Accueil Economie Samia Labidi Gharbi, Enseignante et spécialisée en sciences de l’environnement, Présidente de L’association de l’éducation environnementale pour les futures générations, à La Presse : «Ensemble pour combattre l’affaire des déchets…»

Samia Labidi Gharbi, Enseignante et spécialisée en sciences de l’environnement, Présidente de L’association de l’éducation environnementale pour les futures générations, à La Presse : «Ensemble pour combattre l’affaire des déchets…»

Le secteur de la gestion des déchets en Tunisie nécessite de grands investissements économiques. C’est pour cela qu’on doit faire face à une énorme machine bureaucratique qui rend le terrain favorable à la corruption…
Le tohu-bohu de l’importation de déchets d’Italie est considéré comme un délit commis contre le pays ; mais qui se cache derrière cette affaire ? Entretien.

Selon vous, quelles sont les répercussions de l’enfouissement des déchets provenant d’Italie ?

Plusieurs de nos décharges ont atteint leurs limites et auraient dû être fermées depuis des années. D’autres connaissent une protestation citoyenne continue comme Borj Chakir et Agareb…

Les chiffres relatifs aux déchets ménagers importés sont loin d’être crédibles.

Toutes ces conditions entravent la concurrence et facilitent la création et le développement de forces oligopolistiques. Cette situation illégale généralisée est due à la faiblesse et l’absence de pouvoir d’exécution au niveau national que nous vivons ces dernières années.

Les responsabilités incombent à différents niveaux de gouvernance au niveau du pays, allant de la bureaucratie au favoritisme politique et aux méfaits criminels pour le citoyen.

De plus, l’absence de politiques adéquates de gestion durable des déchets et effectivement appliquées avec les organisations de tutelle a créé une incertitude institutionnelle et réglementaire qui favorise le marché illégal des déchets. Ces situations ont généré des victimes de la gestion illégale ou incontrôlée des déchets.

Pour les déchets, il en existe différentes catégories : citons les déchets 100% biodégradables qui proviennent uniquement de la matière vivante et qui peuvent être réutilisées pour l’amélioration de la structure des sols.

Les déchets mixtes et partiellement dégradables qui doivent subir des traitements spécifiques selon des protocoles précis et qui ne doivent pas être jetés dans la nature. Les déchets 100% recyclables en accord avec la réglementation nationale et internationale et dont le recyclage ne doit pas contenir en aucun cas des substances toxiques.

Les déchets potentiellement dangereux et les déchets très dangereux qui devraient être traités sous des conditions drastiques pour empêcher leur existence dans l’environnement.

En ce qui concerne les coûts et les impacts environnementaux, l’élimination illégale des déchets et l’incinération illégale qui en résulte peuvent produire des émissions y compris des particules, du dioxyde de carbone, du monoxyde de carbone et du mercure qui sont nocives pour la santé humaine. Ainsi, certains des coûts liés à ce type de crime environnemental pourraient inclure la dégradation des terres, l’atteinte à la santé humaine (notamment les populations avoisinant les décharges), le manque de confiance sociale par rapport aux institutions, la valeur des actifs mobiliers, l’agriculture et le secteur du tourisme, la diminution de l’attractivité pour les investisseurs.

Dans le même contexte, les répercussions se manifestent aussi en termes de coût économique. Il s’agit du coût d’enfouissement qui est de 20 dt la tonne pour le transfert et la mise en décharge. 100% sont pris en charge par le privé. Les municipalités payent environ 20%, alors que l’Etat couvre les 80% de chaque tonne. Avec ces déchets importés, rien n’est clair quant au coût de leur enfouissement, comment et où ça se fera.

En ce qui concerne les problèmes directs générés par l’enfouissement surtout dans des terrains perméables à semi-perméables et selon les caractéristiques du sol d’enfouissement, ces déchets peuvent contaminer les nappes phréatiques et le sol par des substances toxiques et le lixiviat (lors de leur stockage et sous l’action conjuguée de l’eau de pluie et de la fermentation naturelle, les déchets produisent une fraction liquide appelée «lixiviats». Riches en matière organique et en éléments traces, ces lixiviats ne peuvent être rejetés directement dans le milieu naturel et doivent être soigneusement collectés et traités) qui en découle.

Ces substances toxiques, suite aux phénomènes d’infiltration, de ruissellement selon le principe de pollution diffuse, peuvent atteindre des zones éloignées du milieu d’enfouissement. La chaîne alimentaire serait touchée par la contamination pour atteindre l’homme et impacter ainsi sa santé en provoquant des maladies récurrentes. L’incinération des déchets est aussi dangereuse car elle génère des produits très toxiques causant des maladies respiratoires et des cancers comme les dioxines et furannes qui sont des substances interdites selon la Convention de Stockholm sur les POPS (Polluants Organiques Persistants). Plusieurs recherches ont démontré la présence de ces substances dans le lait maternel, les œufs des oiseaux, la viande de poulet et la contamination de toute la chaîne alimentaire. D’autant plus que les cendres des déchets peuvent contenir des produits très toxiques et très dangereux qui seront transportés par l’air ou bien diffusés dans un espace plus large en l’absence de toutes connaissances sur ces cendres. Ce scandale remet en cause l’engagement de la Tunisie à travers le ministère chargé des déchets et les différentes agences environnementales concernées. Cela implique aussi de revoir notre adhésion à plusieurs conventions internationales : Bamako, Bâle, Marpol…

Quelles sont les mesures à prendre par le gouvernement en tant que réseau spécialiste dans le domaine de l’environnement pour qu’une telle opération ne se reproduise plus ?

Aujourd’hui, nous lançons un appel urgent aux autorités pour que la lumière soit faite sur les détails de cette affaire concernant l’autorisation octroyée à la société et sur la période au cours de laquelle les déchets ont franchi le sol tunisien et leurs destinées et les analyses complètes faites par la Citet sur la nature des déchets qui contiennent des produits toxiques.

En parallèle, la première mesure et celle que nous considérons comme étant la plus urgente, c’est de refuser ces déchets et de poursuivre en justice les responsables tunisiens et étrangers. La réponse doit être ferme et sévère pour que cela serve de leçon. Un meilleur contrôle douanier s’impose et le rôle de l’Anged est à revoir. Cette affaire a montré que cette institution est dépassée par la réalité. Ces dernières années, nous avons constaté, en tant que société civile, l’absence rigoureuse du gouvernement et plus particulièrement des institutions nationales en charge de la question des déchets.  On ne peut pas comprendre qu’à l’ère de la technologie et de la digitalisation ainsi que le nombre de projets attribués par les organismes internationaux aux institutions de référence, on ne puisse pas avoir un modèle réussi pour traiter les déchets. Il faut rajouter que la gestion des déchets est une affaire intégrée et inclusive qui nécessite plusieurs parties prenantes. Nous avons proposé à l’Anged au mois de mars dernier, suite aux déchets Covid-19, qu’il y ait un projet de digitalisation des camions de collecte des déchets qui doivent être munis de GPS et que tout citoyen puisse suivre le déplacement de ces camions et ainsi les responsabilités seront partagées entre le gouvernement et la société civile et le citoyen (c’est une action qui est très rapide à réaliser comme le confirme l’expert en informatique appartenant au réseau). Il est inconcevable que nous puissions suivre tous les avions du monde à la seconde près depuis nos computers, alors qu’il nous est impossible de le faire pour un camion qui circule dans un rayon de quelques kilomètres.

Aujourd’hui, la Tunisie a besoin d’un décideur de politiques environnementales averti et visionnaire qui travaille dans un contexte intégré où tous les secteurs doivent êtres engagés car le citoyen n’est en aucun cas responsable des déchets des industriels pour subir leurs dangers. Tous les secteurs doivent impérativement internaliser leurs externalités concernant les déchets. La fusion du ministère de l’Environnement avec celui les Affaires locales doit permettre une meilleure gestion des défis environnementaux, dont la gestion durable des déchets ménagers et le fait de doter les municipalités des moyens nécessaires pour qu’elles arrivent à relever ce défi.

Du point de vue législatif, nous avons besoin de lois interdisant tous types de déchets —car la Tunisie n’est pas un dépotoir— et des sanctions à la hauteur du crime doivent être prises.

Cette tragédie devrait-elle connaître un suivi de la part de votre réseau?

Toute association nationale selon le décret-loi n°2011-88 du 24 septembre 2011, portant organisation des associations (point 2 du 5e article : d’évaluer le rôle des institutions de l’Etat et de formuler des propositions en vue d’améliorer leur rendement), a le droit de poursuivre l’administration en justice et dispose aussi du devoir (de soutenir) d’évaluer les efforts du gouvernement pour protéger l’environnement et la santé du Tunisien.

Notre réseau «Réseau Tunisie Verte», créé suite à la polémique des emballages en plastique du mois d’août dernier, a œuvré et contribué pleinement au retrait de l’arrêté du ministère de l’Industrie sur le plastique. Ainsi, le réseau, qui est un groupe de sociétés civiles nationales représenté par 8 experts, s’est engagé dès l’annonce de cette tragédie, à suivre de près et faire tout le nécessaire pour que l’environnement de la Tunisie ne continue pas à souffrir des dépassements et des incompétences qu’elle encaisse depuis des années.

Il est à signaler que ce problème a violé les conventions internationales et comme nous faisons partie des réseaux internationaux qui œuvrent pour l’élimination des produits toxiques et qui combattent la mauvaise gestion des déchets, nous avons, de ce fait, partagé la problématique pour une mobilisation internationale afin d’interdire les mauvaises pratiques des sociétés appartenant aux pays développés envers nos pays en voie de développement.

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