L’Economie sociale et solidaire est un modèle de développement, créateur de richesses et de liens sociaux. C’est une réponse innovante aux besoins non satisfaits sur un territoire bien déterminé. Cependant, l’essor
de cette nouvelle économie dépend d’un écosystème institutionnel, légal et financier favorable.
Comment allier les acteurs de l’Economie sociale et solidaire (ESS) à ceux de l’économie conventionnelle? Quelles sont les structures organisationnelles adéquates à adopter pour l’ESS en Tunisie ? Comment développer l’écosystème de l’entrepreneuriat social ? Toutes ces questions ont été débattues lors d’un webinaire qui a été organisé, mardi 8 décembre, par Attijari Bank en partenariat avec le Pnud sur le thème «Des alliances audacieuses pour l’utilité sociale et un écosystème ESS innovant».
Lors du débat qui était émaillé de témoignages livrés par des startuppeurs qui ont investi dans des projets à impact social ou environnemental, des experts en ESS ont abordé plusieurs problématiques relatives au développement d’un écosystème d’économie sociale et solidaire.
Les principes de l’ESS
Commençant son intervention par définir l’ESS, la directrice du programme ProgrESS, qui est un projet cofinancé par l’Union européenne et qui a pour objectif de mettre en place un centre tunisien de ressources de l’ESS, Sonia Ben Yahia, a fait savoir que l’ESS est un modèle de développement, créateur de richesses et de liens sociaux. C’est une réponse innovante aux besoins non satisfaits sur un territoire bien déterminé, a-t-elle précisé. Mme Ben Yahia a expliqué, qu’ayant fait son apparition depuis le XIXe siècle, ce modèle de développement peut être décliné en trois principaux mouvements. Le premier est l’économie sociale historique qui est incarnée par les structures coopératives et qui est basée sur la pensée sociale et la pratique collective, l’objectif étant de créer une activité collective pour répondre à des besoins communs. L’experte en ESS a indiqué que pour le deuxième mouvement, il s’agit de l’économie solidaire qui vise à créer des activités pour répondre à des enjeux d’intérêt général, tandis que le troisième mouvement est incarné par l’entrepreneuriat social.
A une question sur l’état des lieux de l’écosystème de l’ESS en Tunisie, Mme Ben Yahia a répondu que l’écosystème tunisien est en construction et que son développement nécessite une action au niveau de trois volets, à savoir la sensibilisation, notamment à travers l’intégration des concepts de l’ESS dans les programmes de l’éducation, l’accompagnement et les financements, notamment en déployant tous les outils.
Au sujet des structures organisationnelles de l’ESS, le spécialiste des politiques et de la recherche sur les coopératives auprès du BIT, Guy Tchami, a souligné que si les principes de solidarité et d’action collective sont communs et constituent la pierre angulaire de l’ESS, c’est à chaque pays de s’approprier ces concepts-là et de les traduire à travers des structures d’organisation qui leur siéent. Il a, par ailleurs, affirmé que l’ESS connaît un intérêt croissant dans le monde au Nord comme au Sud. Et pour cause, les limites des modèles classiques de l’entrepreneuriat individuel et le chômage persistant des jeunes, exacerbé par la crise économique.
«Les gens se rendent compte qu’il faut un changement du modèle. L’idée est de pousser les jeunes à s’organiser d’une manière collective. Il est important aussi de noter qu’il y a un intérêt à recentrer l’économie au niveau de la société. Les gens veulent se réapproprier l’économie», a-t-il précisé. En outre, M. Tchami a souligné l’importance de faire accéder les entreprises ESS à la finance tout en insistant sur le rôle clé que joue la dissémination des messages sur les concepts de l’ESS dans sa vulgarisation auprès des jeunes, même s’il n’y a pas une définition universelle de l’ESS. «Il est important d’inculquer l’ESS à tous les étudiants qui font des études en sciences économiques pour qu’il y ait un vivier d’experts en ESS», a-t-il affirmé.
Accès limité aux nouveaux acteurs
De son côté, l’expert en entrepreneuriat auprès du Pnud, Akram Haddad, a affirmé que l’ESS est perçue en Tunisie comme une troisième voie qui répare «ce qui est cassé», alors qu’elle doit représenter un nouveau mainstream, une nouvelle normalité. «Il faut que toute l’économie soit basée sur les trois piliers de l’entrepreneuriat social qui sont le social, l’environnemental et l’intérêt», a-t-il indiqué. Il a expliqué, à cet égard, qu’il n’y a pas réellement un écosystème d’ESS en Tunisie, soulignant que c’est aux créateurs du changement de le redéfinir. Il a précisé, en somme, qu’il est important de développer des alliances innovantes et audacieuses avec divers acteurs, notamment les grandes entreprises pour faciliter l’accès à ces nouveaux acteurs au tissu économique, critiquant le fait que le modèle insaturé en Tunisie, à travers la loi relative à l’ESS, reconnaît l’entreprise sociale mais ne reconnaît pas l’entrepreneur social.
Des garde-fous à mettre en place
Le directeur général d’Impact Partner, Fares Mabrouk, a souligné, de son côté, l’impératif «d’ôter le dogme et l’idéologie de l’ESS». Il a indiqué qu’en Tunisie le monopole de l’action sociale a été, depuis toujours, détenu par l’Etat et qu’après la révolution, plusieurs acteurs de la société civile s’y sont investis. Il a fait savoir que face à l’échec de l’Etat et du secteur privé à apporter le progrès social, l’ESS constitue, en contrepartie, un moyen pour l’atteindre. Néanmoins, explique-t-il, ce modèle de développement peut avoir des répercussions dangereuses au cas où il dérape.
Il a affirmé, dans ce sens, que les pouvoirs publics ont un rôle fondamental à jouer pour mettre en place les garde-fous contre les dérives en instaurant une batterie de normes et de certifications permettant de garantir à l’ESS d’être à la hauteur de sa vocation sociale. Il a cité, à cet égard, l’exemple de la micro-finance, un outil réussi de financement pour les couches vulnérables, qui a, toutefois, connu des dérapages au Mexique, au Maroc et en Inde. En effet, M. Mabrouk a expliqué qu’en l’absence de régulateur, il y a eu des abus au niveau des taux d’intérêt pratiqués, ce qui a enfoncé ces couches vulnérables dans l’endettement et la pauvreté.
Favoriser le PPP pour permettre l’essor de l’ESS
Livrant un témoignage sur l’expérience de «Délice» avec les éleveurs de vaches laitières qui constituent l’un des principaux maillons de la filière laitière, le directeur central de «Délice», Dhiaeddine Mhamed, a évoqué le partenariat qui a été conclu entre l’entreprise et la coopération allemande et financé par Attijari Bank. Son objectif est de renforcer les capacités techniques des éleveurs et de minimiser les risques inhérents à leur financement par les banques. Ce projet qui s’inscrit dans le cadre de la Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) de «Délice» a permis de dispenser des formations technico-financières permettant aux éleveurs de monter en compétence et de mieux rentabiliser leurs activités. Parmi les résultats récoltés, M. Mhamed a fait savoir que la production du lait a augmenté de 3% chez cette catégorie de producteurs.
De son côté, la responsable Marché TPE au sein d’Attijari Bank, Manel Brahim, a souligné que le Partenariat Public-Privé est le meilleur moyen d’ancrer l’innovation sociale, dans un contexte où l’Etat n’est pas parvenu à enrayer la crise et le chômage des jeunes. Les startup qui ont réussi à s’accaparer leur part du marché en sont la meilleure preuve, a-t-elle expliqué.