Solliciter un financement auprès du FMI continue de faire débat en Tunisie. Une délégation gouvernementale s’est rendue, le 3 mai, à Washington pour négocier un nouveau prêt en échange d’un programme de réformes qui touchent, notamment, les dépenses de compensation et la masse salariale. L’enjeu est de taille pour le pays dans la mesure où les marges de manœuvres budgétaires sont très réduites. Ainsi, la quasi-totalité des experts s’accordent, à l’unisson, que le FMI n’est plus une option à soupeser. Mais c’est une solution inévitable pour sauver les finances publiques.
Dans l’optique de mieux élucider les enjeux des négociations avec le FMI, l’Institut des politiques publiques du Mouvement Machrouâa Tounes a organisé, récemment, un webinaire auquel ont pris part les économistes Hakim Ben Hammouda et Moez Laâbidi. Modéré par l’universitaire Abdelkader Boudriga, le débat a porté sur la crise économique qui sévit, les éventuelles issues des négociations en cours ainsi que sur les alternatives envisageables.
S’agissant du diagnostic, Ben Hammouda persiste et signe: la situation difficile que vit aujourd’hui le pays est une résultante de la concomitance de trois crises. Une crise structurelle liée à l’essoufflement du modèle de développement. La deuxième concerne les déséquilibres macroéconomiques dus à l’augmentation démesurée des dépenses publiques qui ont entraîné une explosion de la dette. Et la troisième crise est liée à l’épidémie du coronavirus qui est à l’origine d’une récession économique historique. Ben Hammouda a expliqué que, dans ce contexte difficile, il est important de parvenir à un accord avec le FMI. C’est ainsi qu’il a mis l’accent sur l’impératif d’obvier au scénario libanais, soulignant que c’est la responsabilité et des institutions de l’Etat et de toutes les forces politiques. “Quoi qu’il en soit, il faut éviter le scénario de défaut de paiement”, a-t-il commenté.
Crédibilité entachée
Toujours côté diagnostic, Moez Laâbidi a dépeint la réalité de la situation économique soulignant qu’ “un Etat incapable de faire respecter la loi est un Etat incapable de mettre en œuvre des réformes”. Il a expliqué que les racines de la crise remontent à l’époque d’avant 2011. “Le chômage des diplômés des universités était de 30% avant la révolution”, commente-t-il, à cet égard. Laâbidi a affirmé que le pays fait face à un véritable problème de soutenabilité de la dette, et, qu’en l’absence d’une vision à moyen terme, il est difficile de parvenir à un accord avec les institutions financières. “Après l’échec de la mise en œuvre de deux programmes de réforme, la Tunisie a perdu sa crédibilité auprès du FMI. Ce qui explique les nouvelles exigences qui concernent l’engagement des partenaires sociaux et le passage devant l’assemblée” a-t-il précisé. Par ailleurs, Laâbidi a ajouté que le FMI est non seulement le chef de file des bailleurs de fonds mais constitue un gage contre les dérapages budgétaires.
Au sujet des négociations avec l’institution de Washington, Ben Hammouda a expliqué que la réussite des pourparlers est tributaire de trois facteurs essentiels. Le premier est le courage de négocier, même si on est en position inconfortable. Le deuxième est la compétence des négociateurs. Le troisième facteur est politique dans la mesure où le gouvernement qui est en négociations doit être soutenu politiquement, notamment par les partenaires sociaux.
L’économiste Moez Laâbidi a, à cet égard, expliqué que les négociations sont souvent menées par une équipe technique qui “n’est pas épaulée par les décideurs”. Ce qui donne lieu à des mesures qui ne traduisent aucune vision. “Les réformes, c’est une pédagogie et c’est du bon timing”, a-t-il souligné.
Obvier au scénario libanais
Quid du défaut de paiement? Sommes-nous en train de nous acheminer vers la faillite? A cette question, Ben Hammouda a répondu que trois scénarios sont possibles. Le premier scénario prévoit que le gouvernement mette en place un programme de réformes sérieuses qui permet au gouvernement d’accéder au financement auprès du FMI. Pour les deux autres scénarios, soit l’État parvient à honorer ses engagements sans un accord avec le FMI, soit il doit faire face au scénario libanais qui guette l’économie tunisienne. “Un de ces scénarios devrait se concrétiser dans un futur non lointain. C’est une question de trois ou quatre semaines”, a-t-il commenté.
De son côté, Moez Laâbidi a souligné que l’opinion publique n’est pas consciente de la gravité de la situation. Cette insouciance s’explique, selon l’économiste, par le fait qu’à partir des années 2012-2013, des voix se sont élevées criant faussement sur tous les toits que le pays est au bord de la faillite laissant entendre qu’à chaque fois le pays arrive à tirer son épingle du jeu. “Cela n’est pas vrai, le taux de l’endettement à l’époque n’était que de 50% du PIB. Aujourd’hui, il a dépassé 90%”, a-t-il commenté. Il a ajouté que si le gouvernement ne parvient pas à un accord avec le FMI, la notation souveraine sera dégradée et la Tunisie sera coupée des sources des financements multilatéraux. Un choc immédiat devrait alors se produire entraînant une fragilité du secteur bancaire et de l’activité économique. Place alors à une pression baissière sur le dinar qui va enclencher un dérapage et une répercussion sur l’inflation. “Nous avons perdu notre crédibilité auprès du FMI. C’est pourquoi nous serons en position de faiblesse dans les négociations. Tous les acteurs et les parties doivent œuvrer pour faire réussir le processus. Mais il faut d’abord commencer à faire respecter la loi pour pouvoir réformer”, a-t-il conclu.