
Par Mohamed Meddah |
Mardi 2 février 2021, décès de mon cher et regretté cousin et frère, Sid’Ahmed Ben Miled, j’avais, sous l’effet de l’énorme douleur, oublié de relater ce qu’il a fait pour la promotion du jazz en Tunisie !
On doit savoir, de prime abord, que Sid’Ahmed était féru de musique, et surtout de la musique jazz, depuis les années 50 ! Le fait qu’il ait travaillé à l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique et qu’il y ait rencontré souvent des Américains de souche africaine a probablement accru son intérêt pour la musique de jazz. A l’époque, il y avait très peu de personnes qui étaient éprises de jazz ! Et comme elles étaient si peu nombreuses, il était tout à fait normal qu’elles aient fini par se rencontrer ! C’est ainsi que Sid’Ahmed fit la connaissance de Mongi Majeri, de Kamel Turki, de Bernard Maruani et de Raymond Calvo ! Ils devinrent pratiquement inséparables et organisaient souvent des séances d’écoute de jazz dans l’appartement de Sid’ Ahmed !
Fondation du Jazz Club de Tunisie
En 1961, ils fondèrent ensemble le Jazz Club de Tunisie (JCT) et décidèrent également de former un orchestre de jazz qu’ils nommèrent «Ibn El Jazz Quartet» ! Ce nom était tout trouvé parce que Sid’Ahmed et Raymond Calvo habitaient justement à la Rue Ibn El Jazzar, dans le quartier Lafayette ! Dans le Quartet, il jouait tantôt de la guitare, tantôt de la contrebasse, Mongi Majeri, dont la spécialité était l’harmonica, jouait aussi de la contrebasse, Kamel Turki de la batterie et Bernard Maruani du trombone ! Ils faisaient leurs répétitions à la Maison des Jeunes du Belvédère puis, plus tard, à la Maison de la Culture Ibn Khaldoun, dont le directeur était Si Abdelkader Klibi ! Et chaque fois qu’ils donnaient une représentation, ils avaient beaucoup de succès !
Sid’Ahmed a même composé un très joli morceau appelé «Christiane», du nom d’une fiancée belge d’un de ses proches amis ! Ce morceau, où il fait un excellent solo de guitare, a eu également beaucoup de succès ! Je ne sais s’il existe, encore aujourd’hui, un enregistrement de ce morceau ! Au sein du Jazz Club de Tunisie, ils ont été notamment rejoints par Si Noureddine Mejdoub (ancien Ambassadeur de Tunisie), Raymond Calvo, qui était, à l’origine, un chanteur de charme très célèbre auprès de la communauté juive de Tunis.
Le jazz, de Carthage à Tabarka,
Au début des années 60, quand le Festival de Carthage fut créé, Sid’Ahmed et quelques membres du Jazz Club de Tunisie eurent l’idée de solliciter une audience auprès du défunt Si Chédli Klibi, alors ministre des Affaires culturelles, et lui demandèrent d’inclure une Journée de Jazz dans le programme du Festival de Carthage ! Ce qui fut fait et c’est comme cela que nous avons pu voir à Tunis, à l’époque, d’illustres vedettes de jazz, comme Louis Armstrong, Lionel Hampton, Charlie Byrd, etc… C’est ainsi que le Festival de Jazz de Carthage a vu le jour et qu’il a été le précurseur du Festival de Jazz de Tabarka qui existe de nos jours !
En ce temps- là, le JCT avait pu également compter sur la précieuse collaboration de Si Abdelwahab Chérif, qui était alors en poste à notre Consulat général à Paris, et qui avait facilité les contacts entre les vedettes de jazz et les membres du JCT pour leur engagement à la soirée de jazz du Festival de Carthage ! Moi-même, par le contact avec Sid’Ahmed, je suis devenu, bien sûr, un mordu de jazz ! Je me souviendrai toujours du jour où, écoutant pour la première fois, dans l’appartement de Sid’Ahmed, la chanson «What’d I say» de Ray Charles, je suis quasi entré en transe, tellement j’étais impressionné par ce genre de musique !
J’étais devenu si passionné, qu’à partir de 1970, j’étais pratiquement membre du JCT et même l’adjoint du secrétaire général Raymond Calvo ! J’y ai poursuivi mon activité jusqu’en avril 1973, date de mon affectation à notre Ambassade à Vienne! J’ai également en mémoire qu’au début des années 70, Sid’Ahmed a accordé une interview à la Télévision nationale tunisienne concernant le jazz en Tunisie ! Elle doit exister quelque part dans les archives de la Télévision nationale !
Rêve inachevé
Ayant fait ressortir la précieuse et importante contribution de Sid’Ahmed au jazz en Tunisie, je dois aussi vous révéler que depuis le milieu des années 50, Sid’Ahmed, appelé Ben par les Américains de l’Ambassade des USA à Tunis et par ses amis intimes, a toujours rêvé de se rendre aux Etats-Unis d’Amérique pour y étudier la musique de jazz et faire carrière dans ce domaine ! Ce rêve l’avait toujours accompagné comme une obsession ! Mais, pourtant, il semblait toujours reculer l’échéance du départ pour les Etats-Unis d’Amérique ! Personnellement, je l’y avais beaucoup encouragé car je savais pertinemment que le jazz occupait une place prépondérante dans sa vie ! J’ai fini par découvrir qu’il avait sacrifié l’occasion de départ aux USA pour ne pas laisser son frère Si Jamel seul à Tunis ! En effet, ils étaient orphelins, de père et de mère, depuis leur jeune âge et étaient donc très proches l’un de l’autre, se soutenant mutuellement! Oui, c’était cela aussi Sid’Ahmed : hypersensible, généreux, aimable, correct, poli, timide, très modeste, toujours disposé à aider quiconque, jamais rancunier (même envers ceux qui lui ont fait du mal), toujours affable, toujours souriant, bon vivant … !
Il a fallu que, beaucoup plus tard (après son mariage et après avoir eu quatre enfants ), son fils Imed et sa fille Lilia aient décidé d’émigrer aux États – Unis d’Amérique pour qu’il les rejoigne , là où il avait toujours rêvé d’aller pour approfondir ses connaissances dans le domaine du jazz ! Mais il était déjà trop vieux pour suivre des études musicales. Il était plusieurs fois grand- père et se complaisait, donc, au sein de cette nouvelle ambiance familiale !
*Mohamed Meddah,
ancien diplomate
Nasser Aissaoui
12 février 2021 à 13:22
Que c bien raconté! Que » Ben » repose en paix.