Accueil Magazine La Presse Mohamed Nejib Ben Salah, ancien attaquant de l’OCK: «Le football a perdu son âme»

Mohamed Nejib Ben Salah, ancien attaquant de l’OCK: «Le football a perdu son âme»

Avec le portier Bouraoui Chaâri, il a été le premier pensionnaire de l’Oceano Club de Kerkennah à être convoqué en sélection nationale. Un honneur dont il tire une grande fierté, et qu’il doit en fait surtout à ses dribbles chaloupés et sa pointe de vitesse. Mohamed Nejib Ben Salah demeure l’une des figures marquantes du club insulaire qui assura en 1978-79 sa première accession en division nationale. En ce temps-là, les derbies de Sfax se chevauchaient. Animés par le CSS, le SRS, le SSS et l’OCK, ils donnaient lieu à d’âpres batailles entre frères ennemis. Durant quatorze bonnes saisons, Ben Salah a apporté généreusement sa pierre à l’édifice kerkennien qui a connu son apogée sous la férule d’un technicien hyper-réaliste lequel savait composer avec le peu de moyens dont il disposait, à savoir Mongi Delhoum.

Mohamed Nejib Ben Salah, dites-nous d’abord : comment était le derby face au grand voisin clubiste sfaxien ?

Chacun sait que beaucoup de familles kerkeniennes sont installées à Sfax, ce qui conférait à ces retrouvailles des airs de fête. Le derby constituait le moment le plus important de la saison. Je me rappelle d’un derby pas comme les autres. Imaginez un peu qu’avant le coup d’envoi, nous étions mieux classés que le CSS. Conséquence : durant la phase retour, le match vedette au stade Taieb Mhiri, c’est l’OCK qui le jouait. Par contre, le CSS en était réduit à jouer en lever de rideau.

Quel est votre meilleur souvenir sportif ?

La toute première accession de l’OCK parmi l’élite. Je citerai également ma convocation en sélection nationale. A l’OCK, nous avons été, le gardien Bouraoui Chaâri et moi-même, les deux premiers à hériter d’un tel honneur.

Et votre plus mauvais souvenir ?

Notre relégation après cinq saisons consécutives parmi l’élite. Il y a aussi la perte d’une dent dans un télescopage avec le légendaire gardien du Club Africain, Attouga. En voulant «boxer» le ballon, il prend en même temps ma mâchoire. Non, un simple incident de jeu, car cela n’a pas été fait exprès. Mais j’ai tout de même fini par inscrire un but à Attouga…

On vous a complètement perdu de vue depuis votre retraite sportive dans les années 1980. Que devenez-vous depuis ? 

Un citoyen ordinaire. J’ai pris ma retraite il y a quatre ans de l’Office de la marine marchande et des ports, à Sfax, où j’ai travaillé depuis 1975. D’ailleurs, la plupart des footballeurs de l’OCK sont enrôlés dans cet établissement. Le PDG est en même temps président de l’OCK. C’est ainsi que Ali Attia m’a engagé à l’Ommp dont les premiers responsables allaient par la suite être feu Mohamed Kraiem, l’ancien ministre des Sports, et Youssef Kraiem. Durant sept ans, j’ai entraîné l’équipe de Sport et Travail. Mais cela n’est pas allé plus loin. Je suis timide. Je crois que le métier d’entraîneur n’est pas fait pour moi.

Depuis sa première accession parmi l’élite en 1978-79, l’OCK n’a pas lésiné sur les moyens, optant résolument pour un football ultra-défensif souvent décrié par les puristes…

Nous avons en fait opté pour la politique de nos moyens. En accédant parmi l’élite, du 4-3-3 qui propose une ligne d’attaque composée de Msakni alier gauche, Mohamed Boutabba attaquant axial et moi-même ailier droit, nous étions passés au 4-4-2 qui bloquait les espaces et permettait de jouer à fond la contre-attaque. Nous nous étions, si je puis dire, «italianisés» en pratiquant le catenaccio cher aux footballeurs italiens de l’époque. Et cela nous a réussi, puisque nous allions nous maintenir cinq bonnes saisons durant. Nous devons cette réussite à notre entraîneur Mongi Delhoum (1975-1979, puis 1981-83), un technicien ultra-réaliste qui savait parfaitement composer avec le peu de moyens sur lesquels le club s’appuyait. D’ailleurs, avec Moncef Melliti (1979-1981, puis 1983-84) et Noureddine Ben Mahmoud qui m’a entraîné trois ans en division 2 (1970-1973), Delhoum reste le meilleur technicien que j’ai connu. J’ai eu également Ahmed Ouannès comme entraîneur entre 1973 et 1975.

De qui se composait ce magnifique Oceano qui a déblayé le terrain de la D1?

Bouraoui Chaâri dans les bois, Ali Masmoudi, Mounir Grati, Mohamed Dahech, Mohamed Boutabba, Abdelkader Baâti, Hedi Touhami, Farhat Dahech, Mohamed Jemal, Mounir Boussarsar et moi-même.

Dans votre région, on est généralement supporter du CSS, ou à la rigueur du SRS. Pourquoi avez-vous signé pour l’OCK, et pas pour des voisins nettement plus prestigieux ?

Dans notre quartier Chichma, Km 1,5 sur la route de Tunis, nous avons été nombreux à opter pour l’OCK qui venait d’être fondé en 1963. Plusieurs anciennes gloires ont vécu dans mon quartier : Mongi Delhoum, l’ancien avant-centre du CSS qui allait nous entraîner à l’OCK, l’attaquant de la sélection qui joua en Argentine, Mohamed Ali Akid, le véloce ailier du SRS, Mustapha Sassi… Il est vrai que les grands espaces offraient aux enfants l’opportunité de laisser éclater leur talent.

Vos parents voyaient-ils d’un bon oeil ce jeu qui prenait tout le temps des enfants au quartier et ailleurs ?

Non, loin s’en faut. Aussi bien mon père Mokhar, fonctionnaire municipal que ma mère Aïcha pensaient au contraire qu’il vaut mieux se consacrer aux révisions et aux études et que le foot ne mène nulle part. Un sport pour «Zoufri», ou vagabonds perdus à jamais. Mais c’était plus fort que moi.

Après chaque remontrance de mon père, ou petite correction, je revenais avec encore plus d’appétit pour croquer dans le foot.

Avez-vous toujours été ailier droit ?

Non. A mes débuts, j’étais milieu de terrain.

Alors que nous jouions encore en division 2, Mongi Delhoum m’a repositionné à l’aile droite.

Alors que j’étais encore à l’âge des cadets, il m’a lancé dans le grand bain des seniors.

En toute fin de carrière, Moncef Melliti m’avait même aligné avant-centre.

Quelles qualités doit posséder un bon ailier droit ?

Vitesse, appel de balle en profondeur et dans les espaces, et la faculté de dribbler et d’imposer sa technique afin de pouvoir éliminer l’adversaire: voilà ce qu’on attend d’un ailier droit de métier.

Vous avez eu affaire à un grand nombre de défenseurs. Lequel vous a posé le plus de difficultés ?

Le Marsois Salah Bourouba. Une fois, il m’a blessé à la cheville, m’obligeant à rester deux mois loin des terrains.

Quel est le meilleur match que vous avez joué ?

En 1979-80, à El Menzah contre le Stade Tunisien quand j’ai signé un doublé. Le deuxième but, je l’ai réussi du rond central.

J’ai vu que le gardien stadiste était avancé; alors, je l’ai instinctivement lobé. Mon doublé nous a permis de mener par 2 à 0 avant d’être rejoints sur le fil.

Qu’est-ce qui a changé entre le foot d’hier et d’aujourd’hui ?

Avant on jouait pour ses couleurs, et on s’investissait à fond, maintenant, on joue juste pour l’argent, comme un simple boulot. Conséquence : il n’ y a plus de spectacle. Le foot a perdu son âme.

Et l’arbitrage, actuellement véritable plaie du foot tunisien, comment était-il ?

Les hommes en noir n’en faisaient qu’à leur tête. Rares étaient les caméras qui filmaient les matches. Il n’ y avait donc ni moviola ni évaluation objective du rendement arbitral. Les hommes en noir se trouvaient dans une impunité totale. J’ai ainsi été expulsé plusieurs fois. Un fort sentiment d’injustice m’a toujours révolté, car nous formions une petite équipe que certains arbitres n’hésitaient pas à maltraiter et sacrifier sur l’autel de leurs petits intérêts et caprices. Capitaine de mon état, en me faisant expulser, la peine dont j’écopais était doublée. Je pénalisais ainsi très fort mon club.

Bien entendu, en ce temps-là, il était hors de question pour un joueur de changer de club ?

Oui. Mais cela n’a pas empêché Abdelmajid Chetali de me recommander auprès d’un club du Golfe. Je devais partir dans ce club en même temps que Mongi Dalhoum qui allait faire office d’entraîneur. Malheureusement, notre président Ali Attia a catégoriquement refusé de m’accorder un bon de sortie.

Quel est votre club préféré après l’OCK ?

Le CSS et le SRS.

Parlez-nous de votre famille ?

En 1981, j’ai épousé ma cousine Monia Ben Salah. Nous avons deux garçons et deux filles : Mokhtar, 37 ans, Omar, 36 ans, Sahar, 33 ans, et Samar, 23 ans.

Comment passez-vous votre temps libre ?

Avec mes anciens coéquipiers Farhat Dahech et Bouraoui Chaâri, on se rencontre au café. A la télé, on se régale des matches européens qui illuminent nos week-ends. Mon club préféré reste le Real Madrid, et mon joueur préféré, Cristiano Ronaldo.

A votre avis, quel est le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?

Hamadi Agrebi, un artiste du ballon rond comme il n’y en aura plus. Minimes, puis cadets, nous avons joué tous deux face à face. C’était toujours de petites corrections que nous faisait déjà subir le CSS de l’incomparable Agrebi.

Enfin, que représente pour vous le football ?

La passion qui a bercé mon enfance et ma jeunesse. Je dois tout au sport et à mon club, l’OC Kerkennah. Sans eux, qui aurait connu Mohamed Nejib Ben Salah ? Un demi-siècle, ou presque après, les supporters continuent de me témoigner beaucoup de marques de sympathie pour les forts moments de bonheur que j’ai modestement su leur apporter.

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