D’El Menzah Sport au Club Africain, le trio composé de Kamel Iddir, Lotfi Baccar et notre invité aujourd’hui Jihed Azaïez a composé un trio de charme au début des seventies. Azaïez a beaucoup donné au handball, y compris en tant que dirigeant. Il propose des idées pour faire décoller la passion de toute une vie : «Développer les académies de handball comme l’avaient fait les Egyptiens, et renforcer les structures des petits clubs qui forment aujourd’hui le vivier au sein duquel puisent les grands clubs, suggère-t-il. Où sont passés le Stade Nabeulien, le Widad Montfleury, la Zitouna, l’ASPTT… d’antan ? Il faut également doubler le budget de la fédération. N’oublions pas que le HB reste le sport le plus titré et le plus représentatif en Tunisie». Voyage au cœur du hand des années 1970, celui des pionniers qui ont montré la voie.
Jihed Azaïez, vous avez remporté trois CAN avec le Sept national, mais vous n’avez au contraire rien gagné avec le Club Africain.
C’était la période où l’Espérance Sportive de Tunis alignait les doublés sans faiblir ou se lasser. Pas vraiment parce qu’elle nous était à ce point supérieure, mais nous perdions toujours le derby dans les cinq dernières minutes. Il nous arrivait aussi de commettre un faux pas à Hammam-Lif, à Nabeul ou devant l’ASPTT qui avaient de très belles équipes, alors que l’EST ne laissait jamais des plumes. Elle savait se montrer d’une régularité de métronome.
Quels furent vos entraîneurs ?
A El Menzah Sport, Moncef Oueslati, un grand technicien qui a formé toute une génération de joueurs au terme d’une fabuleuse carrière de gardien de but. Au CA, Brahim Riahi et Hamadi Khalladi. En sélection, les Roumains Haralambie Firan et Ion Popescu, Brahim Riahi et Saïd Amara.
Que vous a donné le handball ?
La santé et l’amour des gens, et c’est déjà énorme. Sinon, en ce temps-là, il était hors de question que nous puissions nous enrichir grâce au sport. Une victoire au derby valait tout juste cinq dinars. J’en faisais don à quelqu’un dans le besoin. Car, Dieu merci, notre famille était aisée, mon père Ali étant un grand commerçant.
Vous a-t-il encouragé à pratiquer le sport ?
Au début, il était contre. Il se disait que les matches allaient lui prendre son bras droit, car il comptait énormément sur moi dans ses affaires. Mais par la suite, en voyant que je devenais grand joueur, que le président Bourguiba nous honorait en recevant l’équipe nationale après chaque exploit, il a fini par m’encourager. Sans toutefois me laisser partir en Arabie Saoudite lorsque l’homme d’affaires fort connu, Moncef Barcous, m’a proposé d’aller jouer pour Ahly Jeddah. Il a même invité le prince qui présidait le club pour la signature du contrat. Toutefois, ce transfert n’était pas allé jusqu’au bout. Beaucoup de joueurs tunisiens ont évolué dans ce club: Faouzi Sbabti, Lotfi Aloulou, Chaker Khenissi, Noureddine Aounallah… Quant à ma mère Jamila, comme toute mère, au début, elle a caché à mon père la passion qui commençait à m’habiter. Dans la famille, nous étions six garçons et quatre filles.
Peu de gens savent que vous avez failli jouer au football pour l’Espérance Sportive de Tunis….
Oui, j’aurais pu être un grand footballeur à l’Espérance. Mais je ne regrette rien, c’est le destin. Il faut dire que toute ma famille était «Mkachkha». De plus, je n’étais pas mauvais joueur de foot, loin de là… Mon frère Faouzi a joué à l’Espérance sous la conduite de Hassen Tasco. Tout jeune, j’ai fait un test au Parc B en tant qu’attaquant. J’y ai signé une licence cadets. Un jour, mon frère Hamadi m’a demandé d’aller jouer avec lui à El Menzah Sport. Il m’a décrit une excellente ambiance qui règne au sein de ce nouveau club. L’entraîneur Moncef Oueslati, qui m’a vu jouer, m’a convaincu d’y rester. S’appuyant sur une licence supplémentaire qu’il m’a fait signer secrètement, c’est-à-dire au-delà du quota, le président d’EMS, Ahmed Aloulou, m’a fait comprendre que si je rejoignais la catégorie HB de l’EST, je serais suspendu deux ans. Un bien malin et doux chantage qui allait définir mon parcours. J’ai fini par rester à El Menzah avec Oueslati comme entraîneur et Aloulou comme président. Un grand dirigeant dévoué et passionné qui prendra ensuite la présidence de la section HB du Club Africain.
Où vous alliez l’y rejoindre ?
Oui, avec Kamel Iddir et Lotfi Baccar qui poursuivait ses études en France. En 1969, grâce à la procédure de surclassement, j’ai pu jouer avec les seniors du CA. Des monstres sacrés qui avaient pour nom Khalladi, Baccouche, Zaïbi, Hamrouni…Mon premier match a été le derby face à l’EST des Besbès, Razgallah, Jelili, Sbabti, Jeljli, Rebaï…J’ai sorti un grand match en inscrivant six buts, mais nous avons été battus (14-12). Le Palais des Sports était plein à craquer, l’ambiance infernale. Mais quel que soit le résultat, après le match, nous sortions ensemble manger ou boire un coup à la même table dans un restaurant. La rivalité s’arrêtait aux portes de la salle où nous venions de jouer. L’animosité aveugle, le chauvinisme sordide, notre génération ne connaissait pas cela. Durant tous les stages, je partageais ma chambre avec l’Espérantiste Faouzi Sbabti. Mon plus grand ami aujourd’hui est Tarek Dhiab, un Espérantiste. Je crois que ce sont quelques pseudo-dirigeants qui ont développé ce détestable esprit malsain de haine entre joueurs et entre clubs.
Quels sont les joueurs les plus proches de vous ?
Mon ancien entraîneur à El Menzah, et coéquipier au CA, Moncef Oueslati, et l’Espérantiste Chaker Khenissi.
Quelle a été votre première rencontre internationale ?
J’ai été convoqué pour la première fois en sélection en 1968, alors que j’évoluais encore à El Menzah Sport. Ma première apparition, sous la férule du Roumain Haralambie Firan qui était assisté par Brahim Riahi, s’est faite au tournoi de la Ville de Tunis, au Palais de la Foire en 1970. De grandes nations du handball mondial y participaient. Nous avons battu la Yougoslavie par deux buts d’écart, fait match nul avec la Tchécoslovaquie, et avons été dominés par la Roumanie des Gheorghe Gruia et Cristian Gatu, deux magiciens de la petite sphère. On travaillait dur pour faire bonne figure. On allait en stage à Aïn Draham où on s’entraînait quatre fois par jour : réveil musculaire à 6h00 dans la forêt, une autre séance à 10h00, une troisième à 16h00 et une dernière à 20h00.
Quel a été votre meilleur match ?
Contre l’Algérie des Lamjadani, Ezeddine et Farouk Bouzrar, au championnat d’Afrique 1976 à la salle Harcha. J’ai inscrit sept buts.
Et votre plus mauvais souvenir ?
La demi-finale de coupe de Tunisie CA-EST arbitrée par Hédi Malek et Anouar Osmane. Nous menions 13-10, et les arbitres n’ont toujours pas sifflé la fin. Pourtant, les 60 minutes s’étaient écoulées. La fédération n’a pas sanctionné mon équipe qui était dans son droit, mais la coupe a été annulée cette année-là.
A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs de l’histoire du handball tunisien ?
Abdelaziz Ghelala, Hachemi Razgallah, Mounir Jelili et Hamadi Khalladi qui représentait un modèle pour moi. C’est lui qui m’a adopté et encouragé. Il m’a énormément aidé aussi bien au CA qu’en sélection.
Il était arrière gauche, alors que vous étiez arrière droit. Quelles sont les qualités d’un bon arrière ?
Le jeu de jambes, une frappe puissante et une bonne condition physique. Jadis, on n’utilisait pas la résine, on s’en remettait à son habileté et à sa puissance.
Les tirs violents fracassaient les montants… Gaucher, j’évoluais pourtant côté droit. J’étais réputé pour ma suspension désaxée.
Que représente pour vous El Menzah Sport ?
La première aventure sportive qui a révélé un géant, Sid Ahmed Aloulou, un dirigeant modèle qui fera le bonheur de cette association, puis du Club Africain. Il servira également avec dévouement la fédération nationale. Nous étions une bande de pionniers au sein de ce club : Kamel Iddir, Lotfi Baccar, Noureddine Iddir, mon frère Hamadi, qui a fait prothésiste dentaire, Jaâfar Ben Ezeddine… D’ailleurs, à la fin de ma carrière, j’étais revenu entre 1982 et 1985 à EMS pour participer à son accession en D1.
Et le CA ?
Ma seconde famille où je me sens serein. J’y ai connu des dirigeants qui servaient le sport pour le sport, tels que Azouz Lasram, Ridha Azzabi, Ferid Mokhtar et Cherif Bellamine. Notre terrain était situé du côté du TGM. Fabio Rochegianni entraînait l’équipe de football tout à côté.
Une fois votre carrière de joueur terminée, êtes-vous resté dans le milieu ?
Oui. En 1986, j’ai été dirigeant au sein de la section volley-ball du CA, à côté de Mohamed Ali Touati. J’ai été deux ans à la tête de l’équipe féminine. Par la suite, Azouz Lasram et Abdelmajid Sayadi m’ont demandé de présider la section football. Entre 1994 et 1996, j’ai été délégué de l’équipe nationale de football du temps de Henry Kasperczak. Je le faisais gratuitement. Entre 1996 et 1998, le maire de Tunis, Mohamed Ali Bouleymane, m’a confié la présidence d’El Menzah Sport avant que Raouf Najjar, ministre des Sports, me nomme dans un bureau de gestion de la fédération. Puis, direction la Fédération tunisienne de handball (1998-2002). Avant de revenir à El Menzah pour assurer trois mandats de président. Je suis derrière l’initiative de construire une salle pour EMS baptisée salle Ahmed-Aloulou, le dirigeant légendaire du club. J’ai également participé il y a six ans à la fondation de l’Amicale des anciens handballeurs qui a apporté une aide aux joueurs dans le besoin. Nous avons invité à Tunis les anciens de l’équipe d’Algérie avant d’aller les rencontrer chez eux.
Pourquoi n’avez-vous pas embrassé une carrière d’entraîneur ?
Parce que cela risque de se faire aux dépens de mes affaires. Pourtant, j’ai obtenu le 2e degré avec Faouzi Sbabti et Béchir Belhaj. J’ai, d’ailleurs, entraîné pendant un court moment les juniors d’El Menzah.
Le Sept national peut-il reconquérir sa suprématie continentale ?
Oui, le handball national doit regarder plus loin encore et se fixer de nouveaux challenges. Si la suprématie africaine du Sept national a pu être établie par le passé sur une durée aussi importante, elle le doit surtout à la passion et à l’implication de générations entières en faveur de cette discipline. Maintenant, il s’agit de rejoindre le palier supérieur. Soit un classement parmi les ténors de la discipline. Il faut travailler de façon planifiée et scientifique.
Que faudrait-il faire ?
Développer les Académies de handball comme l’avaient fait les Egyptiens. Et renforcer les structures des petits clubs qui forment aujourd’hui le vivier au sein duquel puisent les grands clubs. Où sont passés le Stade Nabeulien, le Widad Montfleury, la Zitouna, l’ASPTT… d’antan ? N’oublions pas que le HB reste le sport le plus titré et le plus représentatif en Tunisie.
Parlez-nous de votre famille
C’est ma raison de vivre. J’ai épousé en 1975 Samia Kobbi, ancienne handballeuse de l’AS Féminine. Nous avons deux filles: Wiem, qui a étudié en gestion et vit actuellement au Canada, et Samah, architecte d’intérieur. Elle a deux enfants : Zakaria et Youssef qui me prennent beaucoup de temps et auprès desquels je passe les plus beaux moments.
Autrement, que faites-vous de votre temps libre ?
Des sorties avec mon épouse. A la télé, j’aime regarder le hand, pas beaucoup le foot.
Que représente pour vous le bonheur ?
La paix de l’âme, la santé, et être rassuré sur l’avenir de ses enfants.
L’argent ?
Un moyen dont chacun a besoin, mais qu’il faut savoir utiliser à bon escient.
Et la beauté ?
C’est la beauté du cœur qui aime donner sans rien attendre en retour.
Enfin, êtes-vous optimiste pour l’avenir de notre pays ?
Je ne suis pas optimiste, et je ne vois pas le bout du tunnel. Neuf ans après la Révolution, cela n’a pas l’air de s’arranger, peut-être à cause des gens qui ne pensent qu’à se servir avant de servir leur pays.