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Rétrospectives 2020 | Houcine Dimassi, Ancien ministre des Finances : “On fait face à un déficit énorme et personne n’en parle!”

Pour l’économiste et ancien ministre des Finances, tous les indicateurs macroéconomiques révèlent que le pays fait face à une crise sans précédent. Les moteurs de la croissance étant toujours grippés, les perspectives d’une éventuelle reprise, en 2021, sont éloignées.

2020 est l’année de toutes les difficultés. Pour la décrire économiquement, il faut puiser dans le champ lexical de la crise : «Récession», “effondrement de la demande”, “hausse du chômage”, “aggravation du déficit budgétaire”… Faire une rétrospective de l’année 2020 n’est pas du tout plaisant. Certes, la récession  planétaire provoquée par l’épidémie du coronavirus est le fait saillant de cette année, hors du commun, mais la situation économique est encore plus compliquée en Tunisie. Le Covid n’a fait qu’aggraver une crise persistante et enfoncer le dernier clou  dans le cercueil d’une économie essoufflée. C’est en tout cas ce qu’a affirmé, en somme, l’économiste et ancien ministre des Finances, Houcine Dimassi, dans une déclaration accordée à La Presse. Dressant le bilan économique de l’année 2020, Dimassi a souligné que c’est une année extrêmement difficile. Du jamais vu, à tous les égards, soutient-il.  Pour étayer son point de vue, l’économiste s’est référé à trois principaux indicateurs macroéconomiques, à savoir la croissance, le déficit budgétaire et la balance commerciale.

Un déficit inédit, absence de ressources !

“Si on se réfère au premier et principal indicateur qui détermine tout le reste, qui est la croissance économique, on trouve que c’est une croissance négative, dont le taux serait, selon mes estimations,  à fin décembre 2020, de -10%, même si les autorités tablent sur un taux de – 7%. A mon sens, le taux serait encore plus bas. Le second indicateur qui est le déficit budgétaire de l’Etat miroite un niveau sans précédent. Et le problème fondamental, c’est que jusqu’à présent, personne ne sait comment on va le combler et dans quelles ressources financières, on  va puiser pour le pallier”, a-t-il indiqué.

Interrogé sur la possibilité du recours au refinancement du marché par la BCT, Dimassi a répondu que la Banque Centrale s’oppose à cette tendance. “Le gouvernement peut imposer une telle opération mais  ça serait à l’origine du déclenchement d’une crise institutionnelle, très grave, entre le gouvernement et la BCT. En tout cas, jusqu’à présent, la BCT n’est pas prête à financer tout le déficit. Le gouverneur a déclaré que l’institution est prête à injecter au plus 3 milliards de dinars. Mais, ce n’est pas quelque chose de nouveau pour la BCT étant donné que les BTA,  émis par l’Etat durant les années précédentes, étaient en très grande partie, financés par la  BCT à travers le refinancement. Donc, ce que propose le gouverneur n’est pas nouveau et ne résoudra pas le problème de l’impasse budgétaire.

En effet, après avoir ramené le déficit  budgétaire de 2020 de 10,5 milliards de dinars à 8,5 milliards, et dans le cas où la BCT intervient en injectant les supposés 3 milliards de dinars,  il reste 5 milliards de dinars à combler, mais  personne n’explique comment. C’est extraordinaire ce pays! On fait face à un déficit énorme et personne n’en parle, personne ne l’explique et personne ne donne son point de vue sur comment agir et que faire pour s’en sortir. Ça aussi, c’est nouveau!  On s’enlise sans crier gare!”, a-t-il ajouté.

Fausse amélioration de la balance commerciale

Revenant sur le troisième indicateur, en l’occurrence l’amélioration de la balance commerciale, l’ancien ministre des Finances a expliqué qu’il s’agit bien d’une fausse amélioration parce que la baisse des importations, qui a été enregistrée au cours de 2020, touche principalement les biens d’équipements et la matière première, les carburants de la croissance. “ La balance commerciale donne l’impression de s’améliorer, mais c’est absolument faux. Certes, le déficit apparent de la balance commerciale s’est réduit, mais si on essaie d’expliquer la tendance baissière du déficit, on voit qu’elle est due  à la baisse des importations.  Ce qui est très grave, c’est que la baisse des importations touche surtout les biens d’équipements et la matière première, c’est-à-dire tout ce qui est nécessaire pour dynamiser l’économie. Cela prouve que la situation est extrêmement difficile. Il est vrai que  cette crise est provoquée par des phénomènes exogènes, mais je tiens à dire que le Covid n’a fait qu’aggraver la situation. Les causes qui sont derrière cette situation difficile sont anciennes et datent de plusieurs années. Cette situation est le résultat du  cumul de plusieurs  problèmes qu’on n’a pas traités, courageusement,  à temps”, a-t-il expliqué.

Investissement en berne

S’agissant des perspectives 2021, Dimassi est peu optimiste. Et pour cause: les moteurs de la croissance, en l’occurrence l’investissement, l’export et la consommation, sont encore grippés. “Personnellement, je pense que les perspectives 2021 ne sont pas prometteuses. Les principaux moteurs de la reprise de la croissance sont toujours en panne. Pis encore, la situation s’aggrave. Commençons d’abord par l’investissement. Tant qu’on ne procède pas à un changement du système politique de notre pays,  à commencer par la loi électorale et quelques articles de la Constitution, le flou va persister pour les investisseurs locaux et étrangers. Les perspectives d’investissement  demeurent sombres et méconnues. Les investisseurs continueront à rechigner à  investir dans des projets de  taille qui peuvent effectivement provoquer une reprise de l’économie”, a-t-il souligné. Pour les exportations, Dimassi a expliqué que la situation va continuer d’empirer étant donné que notre premier marché destinataire, en l’occurrence l’Europe,  traverse une crise aiguë.

Ralentissement des exportations et effondrement de la demande

“Pour les exportations, c’est encore pire. Elles souffrent de deux problèmes qui sont en passe de devenir structurels. Tout d’abord, le secteur de l’exportation est étroitement lié à la situation de l’Europe qui fait face à une  crise économique exacerbée par la crise liée au Covid . En tout cas, une chose est sûre, cette crise va persister au moins durant l’année prochaine. La seconde raison, c’est qu’on a perdu notre capacité compétitive. Pendant une dizaine d’années, le coût de production de notre pays ne cesse de galoper, en contrepartie, la productivité ne cesse de baisser. Ces deux phénomènes contradictoires ont provoqué une perte quasi totale des capacités de compétitivité, c’est-à-dire que nous ne sommes plus concurrentiels sur le marché européen. Malheureusement, on a tiré la sonnette d’alarme sur le sujet, des centaines de fois pendant des années et personne n’a prêté oreille”,  a souligné Dimassi. Quant à la consommation intérieure, qui est le troisième moteur, elle s’est écroulée, a-t-il affirmé. “Ralentie, depuis plusieurs années, la consommation intérieure est devenue, maintenant, une contrainte très importante parce que la crise, qu’a traversée le pays en 2020 et qui va probablement continuer en 2021, a provoqué une perte importante du pouvoir d’achat d’une très grande partie de la population. Donc, pour résumer, les trois moteurs fondamentaux de la croissance sont grippés et la situation risque de s’aggraver.  Malheureusement, on veut sortir de l’ornière  sans changer quoi que ce soit!”, a -t-il conclu.

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