La lutte contre la violence envers les enfants n’est pas uniquement la responsabilité de l’Etat, mais également celle des parents, des éducateurs. Le phénomène de la mendicité et de la maltraitance des enfants sont des questions taboues dont on parle rarement. Reportage.
10h00, nous avons rencontré Moez, un enfant de neuf ans, qui mendie tous les jours dans les cafés de l’avenue Habib-Bourguiba. C’est son père, nous raconte-t-il, qui l’oblige à faire la manche tous les jours de 7h00 jusqu’à 19h00. Il se retrouve dans les rues, vendant des fleurs, du jasmin, du chewing-gum ou carrément demandant de l’aumône pour satisfaire les besoins de son papa. «C’est un calvaire pour moi. Si je n’apporte pas de l’argent, mon père me fouette. Ma situation est infernale», déclare le petit, les larmes aux yeux.
La mendicité s’est développée à un rythme soutenu, au cours des dernières années. Après la révolution, le phénomène s’est accentué. « On a profité du désordre post-révolution pour se débrouiller comme on peut, souligne Moez. On vit encore le désordre général. Et l’argent constitue pour ma famille un problème éternel».
Solitude, injustice et misère
Et d’ajouter : «Nous vivons la solitude, l’angoisse, la misère, l’injustice au quotidien ». C’est vraiment le drame. La patience lui a permis de tirer son épingle du jeu. La société impose ses lois injustes. Il y a aussi ces cas d’enfants désespérés, qui sont partis au péril de leur vie parce qu’ils n’attendent plus rien de la société et parce qu’ils n’ont plus rien à perdre. Ces marginaux, qui ont grandi aujourd’hui, sont devenus des voleurs, des criminels, qui se sont enfoncés de plus en plus dans la spirale de la délinquance et ont fini par immigrer clandestinement vers d’autres contrées dans l’espoir d’une vie meilleure.
Dans la périphérie de la capitale, des enfants, qui ont quitté l’école à un âge précoce, errent dans les rues du matin au soir. Les conditions de vie y sont rudes aussi bien pour les adultes que pour les enfants. Deux garçons se plaignent de leur situation familiale difficile. Leurs parents, un père handicapé et une mère femme au foyer.
Un autre enfant, âgé de 10 ans, vit dans des conditions très difficiles. Ce jeune garçon, au teint buriné et à l’allure frêle, a un rêve: trouver un travail pour offrir une vie décente à sa famille qui vit une situation précaire. Il se plaint: « Les conditions de vie sont très difficiles pour moi. On vit entassés avec le désagréable sentiment d’étouffement ».
Pas de repères
Ces enfants vivent en marge de la société. De son côté, S, 12 ans, n’a pas poursuivi ses études et se trouve au chômage sans aucune qualification. Il se considère comme un fardeau pour sa famille, lui qui a passé une période assez longue entre un groupe de radicaux et un groupe de délinquants, sans trouver de repères ni d’issue favorable. Il a même été exploité sexuellement. Ce jeune, qui n’a aucune qualification, a perdu tout repère après avoir été violé et exploité sexuellement par des inconnus.
La pauvreté et la misère sont visibles sur leurs visages. Ces enfants passent le plus clair de leur temps dans la rue à fouiller les poubelles.
S’exprimant sur les enfants de la rue, le délégué général de la protection de l’enfance, Mehiar Hamadi, explique que, dans plusieurs cas, les parents exploitent leurs enfants en les poussant à mendier et à vendre toutes sortes d’articles dans la rue. « A chaque fois, on signale à la police ces abus. Les coupables écopent d’une amende ou d’une peine de prison avec sursis. Aucune mesure n’est dissuasive. Des gangs organisés dictent également leur loi dans la rue en mettant sous leur coupe des enfants pauvres qu’ils injectent dans les circuits parallèles et de la mendicité pour leur soutirer le maigre pécule amassé à la fin de la journée. On a, d’ailleurs, enregistré 444 tentatives de suicide d’enfants en 2018 -2019 ».
Il a indiqué que concernant le nom du ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors, l’appellation de l’enfance a été supprimée car la mission de protection de celle-ci est partagée entre différents ministères : (ministère de l’Education, de la Justice, de l’Intérieur, la Femme, de la Formation professionnelle et de la Santé), mais le problème de l’enfance abandonnée est à chercher ailleurs.
Les principaux indicateurs de 2018 concernant la situation des enfants en danger et des enfants hors-la-loi qui sont pris en charge par les délégués à la protection de l’enfance.
Une situation malsaine
Les délégués à la protection de l’enfance ont reçu 17.449 signalements durant l’année 2018, dont 16.869 concernent des enfants qui ont fait l’objet d’un seul signalement au cours de l’année, tandis que 580 ont été notifiés plus d’une fois. Les filles représentent 48% du nombre total des signalements reçus à travers 8.386 signalements, contre 52% des signalements reçus pour les garçons à travers 9.063.
La grande part de notifications pour 2018 concerne les enfants en bas âge entre 0 et 5 ans à 26% suivie par les enfants d’âge scolaire de 9 à 12 ans 25%, suivie par des adolescents, de 13-15 ans à travers 21% des signalements. Le nombre des signalements concernant les enfants, nés hors mariage, a atteint 331 en 2018. Aussi, 57% des signalements reçus par les délégués à la protection de l’enfance ont été effectués par les parents (35% par la mère et 22% par le père) à travers 9.703 signalements.
La plupart des autres signalements proviennent des institutions étatiques des différents secteurs (santé, social, judiciaire, sécurité, éducation…) qui représentent 35% du nombre des signalements reçus à travers 6.013 signalements. Selon les dispositions de l’article 20 du Code de la protection de l’enfant, et après appréciation de chaque situation en fonction du type principal de menace, les situations de manquement notoire et continu à l’éducation et à la protection et les cas d’incapacité des parents ou de ceux qui ont la charge d’assurer la protection et l’éducation de l’enfant constituent les causes majeures des signalements reçus par les délégués.
«Notre volonté est que nous puissions garantir à nos enfants une meilleure qualité de la vie et bien évidemment un meilleur avenir».
Cette stratégie comporte huit axes prioritaires qui concernent les tranches d’âge allant de 3 à 36 mois et de 37 mois à 8 ans. Elle prévoit notamment des prestations spécifiques pour les enfants vulnérables, ainsi qu’une formation de base et une formation continue pour le cadre pédagogique de la petite enfance.
La stratégie englobe également comme axes la qualité et un accès plus large aux services de la petite enfance, ainsi que la supervision des prestations, le suivi, l’évaluation et la recherche dans ce domaine afin de moderniser et d’améliorer la qualité de tout ce qui est en rapport avec la petite enfance en Tunisie.