« La digitalisation est un vecteur d’efficacité, de transparence et d’optimisation des ressources. La transformation digitale de l’administration n’est plus une option mais un choix stratégique qui a été déjà engagé en Tunisie et qui est en cours de développement ».
Le constat est sans appel : l’administration tunisienne a plus que jamais besoin de s’adapter à l’évolution incessante des technologies et d’avancer davantage dans le processus de sa digitalisation. C’est ce qui ressort en somme, des différentes interventions des panélistes qui ont participé, mercredi 31 mars, à l’atelier organisé par l’Association tunisienne des contrôleurs publics (Atcp) sur le thème “Le rôle de la digitalisation dans le renforcement de la gouvernance de la gestion dans le secteur public et dans le développement des métiers de l’audit et du contrôle”. Lors de l’atelier, les intervenants ont débattu des diverses difficultés et entraves qui font obstacle à la transformation digitale de l’administration mais ils ont également présenté des projets de digitalisation qui ont été lancés que ce soit à l’échelle nationale (à l’instar du programme national Smart Tunisie ou encore le projet e-gov) ou au niveau de certains établissements publics (le cas de la Snipe-La Presse).
Des avancées sur le plan réglementaire
Rappelant que la digitalisation de l’administration est un processus qui a démarré depuis la fin des années 90 avec la promulgation des lois et des décrets qui balisent la voie à la transition numérique, notamment le décret relatif aux échanges et au commerce électronique et le plan national de numérisation, Imed Hazgui a souligné que la situation sanitaire difficile liée à la propagation du coronavirus a imposé de nouveaux défis à l’administration. La gestion des affaires publiques à travers le télétravail est, dès lors, devenue une nécessité impliquant tout un arsenal juridique adéquat, a-t-il précisé. C’est dans ce contexte qu’il a énuméré les textes de loi et les décrets qui ont été promulgués à cet effet, et qui ont permis, pour la première fois en Tunisie, le télétravail, la tenue des procès à distance, l’officialisation du courrier électronique pour l’échange des données entre les structures publiques outre l’Open Data. “La digitalisation permet la consécration des principes de transparence et de redevabilité. Elle contribue également à l’amélioration de la qualité des services publics et au regain de confiance du citoyen vis-à-vis de l’administration”, a-t-il noté. Cependant, plusieurs difficultés persistent et freinent la transition digitale de l’administration, a-t-il affirmé. Il a souligné, dans ce sens, que la réussite de ce changement est tributaire de plusieurs conditions, à savoir une volonté politique claire, une infrastructure développée, une forte connectivité qui dépasse les 90% (on est actuellement aux alentours de 50%) et un ancrage de la culture numérique au sein des structures publiques pour s’affranchir de la résistance au changement.
Evoquant les défis qu’impose la numérisation aux contrôleurs publics, Hazgui a mis l’accent sur la nécessité d’appuyer les structures de contrôle public en mettant à leur disposition des systèmes d’information développés, conformes aux standards internationaux et intégrés. Il a, dans ce sens, appelé à l’élaboration d’une base de données dédiée au contrôle public comportant toutes les recommandations et les résultats des rapports, outre le recours à l’intelligence artificielle.
Prendre le taureau par les cornes
Abondant dans ce sens, Fathi Chafroud a affirmé dans une déclaration accordée à La Presse que la crise sanitaire ainsi que le confinement général qui a été décidé l’année dernière ont donné un coup d’accélérateur au processus de digitalisation de l’administration, et ont convaincu les plus récalcitrants de cet impératif. “Même les plus récalcitrants ont compris que la digitalisation est cruciale. L’administration était dans l’obligation de continuer à fournir des services de même qualité dans des conditions extraordinaires”, a-t-il indiqué.
Un avis partagé par Violaine Autheman, directrice de projet au sein de Ncsc-Tunisia, qui a affirmé que la crise sanitaire a montré à la fois le potentiel énorme de la digitalisation, mais aussi les limites des méthodes de travail et celles des structures et des systèmes en place qui sont construits autour du papier. “La digitalisation est un vecteur d’efficacité, de transparence et d’optimisation des ressources.
La transformation digitale de l’administration n’est plus une option mais un choix stratégique qui a été déjà engagé en Tunisie, qui est en cours de développement”, a-t-elle précisé. Par ailleurs, Autheman est revenue sur l’initiative qui a été lancée par Ncsc en partenariat avec l’Atcp qui vise à unifier les corps de contrôle public. Et d’ajouter, “ce projet d’unification des corps de contrôle vise à permettre un contrôle beaucoup plus efficace et transparent en les fusionnant sous la tutelle d’un seul ministère, pour une approche unifiée, harmonisée, un contrôle plus ciblé et flexible. Elle permettra également une transition optimisée vers une administration numérique”.
L’exemple de la SNIPE-La Presse
Nabil Gargabou, P.D.G. de la Snipe-La Presse, a de son côté présenté l’état d’avancement du projet de digitalisation de l’entreprise qui compte 280 employés dont 80 journalistes répartis sur les deux rédactions La Presse et Essahafa. “Beaucoup pensent que La Presse va disparaître. Et nous on a beau penser si cette “octogénaire”, est encore capable de s’adapter aux mutations et aux évolutions imposées par la révolution technologique. Qui achète encore un journal pour lire des informations qui ont été diffusées instantanément en temps réel ? Aujourd’hui l’information est produite en instantané et partagée sur les réseaux sociaux gratuitement”, a précisé Gargabou en faisant référence à la crise par laquelle passe la presse quotidienne en Tunisie et dans le monde. Il a également évoqué, brièvement, les difficultés qu’a rencontrées le journal depuis sa création en 1936. “Le journal est passé par des zones de turbulences. Il a également connu de grandes difficultés financières en raison de l’évolution du numérique dans le secteur. A un certain moment, le quotidien n’a pas pu suivre ces évolutions et se repositionner dans le paysage médiatique. instabilité sociale, problèmes de gouvernance, instabilité au niveau de la direction (sept PDG se sont succédé à la tête de la Snipe en 10 ans seulement), étaient autant de difficultés qui ont impacté le système de gouvernance et à un moment donné, l’entreprise était menacée de disparition”, a fait savoir le PDG de La Snipe-La Presse. Il a rappelé, dans ce contexte, les solutions qui ont été pensées par la direction pour insuffler le changement à l’entreprise et renflouer ses caisses vides. Il a, à cet égard, fait savoir que l’entreprise a démarré le projet de numérisation et de valorisation des archives qui va constituer une source supplémentaire de revenus. Le processus avance à pas de charge et a concerné, jusque-là, la période qui s’étale entre 1936 et 1959. Par ailleurs, Gargabou a souligné que l’expérience du confinement (lorsque les journaux ont suspendu les ventes et ont publié gratuitement leurs contenus sur Internet) a été à l’origine du changement des habitudes des lecteurs qui boudent de plus en plus le format papier. Ce qui a poussé la société à se lancer dans les abonnements numériques. “Actuellement, le journal compte 1500 abonnements. Plusieurs banques et entreprises ont adhéré à ce projet. On est, également, en train de développer une application mobile baptisée Kiosque Digital qui va permettre d’acheter au choix soit tout le numéro, soit un article bien précis. Nous avons également développé une autre application qui est désormais disponible, La Presse Annonce, qui est téléchargeable sur play store et où l’on peut déposer ses annonces. De surcroît, la mise en vente de la version électronique s’effectue aussi via le site web du journal”, a -t-il expliqué. En outre, le PDG de la Snipe-La Presse a fait savoir que la société s’est penchée sur un nouveau projet qui repose sur l’utilisation de la réalité augmentée.
Les technologies de rupture pour réussir le changement
De son côté, le vice-président de l’ordre des experts- comptables de Tunsiie, Maher Gaida, a mis l’accent sur les enjeux de la “quatrième révolution”. Il a souligné dans ce contexte l’obligation d’intégrer les technologies impactantes qui sont au nombre de 35 (Blockchain, Internet des objets, Intelligence artificielle, etc.) dans les établissements publics.
“Nous avons raté trois révolutions et nous sommes en train de rater la quatrième”, a-t-il averti. Il a, en outre, mis en exergue l’impératif de définir les frontières cybernétiques de la Tunisie. “Nous ne sommes pas suffisamment protégés. Nos données sont ouvertes aux quatre vents. Aujourd’hui, on parle de colonisation digitale”, a-t-il noté. Il a, par ailleurs, appelé à créer des centres d’incubation pour former les cadres de l’administration sur les nouvelles technologies.
Rim Jarou, directrice exécutive du programme national “Smart Tunisie 2020” et chargée de mission auprès du ministre des Technologies de la communication, est revenue sur les péripéties dudit programme.
Elle a en somme, expliqué que sa mise en exécution s’est heurtée à un ensemble de défis, notamment le cadre juridique des marchés publics qui n’est pas approprié aux besoins du secteur et la faible capacité d’implémentation des divers projets que ce soit au niveau du ministère ou au sein des autres départements. Par ailleurs, elle a présenté les axes du nouveau programme Smart Tunisia 2025 (la continuité de Smart Tunisia 2020) qui est en cours d’élaboration, parallèlement au plan quinquennal, à savoir l’inclusion numérique et financière, la démocratisation du numérique et de l’innovation, la digitalisation de l’administration, les technologies de rupture, la formation et l’emploi et enfin la cybersécurité.