Accueil Actualités Tribune | Où allons-nous mener notre beau pays? (1ère partie)

Tribune | Où allons-nous mener notre beau pays? (1ère partie)

Par  Boubaker BENKRAIEM*

Je tiens, tout d’abord, à saluer notre vaillante armée nationale qui, malgré tout ce qu’elle a enduré, durant les soixante dernières années, demeure fidèle à ses nobles principes qui sont « Dévouement à la Patrie et Fidélité à la République ». Je rends hommage à ce Corps exceptionnel qui, malgré ses modestes moyens, et bien que se trouvant, depuis fin décembre 2010, au four et au moulin, assure, rassure et  conforte le peuple tunisien qui n’est pas habitué à vivre, pendant une aussi longue période, pareille situation. Par son charisme, sa modestie et sa présence, elle a permis aux Tunisiennes et aux Tunisiens d’être toujours confiants et sereins car, de par ses racines, sa vocation et ses convictions, elle est la garante de l’invulnérabilité de la Tunisie, de son indépendance et de sa sécurité. Je m’incline devant les corps des quatre valeureux cadres et gradés militaires qui, tout dernièrement, sont tombés au champ d’honneur, victimes de mine placée par des lâches qui, tôt ou tard, paieront, très cher, leur acte ignoble. Aussi, la situation que vit le pays ne permet pas à cette Armée, de se refaire une santé, de se réorganiser,de s’instruire, de s’entraîner et bien sûr, reprendre des forces tout en continuant à assurer sa mission principale, la défense de l’intégrité du territoire national. 

Quant au maintien de l’ordre, nos forces de sécurité intérieure sont capables, pour peu que la volonté politique soit évidente, de remplir leur mission à la perfection. Elles ont besoin, et cela est absolument indispensable, d’être protégées par des textes de loi nets, clairs et précis et des règles d’engagement ne permettant ni doute ni équivoque quant à la conduite des opérations et la responsabilité de chacun des niveaux concernés, décideurs et agents d’exécution. Soutenues par l’Autorité politique, légèrement renforcées et assez bien motivées, et tout en demeurant apolitiques, elles sont en mesure, sans l’ombre d’aucun doute, d’accomplir cette tâche difficile, pénible mais ô combien exaltante pour une Police Républicaine. La création de syndicats au sein des Forces de Sécurité Intérieure n’a pas été une décision sage et judicieuse et très peu de pays dans le monde l’ont autorisée. Comme ils sont là, nous leur demandons, seulement, d’être, toujours, neutres, républicains et évidemment nationalistes.

Durant cette dernière décennie, notre Armée a été mêlée à toutes les sauces : maintien de l’ordre, protection des frontières durant la révolution libyenne, accueil, installation et soutien des réfugiés de Libye, protection des sites sensibles et économiques importants, soutien logistique et sécuritaire des élections, et  naturellement mener la guerre… au terrorisme.

Messieurs les Hommes Politiques, les Chefs de Partis, les Représentants du Peuple, les Responsables Syndicaux, les Personnalités de Premier Plan :

N’oublions surtout pas que si notre pays coule, il engloutira avec lui toutes les composantes de la société sans distinction, qu’elles soient de gauche, de droite ou du centre, du gouvernement ou de l’opposition, travailleur ou chômeur, riche ou pauvre, jeune ou vieux. Alors, réveillons-nous et aidons, du mieux que nous pouvons, et dans l’intérêt de nous tous, ce gouvernement à faire correctement son travail. Cela n’empêche qu’il est tout à fait légitime de le critiquer, mais que vos critiques soient, surtout, constructives. Mais rappelons-nous surtout de l’essentiel : la pérennité de notre Nation, la sauvegarde de ses intérêts et de ses valeurs, la stabilité de notre Pays. Tout le reste est discutable car c’est le jeu de la Démocratie. Mais où voulons –nous mener notre pays?

Ce qui est grave et même triste, c’est que l’Etat est en train de perdre, jour après jour, de son autorité et de son prestige et le gouvernement de sa crédibilité: comment peut-on accepter, dix ans après la Révolution, que quelques dizaines de citoyens, outrepassant l’interdiction de circulation dans la zone saharienne, ont — il y a quelques semaines et pour des motifs, malgré tout, discutables parce qu’ils touchent aux intérêts suprêmes du pays—, pénétré dans une zone militaire saharienne interdite, fermé la vanne du gazoduc causant des pertes incalculables à l’entreprise et au pays et n’ont été, nullement, dérangé par les autorités. Ils ont posé leurs conditions pour rouvrir la vanne, augmentant de la sorte les difficultés financières que vit la Tunisie. D’autre jeunes, et pour diverses raisons, venaient devant le siège d’un gouvernorat ou d’une délégation, ou d’une direction régionale, scander le slogan «Dégage» à l’intention du responsable en place, qu’il soit gouverneur, P.-d.g., délégué ou directeur? Comment, quelles que soient les raisons des manifestations et des demandes, aussi légitimes soient-elles, on avait admis et toléré cela ?De quel droit agissaient-ils de la sorte ? Ne voyant aucune réaction énergique de l’Etat condamnant et interdisant ce comportement nuisible et dangereux parce qu’il est contagieux, l’on est en droit de se poser des questions : pourquoi cet immobilisme, ce laxisme et ce mutisme de la part des autorités ? Dans quel but laisse-t-on faire et autorise-t-on pareille conduite? Est-ce ainsi que nous allons vaincre le chômage ? Est-ce ainsi que nous allons encourager les bailleurs de fonds à venir investir dans le pays ? Est-ce ainsi que la démocratie va être ancrée dans nos esprits, dans notre attitude, et dans nos mœurs ?

C’était compréhensible durant les premiers mois de la Révolution pour plusieurs raisons dont l’absence d’une autorité légitime, mais cela s’est prolongé durant des années et si cela est devenu une habitude, banalisée, alors adieu veau, vache, bœuf, couvée, comme l’a si bien dit La Fontaine ! Admettre cela et ne pas réagir en utilisant, tous les moyens légaux disponibles, et même, au besoin, la force, détériorera davantage le prestige de l’Etat et rendra encore plus difficile la reprise en main nécessaire et indispensable au développement économique tant souhaité (retour des investisseurs étrangers et tunisiens et encouragement aux nouveaux, reprise des activités touristiques, etc.) sans lequel le pays ne peut ni évoluer, ni juguler le chômage, l’ennemi public numéro un par excellence.  Comment tolérer encore les barrages routiers ou sur la voie ferrée, faisant fi de toutes les règles et occasionnant souvent des pertes énormes à l’économie du pays et sanctionnant, gratuitement, de pauvres citoyens et empêchant d’autres de rejoindre leur lieu de travail, leur gagne-pain. Mais où allons-nous, Messieurs ?

Je suis désolé de faire ce constat : un gouvernement légitime, soutenu et appuyé par les représentants du peuple et ayant leur confiance ne doit pas se contenter, sous prétexte de démocratie et  de liberté, d’observer, de laisser faire ou de négocier timidement, tout en démontrant une quelconque nonchalance ou une certaine faiblesse. C’est alors la Loi de la jungle et tout le monde y perdra, à commencer par le gouvernement lui-même. Relisons l’histoire tout à fait récente et rappelons-nous comment les choses ont commencé et évolué, chez certains voisins non loin de nous, il n’y a pas si longtemps. Il y a beaucoup de similitudes dans la démarche de nos enfants, ces satellitaires ??? qui cassent, qui brûlent et qui dérangent.

D’autre part, je demande à la classe politique et surtout aux responsables des partis, petits ou grands, d’avoir une certaine honnêteté intellectuelle en parlant du passé de la Tunisie, et surtout des réalisations qui y ont été effectuées durant le demi-siècle écoulé : Messieurs, en continuant à dire que rien n’a été fait, que les régions de l’intérieur étaient les oubliées de la planète, vous êtes en train de perdre de votre crédibilité car le monde entier et surtout nos partenaires occidentaux ainsi que les organismes internationaux connaissent mieux que quiconque le niveau atteint par notre pays, dans tous les domaines depuis l’Indépendance. En 1956, nous étions quelque trois millions à trois millions et demi d’habitants et nous avions, au minimum, près de soixante-dix pour cent d’illettrés parmi la population. Le pays ne comptait en tout et pour tout qu’une dizaine de lycées lors de l’indépendance et le Président Bourguiba en a laissé, trente ans plus tard, plusieurs centaines et peut-être près d’un millier en 1987. Soyons sérieux et honnêtes et faisons la comparaison avec ce qui existe aujourd’hui et ce qui existait, déjà, en 2011. Je ne veux défendre ni le Président Bourguiba qui, malgré les erreurs commises, demeurera l’un des plus grands Hommes de l’Histoire de la Tunisie, si ce n’est le plus grand, ni celui de Ben Ali qui a réalisé, quand même, beaucoup de choses et les faits sont là. Je n’ai pas entendu un seul responsable politique reconnaître qu’en cinquante ans, beaucoup de choses positives ont été réalisées et cela est regrettable car on ne peut, en aucune manière, effacer notre Histoire. Et , en toute honnêteté, qu’avons-nous réalisé durant cette dernière décennie, la décennie de la Révolution ? Je prends l’exemple d’un gouvernorat du Centre qui  a souvent été cité comme étant, ainsi que plusieurs gouvernorats frontaliers, marginalisé, négligé et oublié par les anciens régimes et qu’il n’a pas eu sa part de développement. J’ai vu, à la télévision, des tables rondes organisées par les chaînes de télé tunisiennes et au cours de l’une d’elles, un citoyen originaire de ce gouvernorat est intervenu en direct pour crier haut et fort «notre gouvernorat a été tellement oublié que personne parmi nous n’a été désigné, du temps de Bourguiba et de Ben Ali au poste de P.-d.g., de gouverneur ou de haut cadre de l’Etat».  Personne, parmi l’assistance, n’a bronché et n’a eu le courage de le contredire et même les deux journalistes présents et leurs invités savent, j’en suis persuadé, qu’il ne disait pas la vérité !!! Personne ne voulait «se mouiller» en le remettant à sa place car, par les temps qui courent, on est mieux apprécié quand on dénigre. Où voulons-nous mener, de la sorte, notre pays ?

• Ancien sous-chef d’Etat- Major de l’Armée

• Ancien gouverneur

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