Avec en ligne de mire le prochain scrutin présidentiel, il n’est pas impossible que le probable futur candidat à sa propre succession soit tenté de rééditer son exploit, notamment en attirant dans son giron, encore une fois, un électorat conservateur.
Jamais depuis le soulèvement populaire de 2011, la Tunisie n’a été aussi paralysée politiquement. Un gouvernement incapable de mener des réformes ou même d’imposer des décisions, un Parlement qui fonctionne au ralenti et où les crêpages de chignons dament le pion au véritable travail législatif, et un président de la République qui contribue à la vitrification de la vie politique en rendant impossible toute possibilité de sortie de crise. Il est clair que tous les partis politiques, de la majorité comme de l’opposition, ont les yeux rivés sur les prochaines élections au détriment des préoccupations immédiates des Tunisiens, pris en tenailles entre une crise institutionnelle inédite et une crise économique étouffante.
Le locataire de Carthage, le Président Kaïs Saïed, ne déroge pas à la règle. Contrairement à la lecture au premier degré de sa dernière sortie médiatique contre le parti Ennahdha et les islamistes, il faudrait considérer les choses d’un point de vue purement électoraliste. Elu en 2019 avec un score historique, Kaïs Saïed a notamment bénéficié d’une large partie du vote conservateur. Le report des 434.530 voix obtenues par le candidat d’Ennahdha, Abdelfattah Mourou, a beaucoup plus bénéficié au constitutionnaliste qu’à son rival, le sulfureux homme d’affaires Nebil Karoui.
Avec en ligne de mire le prochain scrutin présidentiel, il n’est donc pas impossible que le probable futur candidat à sa propre succession soit tenté de rééditer son exploit, notamment en attirant dans son giron, encore une fois, un électorat conservateur.
Car à y voir de plus prés, Kaïs Saïed n’a jamais été hostile à l’islam politique. Bien au contraire, une grande partie de ses positions a été dictée par une profonde conviction religieuse. Lorsque, sur des questions politiques, c’est la religion qui dicte le chemin à suivre, alors nous sommes en plein dans l’islam politique.
Dans les faits, Kaïs Saïed s’est prononcé contre l’égalité dans l’héritage, favorable au retour de la peine de mort et complètement muet sur des questions sociétales comme la dépénalisation du cannabis. Si l’on ajoute à cela l’ensemble des références religieuses dans les discours, on est en droit de se demander si notre Président de la République n’est pas en fait un islamiste comme les autres.
Il ne s’agit pas là de dire si ses références à la religion ou si ces positions politiques au parfum religieux sont bonnes ou mauvaises, il s’agit, objectivement, de considérer que si la guerre contre le parti islamiste Ennahdha est bien réelle, sa guerre contre l’islam politique, elle, doit être nuancée.
Le 13 août 2020, lors de son discours, le Président Kaïs Saïed a été ferme et très clair sur la question de l’égalité dans l’héritage. Sa référence ? Le texte coranique «clair et suffisant» qui «ne peut être interprété autrement». Pour Kaïs Saïed, il n’est pas question de céder sur la question de l’égalité en héritage.
Contacté par La Presse, la présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates estime que la guerre entre la présidence de la République et le parti Ennahdha est une guerre de formalisme et autour des prérogatives. «Sur les questions fondamentales, les positions du Président de la République s’alignent sur les positions du parti Ennahdha, explique-t-elle. D’ailleurs, le constitutionnaliste qu’il est fait plus référence à l’islam dans ses discours qu’à la Constitution tunisienne».
Sa récente visite en Egypte peut tout aussi être interprétée comme un émerveillement pour un pays à la fois débarrassé des Frères musulmans islamistes, mais toujours aussi attaché aux valeurs de l’Islam, notamment dans la sphère politique.
Dans un article publié en 2018 dans la revue Critique internationale, les chercheurs Stéphane Lacroix et Ahmed Zaghloul Shalata montrent comment le président Egyptien lui-même, Abdelfattah Al-Sissi, s’est appuyé sur « les acteurs islamistes à avoir soutenu le coup d’État, la prédication salafiste et son parti Al-Nour, dans le but de les ériger en substitut légitimiste des Frères musulmans ».
Du président d’Ennahdha, en passant par le parti Ettahrir et les satellites du parti de Rached Ghannouchi, la question religieuse reste fondamentale pour attirer un électorat conservateur.