Il va sans dire que les participants à la marche du 27 mars dernier, dont j’étais l’un des organisateurs, sont pleins de bonnes intentions, mais certains indices prouvent que leurs bonnes intentions ont été exploitées dans d’autres desseins que ceux de la sauvegarde du patrimoine archéologique carthaginois, classé par l’Unesco patrimoine mondial.
Il n’y a qu’à observer l’itinéraire parcouru par la marche et dont le point de départ était en deçà de Borj Boukhris, qui est brigué par beaucoup de gros prédateurs toujours aux aguets et qui ont essayé, à maintes reprises, de trouver la faille pour s’emparer du gros lot. (Borj Boukhris compte plusieurs hectares susceptibles de permettre un projet foncier juteux de multiples immeubles face à Sidi Bou Saïd).
La dernière tentative est celle du conseil municipal carthaginois, qui a pris la décision d’adresser une demande de cession dudit Borj et, tenez-vous bien, des ports puniques, par le ministère des Affaires culturelles, à la municipalité, dans le but d’y asseoir des projets culturels grandioses que l’Etat n’envisage même pas, eu égard à la masse énorme des capitaux à engager et de son hésitation à opter pour l’investissement public/privé.
Par ailleurs, nous n’omettons point de rappeler que la municipalité de Carthage est l’une des plus paupérisées des municipalités, les plus pauvres. Qu’est-ce qui justifie, donc, la tentative de s’approprier ces hauts lieux de la culture et du patrimoine par une municipalité pauvre?
Qui viendra au secours de cette municipalité pour réaliser ses rêves féeriques de rivaliser avec la taille gigantesque du bœuf, loin de toute source d’eau qu’elle croirait capable de lui permettre de grossir, à l’image de mère grenouille?
L’un des slogans de notre marche était : «Hizz yiddik Ala Carthage!». Qui est visé, d’après vous?
En premier lieu, les gros prédateurs qui se cachent derrière des personnes honnêtes engagées dans la défense, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine. Ce rôle est l’apanage des institutions de l’Etat.
Mais l’Etat n’a jamais assumé ses prérogatives à l’égard du patrimoine archéologique. Il aurait pu engager la procédure de l’acquisition de tous les terrains archéologiques possédés par les familles des propriétaires agraires abandonnés à leur triste sort, car ils ne pouvaient ni vendre à prix raisonnable leurs terres, ni continuer à les exploiter sur le plan agricole, puisqu’on leur interdisait de s’adonner à leur activité essentielle : l’élevage des vaches laitières et des veaux pour la production de viande rouge.
Pourtant, ces mêmes autorités disposaient de terrains réservés à l’opération de compensation des terres en zone jaune non ædificandi (zone archéologique où il est interdit de bâtir).
Pourtant, rien n’est fait et ces terrains réservés par l’Etat, (seniat errommen et l’actuelle cité Tanit) pour mettre les zones archéologiques à la disposition de l’Etat, firent l’objet de projets immobiliers juteux, bien que la compensation inique fût acceptée de bon cœur, par tous les citoyens paysans carthaginois.
De plus, du jour au lendemain, la municipalité a décidé que l’élevage est désormais, interdit en zone municipale.
En conséquence, tous les propriétaires d’étables ont vendu leurs bêtes pour moins que rien, craignant que la municipalité ne les saisisse car, un ultimatum fut adressé à tout un chacun, le contraignant de démolir son étable, à son propre compte et contrairement à la loi, sans compensation aucune.
Du jour au lendemain, des familles, que dis-je, des smalas, se sont retrouvées sans source de revenus, acculées à trouver de quoi survivre ou végéter ou mourir de faim et d’injustice.
Situation tragi-comique: ces pauvres agriculteurs étaient transformés en agriculteurs pauvres car, sans animaux à élever ni terre à cultiver puisque les deux activités étaient organiquement liées.
Il se trouve que les anciens habitants de la Maâlga furent délogés de leur environnement habituel depuis le XIIIe siècle, pour être relogés à la cité Mohamed Ali à Carthage, restée sans le moindre confort jusqu’au jour d’aujourd’hui et dont la majorité des habitants ne détient aucun document officiel explicitant leur statut de propriétaire, voire de locataire.
La protection et la mise en valeur des citernes de la célèbre Maâlga
Rien ne fut fait et la Maâlga du début des années soixante s’est figée loin de toute mise en valeur et sans protection aucune. Au contraire, durant la saison des pluies, l’eau s’accumule dans les citernes et en pourrissant, elle mute en matrice desservant toute la ville en moustiques. Revenons maintenant à nos représentants de la *société civile* carthaginoise.
Ils ne dépassaient guère la cinquantaine et n’avaient d’yeux que pour le patrimoine des damnés de la terre, comme les appelait Franz Fanon.
Ils n’ont point d’yeux pour les gros prédateurs qui, au vu et au su de la municipalité, se permettaient le luxe de s’offrir des piscines suite à une autorisation de creuser un puits. C’est dire qu’ils avaient pignon sur rue, en matière de vente d’armes (sic).
Un autre s’offrait le luxe de défoncer au moyen d’un bulldozer, celui de la municipalité disait une mauvaise langue, des ruines en profondeur de plus de quatre mètres, à cent pour cent carthaginoises selon les archéologues, sous l’œil protecteur du conseiller en chef de la municipalité, venu sur les lieux pour soutenir les richissimes propriétaires des lieux.
Qui refuserait de défendre notre patrimoine ?
Seule une personne sans aucune culture et sans la moindre fibre de la citoyenneté si louée, dans le giron de la meilleure des constitutions de l’Antiquité. Ou encore, un archéologue qui ne connaît que la donne archéologique, hors de toute dimension humaine.
Nous appelons, en tant que société civile de Carthage, à une égalité devant la loi.
Au nom de tous les citoyens de Carthage, et face à l’irresponsabilité de toutes les institutions de l’Etat, nous revendiquons avec toute l’insistance possible la publication du Ppmv (Plan de protection et de mise en valeur du patrimoine archéologique de Carthage), dans les plus brefs délais. Ledit Ppmv devra mettre un terme aux constructions non autorisées sur les zones jaunes et celles urbaines et interdire, du coup, tout passe-droit.
Face à une situation insoluble, dans une démocratie naissante et conformément à de nombreux jugements des tribunaux, fondés sur des textes transparents, il est MONSTRUEUX de continuer à voir la municipalité refuser à des enfants, en bas âge, le droit à l’eau courante et à l’électricité, les abandonnant à leur sort et préparant leurs devoirs à la lumière d’une bougie et n’ayant droit à un bain qu’une fois par mois, dans une maison où l’eau courante fait défaut, dans l’enceinte de l ‘éternelle Carthage, pour que des charognards mordent impunément, à pleines dents, dans la chair et dans les os de jeunes Tunisiennes et de jeunes Tunisiens, espoirs de notre devenir.
Par Néjib Gaça*
*Activiste