L’image est atroce. Elle résume à elle seule le calvaire des familles démunies en milieu rural. Une fillette de trois ans se lève chaque matin à 5h du matin pour accompagner ses parents qui travaillent dans la cueillette des olives. Pour le transport jusqu’aux oliveraies, ils montent à l’arrière d’un pick-up en compagnie d’autres travailleurs. Peu importe la distanciation sociale, les gestes barrières, hommes et femmes s’entassent dans l’espace de chargement de la benne. Quand un accident survint. Encore un malheur qui vient s’abattre sur les travailleurs ruraux. On déplore deux décès. Heureusement la fillette s’en sortira avec quelques commotions. Mais elle n’oubliera jamais le choc et elle ne comprendra jamais pourquoi elle se trouvait à bord de ce véhicule tôt le matin alors que les enfants de son âge dorment paisiblement dans le giron de leur mère. Oui, messieurs, oui mesdames. Etreints par la peur de ne pouvoir nourrir leur fillette, les parents ont décidé de travailler dans les champs pour subvenir à leurs besoins et d’emmener avec eux leur enfant. Ils étaient acculés à le faire pour vivre à la sueur de leur front au lieu de manifester, bloquer les routes pour demander l’aide et l’assistance de l’Etat. Ainsi vivent et meurent les gens dignes qui, même dans la précarité, ne pensent qu’à travailler et non pas à tendre la main.       

Mais le comble est que ce n’est pas la première fois que ce genre de drame a lieu dans notre pays. A force de voir les travailleurs ruraux, hommes et femmes, ravis à la fleur de l’âge, fauchés par des voitures, emportés par les eaux furieuses des oueds, assassinés par des criminels sans pitié, on s’en remet à Dieu et on oublie vite que la liste de ces citoyens en état de vulnérabilité est encore longue. Comme leurs enfants, ils connaissent dès leur prime enfance une vie de labeur, ils ne s’en plaignent jamais. Pendant les vacances, ils ne vont pas au théâtre, ni au cinéma, mais s’adonnent avec leurs parents aux métiers de la terre.

Ils réclament — ce qui est constitutionnellement  leur droit — la présence de l’État. Car quand on hisse le drapeau rouge avec l’étoile et le croissant, fût-ce dans les contrées les plus reculées, on a non seulement le devoir de protéger la communauté qui y vit mais aussi de lui fournir équipements collectifs, sécurité, soins, éducation, transport, développement et qualité de vie.

Car, face à l’oubli qui a plongé ces régions, ces belles régions, dans une immense tristesse, chacun de ces citoyens partage un sentiment d’injustice et d’abandon. Au grand dam de ces braves Tunisiens, les gouvernements successifs n’avaient pas de temps à leur accorder. Il y a tellement de feux à éteindre, de nœuds à dénouer. La place n’est pas aux gentils, aux êtres silencieux et respectueux. On ne regarde que du côté de ceux qui haussent le ton. Ceux qui sabordent, saccagent, insultent… Ceux qui font peur à une classe politique qui ne parvient pas à se régénérer et qui a des comptes qu’elle s’échine à vouloir solder. Alors la route continuera à faucher des vies nobles et précieuses tant que l’on continuera de regarder en direction des loups qui hurlent,  arrachent, exigent sans rien donner. On continuera bien sûr à prendre soin d’eux. Car dans mon pays, il n’y a plus de place aux gentils, aux laboureurs dignes pour qui le travail de la terre est la vérité des vérités. Et cette vérité est que la mort guette ceux qui pétrissent leur pain à la sueur de leur front, dans une benne de camionnette.

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