Mais c’est ce que craint aussi Ennahdha, non pas du fait de devoir aller aux urnes de nouveau mais d’avoir à supporter un Fakhfakh qui restera en poste pour gérer les affaires courantes des mois et des mois avant la fin des élections législatives anticipées. Car une prolongation pour Fakhfakh lui permettra de déboulonner ce qui reste des nahdhaouis des postes-clés dans les rouages de l’Etat. Sans bien vraiment comprendre ce qui se passera ces 24 heures, on sort les parapluies et on croise les doigts pour que la casse ne soit pas trop importante. On a coutume de dire que lorsqu’on s’attend au pire, on n’est jamais déçu…