Kmar Bendana est une historienne réputée, c’est aussi une femme de conviction et une citoyenne active, aussi bien dans le milieu professionnel que dans son environnement personnel. Elle est professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université de La Manouba et chercheuse associée à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Irmc). Elle est également membre du comité de rédaction de la revue Ibla (Institut des belles-lettres arabes). Ici, elle s’adonne à l’exercice subtil d’analyser plutôt le présent, sans complaisance, sans désespoir non plus. Un entretien instructif et soutenu par de fines analyses.
Dix ans après, les Tunisiens ne sont pas d’accord sur la qualification de ce qui a eu lieu en Tunisie entre le 17 décembre et le 14 janvier 2011. Pour l’historienne que vous êtes, est-ce une révolution ? Un soulèvement ? Ou bien, finalement, un complot fomenté depuis l’étranger ?
Si c’est une question pour une historienne, je vais répondre en tant que telle. Je pense à plusieurs choses à la fois mais personne n’y voit bien clair aujourd’hui. J’ai appris à tenir compte de la parole des acteurs. Si les gens disent que c’est une révolution, un soulèvement ou un complot, je leur demande quelles sont leurs raisons et s’ils ont des preuves. La seule chose que je peux affirmer, ce qui s’est déclenché en 2011 est visible et sensible par tout le monde et le mouvement que cela a provoqué ne s’est pas arrêté à ce jour. Donc, quelle que soit la qualification, ce qui s’est produit et dont l’impact est perceptible dix ans après marque l’histoire du pays.
Entre «protectorat» et «colonisation, y a-t-il une différence et le terme «protectorat» est-il inoffensif ?
Protectorat est un mot d’acteurs. Ce sont les administrateurs coloniaux qui l’ont choisi. Je le traite en tant que tel. Je n’efface pas les mots de l’histoire. Le mot colonisation est plus générique et comprend plusieurs formules. Le protectorat est une forme de colonisation. Les acteurs de l’époque voulaient signifier qu’ils comptaient instaurer un système différent de celui de l’Algérie. Ces mots ont une portée historique. Il faut les remettre dans leur contexte. La polémique qui en a découlé est d’actualité, je la comprends. A ce jour, partout dans le monde, il y a une remise en cause de la colonisation. Ce mouvement a pour origine un sentiment d’inégalité mal vécu par les pays qui ont été colonisés. Les pays colonisateurs ont bénéficié d’une grande avancée historique, en exploitant les richesses des pays occupés. Ils sont les dominants d’aujourd’hui. Le débat est suscité par un rapport d’inégalité perçu comme tel. La polémique tunisienne est née suite à la visite du Président Saïed en France. Rappelons que ce sont deux chefs d’Etat, Saïed et Macron, qui se parlaient chacun avec ses références et, probablement, avec ses intérêts. Ils jouaient une scène obéissant à des codes protocolaires. La polémique autour de cet échange constitue une réaction saine dans une démocratie où la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont garanties.
Dans le progrès sociopolitique tunisien, qu’est-ce qui est irréversible ? Le concept de l’Etat-nation a-t-il été assimilé, est-il irréversible ? Les acquis de la femme sont-ils irrévocables ? L’emploi du dialecte tunisien comme support de communication l’est-il encore, quand la tendance des politiques est plutôt de s’exprimer en dialecte oriental et davantage en arabe littéraire ?
Pour une historienne, il n’y a pas d’irréversibilité, ni de progrès linéaire. Mais une évolution dans le temps, avec des vitesses et des formes multiples. L’Etat-nation qui a 150 ans et qui a fait la Tunisie contemporaine est-il irréversible ? Je ne sais pas. Il est marquant. C’est certain. La Tunisie fait partie du monde qui l’entoure. Elle ne peut jouer seule sa partition. La Tunisie a lutté pour avoir son indépendance dans le cadre d’un mouvement global de lutte contre l’occupant. Elle fait partie d’une soixantaine de pays ayant acquis la leur entre les années 1950-60 et avaient instauré des Etats.
N’y a-t-il pas des spécificités tunisiennes comme les droits des femmes ?
Il y a effectivement une histoire intellectuelle et politique propre à la Tunisie lancée depuis le 19e siècle et dans laquelle nous avons bien remarqué que la question de la femme est un thème politique important. Ibn Abi Dhiaf, Thaâlbi ont défendu l’éducation de la femme. J’ajoute que la femme était alors perçue seulement en tant que mère, membre d’une famille. Il fallait l’éduquer pour qu’à son tour, elle sache prendre soin de ses enfants. Ce mouvement ne s’inscrit pas dans une démarche d’émancipation de la femme aux fins d’en faire un sujet politique. Celui qui a commencé à considérer la femme comme individu, c’est bien le réformateur Tahar Haddad.
Bourguiba s’est approprié le dialecte tunisien pour en faire un outil de communication politique. La «dareja» a été utilisée par le leader de manière didactique pour communiquer avec les Tunisiens, exposer sa vision moderniste et le projet qu’il avait pour le pays. Qu’en est-il à présent ?
Tout leadership passe par la parole. Où réside l’intelligence politique de Bourguiba ? En utilisant la radio et en faisant du dialecte un médium politique fort. Bourguiba était un virtuose. Il a utilisé la radio et les meetings politiques pour communiquer avec les Tunisiens. C’est comme ça que le dialecte est devenu une langue politique. Aujourd’hui, à la radio s’ajoutent d’autres médias de masse. Il est impensable de toucher les gens sans passer par la «dareja». Or, Rached Ghannouchi ne parle pas. C’est un négociateur de l’ombre. Et quand il parle, c’est en arabe littéraire. Hichem Mechichi parle comme un communiqué et Kaïs Saïed parle comme un vieux livre. Ils ne peuvent acquérir, en l’état, le statut de leader, s’ils ne s’adressent pas à la foule en parlant son langage. On ne peut pas faire de la politique sans savoir parler, qui est une compétence politique.
Qu’est-ce qui est immuable et qu’est-ce qui est changeant dans la personnalité tunisienne «Echakhssya Ettounissya». Mais encore, «Nous sommes une nation» avait énoncé feu Ali Belhouane. Le sommes-nous ?
Tout est changeant, mais il y a des paliers de changement. La formule «3.000 ans d’histoire» a été construite en son temps. Je pense qu’une autre construction est en cours. Des leaders, des intellectuels, des artistes édifient des récits mais les gens doivent y croire. C’est l’adhésion populaire qui donne sa force aux constructions, laquelle adhésion peut faiblir à un moment donné. Il faut qu’il y ait des leaders en mesure de raviver l’appartenance et de relancer le lien social. Les élites ont une responsabilité dans ce processus. A chaque époque, les élites sont responsables du progrès de leur pays.
Sommes-nous dans cette dynamique ?
Nous sommes dans une période historique qui relance la question de la Tunisie comme entité. La preuve, on dit : la révolution tunisienne. Je pense que nous sommes dans un moment de redéfinition. Des gens ont besoin d’y croire. Les politiques d’aujourd’hui ne savent pas faire adhérer les gens à leurs projets, si tant est qu’ils en aient. «Nous sommes une nation» (Nahnou Oumma) d’Ali Belhouane était un projet. Mais le fait est que nous sommes en faillite politique, en ce moment, nos gouvernants ne sont pas capables de concevoir un projet d’avenir, ils préfèrent alors évoquer le passé. La faillite est donc double ; de la parole politique et du projet. Il faut se départir de l’idée que le progrès est ailleurs. Le progrès est ici, à notre portée. Les gestes artistiques, les actes scientifiques, développer la connaissance sont des opérations qui nous projettent vers l’avenir. Apprenons à connaître notre pays, en tenant compte de ses différents apports historiques. La souveraineté n’est pas synonyme de fermeture. Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est la conscience d’être capables de faire, croyant que le progrès vient d’ailleurs. Il faut se débarrasser de ce préjugé.
Pour ce faire, ne faut-il pas une locomotive qui pousse vers l’avant ?
C’est vrai que les élites politiques tunisiennes ne sont pas au diapason. Elles sont en retard, voire à côté. Ce n’est pas grave ! Il n’y a pas que les élites politiques dans un pays. Les autres ont le devoir d’agir.
Les politiques détiennent le pouvoir décisionnel, comment s’en passer ?
Ils sont en train d’être dépassés. La preuve : qu’ont-ils fait pour contrer l’épidémie de la Covid-19 ? Le pouvoir s’est avéré incompétent. La compétence politique est de gérer l’intérêt général. La crise découle de l’incapacité des politiques à gérer l’intérêt public. Il aurait fallu laisser parler les médecins, écouter leur point de vue.
C’est aussi une question de moyens. Il fallait vacciner massivement. La Tunisie n’a ni les moyens ni le poids pour acquérir des doses de vaccins suffisantes. Vous ne trouvez pas ?
L’Europe a voté pour la vente et non la gratuité des brevets des vaccins. Cette histoire me révolte. C’est un acte d’égoïsme immonde, de courte vue. Les Européens seront punis par là où ils ont péché. Ils ont beau fermer leurs frontières, le virus circule de toute façon. «Les big-pharma» n’auraient pas dû avoir le dernier mot.
Les laboratoires ne sont-ils pas plus puissants que les Etats ? Ils ont donc dicté leurs règles.
C’est une solution cupide et morbide. A l’issue de l’épidémie, on peut s’attendre à la manifestation d’une crise de portée morale. Israël n’a vacciné que les Israéliens. L’Europe a fait la même chose et par le vote. Les Européens ont la priorité. Eux seuls et en premier doivent être vaccinés. A mon avis, c’est un tournant. Même le pape a protesté. C’est le seul homme de gauche de la planète… La Covid a mis à nu les contradictions et les égoïsmes de ces pays. Nos élites politiques n’ont pas été à la hauteur non plus. Pourquoi n’ont-elles pas été contester cet état de fait auprès de l’ONU ? Ces politiques ne savent pas agir, faire ce qu’il faut faire. Il aurait fallu, en outre, faire confiance à nos médecins, les laisser parler et donner au corps médical la responsabilité de gérer. Je demande à ce que les médecins s’expriment de manière collective sur la situation et présentent leurs solutions. Par la suite, je demanderai des comptes aux politiques. Nous sommes confrontés à une crise globale dont les implications sont concrètes, il faut que l’on agisse sur le concret. La santé publique, c’est du réel. L’inaction est criminelle. Les gens sont en train de mourir. L’incompétence en temps de guerre est criminelle. La désobéissance que l’on voit poindre est un bon signe. Cela veut dire que la société tunisienne n’est pas inerte. Pourquoi fermer les marchés hebdomadaires qui sont en plein air et laisser ouverts les points de vente de la grande distribution ?
Vous considérez que l’Etat a failli. N’y a-t-il pas un fait majeur dont il faudra tenir compte, comme le manque de moyens ?
L’administration peut être concrète et pragmatique. Le problème relève de la santé publique. Pourquoi les personnes habitant dans des endroits reculés meurent-elles ? Il faut créer des hôpitaux, ouvrir des lits. Il faut donner les moyens aux médecins. Il fallait prendre l’appareil de santé publique et le réorganiser autrement, avec les moyens que nous avons. Il fallait recruter davantage et payer les gens. Plus de 9.000 morts pour une population de 11 millions, c’est énorme ! La Covid nous a permis de juger les politiques. L’épidémie les a mis à nu. La Covid est une expérience humaine qui montre l’inaptitude de la classe politique à gérer la chose publique. J’espère qu’aucun des responsables ne sera réélu.
Vous comptez sur la maturité de l’électeur tunisien ?
L’électeur est une espèce en train de naître. A chaque élection, les électeurs et électrices sont plus avertis, plus informés. Nous devons devenir plus exigeants, plus demandeurs. Il faut demander des comptes aux politiques. Je ne réélirai pas un responsable qui a mal fait son travail, qui a failli. Nous sommes en train d’apprendre que nous pouvons élire des responsables qui s’avèrent incompétents. Aux prochaines élections, nous aurons l’occasion de rectifier le tir.
Intègres et compétents. L’intégrité à elle seule ne suffit pas, ni la compétence seule non plus. Un responsable devra se targuer de détenir les deux qualités. Qu’en pensez-vous ?
Oui, il faut conjuguer les deux. La classe politique est redevable à la société. Les responsables doivent apprendre à rendre des comptes. Il ne suffit pas de contrôler les élections. A présent, des lanceurs d’alerte, des jeunes et d’autres acteurs nous informent au quotidien des défaillances de la classe politique. C’est un apprentissage. Si on s’inscrit dans la temporalité, on s’inscrit dans les process. Le corps social évolue inéluctablement. Nous avons appris qu’un homme politique intègre et non compétent ne pourra jamais être un bon responsable. Nous devons en tirer les leçons. Ce sentiment de citoyenneté, nous devons le vivre d’une manière active, vivante, utile et pragmatique. J’estime être une citoyenne tunisienne, je dois le prouver. Il faut le dire, en tant qu’universitaire, en tant que journaliste, nous avons des possibilités qui n’existent pas dans les pays voisins… La liberté d’agir, de dire et d’écrire, l’égalité, les valeurs fondamentales sont à défendre au quotidien. Il n’y a plus de possibilité de retour en arrière.
L’Etat est en faillite et tous les indicateurs sont au rouge. En l’état, est-il possible pour les responsables de jouer pleinement leurs rôles ?
La vérité, c’est que l’argent public est volé. Vous n’allez pas me faire croire que le pays n’a pas d’argent ! Lutter contre la corruption, contre les détournements des fonds publics et l’évasion fiscale ne doit pas être un leurre, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous avons un problème de gouvernance très sérieux et nous le payons en vies humaines. J’en veux à l’administration et à l’Etat de ne pas résoudre de manière pragmatique les problèmes. La politique, ce n’est pas autre chose. C’est travailler pour l’intérêt public. Les politiciens se sont habitués à ce que la politique soit quelque chose d’abstrait. La Covid a mis à nu les failles, voire le ridicule d’une certaine gouvernance. Si on avait travaillé sérieusement depuis dix ans, à lutter contre ce qu’on appelle «el fassad» qui englobe tout, nous ne serions pas dans cet état. Il fallait changer les lois et non multiplier les structures de soi-disant lutte contre la corruption. Il fallait réformer des secteurs majeurs comme l’éducation, dans ses méthodes comme dans ses contenus et programmes, en introduisant les humanités et les arts dès le cycle primaire. L’enseignement est un grand chantier, pourquoi n’avons-nous rien fait depuis dix ans ?
Il ne faut pas perdre de vue que c’est un secteur très syndiqué. A la moindre réforme, l’opposition s’organise promptement. Vous le savez vous en tant qu’enseignante.
Le corporatisme est un autre problème qui mine le fonctionnement du pays. Le corporatisme est une maladie de conservateurs. Ils ne veulent pas prendre le risque de changer, même pour servir leurs propres intérêts. C’est l’effet collatéral de l’autoritarisme sur notre mental, érigé en système, de Bourguiba à Ben Ali. Or, les individus doivent se prendre en charge et essayer de contribuer au changement. Nos vies changeront inéluctablement.
Il faudra que l’effort soit collectif. L’est-il véritablement ?
Non. L’effort est émietté par la politique. Il est aussi affaibli par les règles économiques qui nous sont imposées. Dans un contexte de mondialisation, la marge de manœuvre est limitée. La bureaucratie tunisienne héritée de l’autoritarisme représente un fléau par sa volonté effrénée de tout contrôler. Les licences et les autorisations sont accordées de manière arbitraire et opaque. Le système a créé une caste étouffante, castratrice et corporatiste qui ne tolère pas le changement. Il faudra que ce beau monde soit hors piste pour que le changement du «système» s’opère progressivement. Par ailleurs, on ne peut changer un pays sans que le pouvoir judiciaire joue pleinement son rôle. Non seulement ce n’est pas le cas, mais la haute magistrature est accusée aujourd’hui de plusieurs maux. Le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas respecté. Or, c’est le fondement même du changement politique. Les juges sont aux abonnés absents. Ils se sont accommodés des pratiques autoritaristes. La police n’a pas été réformée non plus. Il faut l’obliger à respecter les règles. Ces corps sont rétifs aux changements. Je crois aux institutions, encore faut-il qu’elles soient réformées et obéissent à des lois et des règles. La démocratie ne peut pas être mise en place sans institutions œuvrant pour l’intérêt du citoyen et l’intérêt général et non celui des personnes, fût-ce le Président de la République et le Président du Parlement. Cela s’appelle l’Etat de droit. Le changement est donc inéluctable. Autant l’accompagner au lieu de s’y opposer, en s’accrochant aux privilèges. Quel est le responsable qui a réduit son salaire, qui s’est contenté d’une seule voiture ?
Les hommes politiques n’ont pas fait preuve d’exemplarité, d’après vous ?
Non malheureusement. Or, ce sont des signaux que les gouvernants auraient dû envoyer dans un pays en faillite. Il ne s’agit pas de manœuvres populistes mais de donner l’exemple. Se départir d’un privilège pour le bien commun, et le faire savoir afin de donner l’exemple et faire des émules. Les Tunisiens ont besoin de voir des gestes concrets. Les bains de foule, les inaugurations ne servent à rien dans un monde en crise. Pourquoi à chaque fin de mois, les retraités font-ils la queue pendant des heures ? Depuis un an que l’épidémie s’est déclarée, personne n’a trouvé une solution pour que les personnes âgées ne se déplacent plus de chez elles ? Cela aurait été un bon geste politique.
A la lumière de votre analyse, pensez-vous que la Tunisie soit inscrite dans une dynamique de progrès, parfois de manière souterraine ? Ou bien le pays stagne-t-il ou alors est-il absolument en recul ?
Je vois des niches de progrès et d’action. Même si les avancées sont bloquées par une administration et une bureaucratie incompétentes. L’administration regorge de compétences. Mais son mode de fonctionnement est paralysant. Je crois aux forces vives, aux jeunes surtout. Ils sont obligés d’agir malgré les obstacles, de contourner la bureaucratie. Je pense à ceux qui nous informent de manière formelle et dans les réseaux informels. L’information est nécessaire à une démocratie. Je pense à la société civile. Je pense aussi aux solidarités spontanées. Cette solidarité qu’on retrouve dans les quartiers entre voisins et notamment envers les plus vulnérables, il faut l’institutionnaliser en gestes politiques. Il faut trouver les moyens d’agir. Je pense aussi que dans chaque entité, chaque administration, des gens honnêtes font de la résistance. Il faut qu’ils continuent. Ces niches sont en train de pousser vers l’avant. Ce travail finira par porter ses fruits. En tant qu’enseignante, je crois également à la transmission du savoir.
Si vous élargissez votre analyse à l’échelle nationale, comment voyez-vous la situation ?
Sur le plan politique, il y a une poignée de députés corrects, quelques ministres et certains acteurs de l’administration. Je me dis que cela agrège des dynamiques positives. Je vois autour de moi des personnes qui font des efforts, qui se donnent du mal. Pourquoi désespérer du pays, alors qu’il y a autant de bonnes volontés ? Les jeux sont ouverts. Ce que je peux faire, à mon niveau, des universitaires d’autres pays ne sont pas aussi libres que moi. Je jouis malgré tout d’une certaine liberté académique qu’il faut valoriser. C’est verrouillé plutôt en haut lieu. Mais sur le terrain, il y a des marges de manœuvre. Détournons notre regard de la politique, car elle est toxique en Tunisie. Croyons en ce que nous faisons, vous, moi et les autres. En revanche, ce qui nous manque, ce sont les connexions collectives entre personnes qui travaillent pour l’intérêt général. En tant que Tunisiens et Tunisiennes, nous avons beaucoup à faire. Je refuse d’accorder aux politiques le monopole de l’agir. Agissons en tant que citoyens. L’inertie des politiques s’explique par leur volonté de préserver leurs privilèges. Mais ils ont beau faire, ils partiront un jour. Nous sommes inscrits dans une dialectique de changement. Ne pas changer est un aveu d’impuissance. Les plus malheureux sont ceux qui n’acceptent pas le changement. Moi, j’ai envie d’être heureuse et je sais que j’ai changé depuis 2011.