«Au fond de moi, la vague cogne à ses parois
Mugissante venant de loin, bleue
Je deviens mer et je porte les oiseaux
Je parle à la place de l’eau
J’entends venir une voix au fond de moi
Serait-ce le souffle du vent
Enfermé dans un coquillage ?» (Aïda Hamza)
Ce sont là des vers heureux, inspirés par le vent du matin ou sortis d’un coquillage et que la poète et conteuse pour enfants Aîda Hamza trouve soudain dans les méandres de sa voix avec d’autres poèmes mus par le désir de regarder dans le noir et d’y saisir le bleu du ciel. C’est un «Chapelet de mots» qui sait se faire aimer très vite, parce que sa bonne qualité est certaine et elle est dans cette écriture sortant d’un seul mouvement de l’ombre, sans jactance et sans tintamarre. Elle est grâce, plasticité et fluidité des images, des rythmes et des sons.
C’est quelque chose qui tient de l’eau de roche coulant avec saveur, ou des sanglots, de l’écume ou encore du vent léger berçant le silence des absents ; et c’est la nuit qui devient magiquement jour sous la plume d’une poète, une vraie, ayant compris, dès le commencement, que le mot qui touche et qui transcende le monde «est un regard dans le noir» (Hugo) et qu’écrire, c’est regarder dans l’obscurité des choses et de nous-mêmes pour essayer d’atteindre cette mystérieuse beauté qui nous manque et nous échappe. Et qui est, curieusement, d’abord verbale, faite de vocables et de syntaxe, comme celle du sorcier qui, du corps malade, exorcise le démon et enchante l’âme traquée par le mal.
Aïda Hamza a compris tout cela. Elle sait beaucoup mieux que d’autres que dans le territoire de la poésie, l’essentiel n’est pas de raconter le jour ou la nuit, mais de trouver les mots, la combinaison syntaxique et le rythme qui, comme chez le sorcier ou le magicien, permettent de tirer le jour de la nuit, de tisser le ciel bleu avec des nuages, du tonnerre et de la foudre. Ecoutons quand il ne s’agit que d’écouter pour apprécier :
«Ecrire encore jusqu’à en perdre pied
Jusqu’au vertige
Ecrire jusqu’à ce que l’encre tarisse
Le bleu du ciel, le vert de la mer
Et l’écume brodée à l’envers
Jusqu’à atteindre la lune pour la dévider
Et tisser de fil d’or mon cahier».
Ou encore ces vers de pénétration informant sur la relation de Aïda Hamza à l’écriture :
«J’écris des mots pour tisser le ciel gris
Pour tisser la nuit
J’écris des mots en cadence
Pour entrer dans la danse
J’écris des mots pour te voir»
Et c’est bien cette relation particulière, créatrice, aux signes de la langue que Aïda Hamza semble définir dans divers morceaux de ce recueil dont, entre autres, «J’écris comme l’aveugle», «J’ai des doigts glacés», «La poésie», «Libres, les mots», «Veille le mot», «Je craque les mots», etc. Elle la définit en s’appliquant à donner une identité, une fonction et un horizon de lumière à son entreprise poétique. Ce qu’elle en dit avec des mots familiers et simples, mais investis dans de belles constructions métaphoriques, synecdotiques, oxymoriques et anaphoriques, sollicite l’attention et procure une jouissance poétique certaine. Car l’expression est ici soignée au suprême, souvent captivante et belle. Elle n’est pas que jeux rythmiques et sonores. C’est une forme pleine d’une âme vive, quelque peu blessée peut-être, qui vibre dans des lignes d’encre se distribuant sur le blanc des pages comme les fragments d’un cœur qui s’éclate pour mieux vivre, pour enfin obtenir la joie qui lui manque. Inquiet, tantôt grave, tantôt rieur, ce cœur chevauche les mots du poème pour s’ouvrir au monde et livrer ses murmures, ses rêves et ses émotions, dans l’espoir, renouvelé et tenace, de nous arracher à notre indifférence et à cette médiocrité autour de nous triomphante.
Ecoutons encore chanter les vers :
«Il suffirait parfois d’un mot
Pour faire rêver bien des enfants
Il suffirait parfois d’un mot
Ou d’un regard quand il faut
Pour faire aimer bien des enfants»
De bout en bout, dans cette grappe de sons et d’images, inlassablement, Aïda Hamza traque le vide et la froideur du quotidien pour nous promettre, sans cesse, par-delà ses syllabes chantantes, des fenêtres ouvertes sur un printemps de bonheur.
Ce «Chapelet de mots» à la recherche du jour qui, quand «la lune est bleue» et «frémit sur l’onde», chante dans «le clapotis de l’eau» et «l’ourlet de la nuit», ne risque pas de vous laisser indifférents. Car, c’est bien pour vous, lecteur, que le cœur de cette poète, délicate et aimante, bat :
«J’ai le cœur qui bat pour vous
Au rythme de l’aurore
J’ai le cœur qui bat, écoute
Au rythme du jour
Au rythme de l’amour
Au rythme de la vie
Au rythme de la nuit
J’ai le cœur qui bat pour vous !»