La crise du secteur laitier dure déjà depuis plusieurs années et ce sont les éleveurs qui paient le prix de la mauvaise gestion de la filière. Le séchage du lait est une des solutions préconisées pour sortir de l’ornière.
La crise de la filière laitière a eu des impacts négatifs sur les producteurs. Le marché a souffert d’un excédent de lait qui n’a pu être écoulé ni absorbé par les centrales laitières. M. Boubaker Mehri, président de la chambre syndicale des industries laitières et du Groupement interprofessionnel des viandes rouges et du lait (Givrlait), a révélé que «nous avons commencé l’année 2021 avec un stock de 38.7 millions de litres contre 21.2 millions en 2020».
Par ailleurs, la situation s’est dégradée dans une conjoncture économique en crise, marquée par la pandémie du covid-19. Parmi les difficultés rencontrées, la chute du pouvoir d’achat et de la consommation et, surtout, de la fermeture des frontières libyennes et algériennes, qui présentaient une opportunité pour l’exportation. En outre, l’unité de séchage qui absorbait des quantités additionnelles enregistrées lors de la haute lactation n’a pu démarrer en temps opportun en raison de la complexité de la gouvernance de la filière par les ministères de tutelle.
Gérer au mieux les stocks
Les centrales laitières n’ont pas pu trouver des moyens pour assurer un équilibre entre leur approvisionnement et l’écoulement de leur produit. D’où la nécessité de gérer au mieux leurs stocks de niveau élevé surtout en cette période de haute production. L’acceptation du lait au niveau des usines se fait conformément à la Norme tunisienne NT 14-141, en plus des spécifications relatives à des plans qualité internes pour assurer la qualité et la salubrité de leurs produits finis. Le lait doit aussi provenir du centre de collecte de lait agréé et détenant l’agrément sanitaire et être livré dans des conditions respectant le cahier des charges du transport de lait frais.
M.Mehri a souligné également que la filière laitière souffre, depuis plusieurs années, des crises cycliques accentuées par l’absence d’une stratégie laitière et une très mauvaise gouvernance. Ajoutons à cela que les exploitations laitières (85% des élevages comptent moins de 4 têtes) ont une faible productivité et vivent dans des conditions précaires. C’est que plusieurs éleveurs ne sont pas structurés et souffrent en plus d’un niveau technique très faible et d’une absence quasi-totale d’encadrement. Les bassins laitiers du Nord sont fortement impactés par l’indisponibilité des fourrages. Ils sont aussi impactés par le cours des aliments concentrés en augmentation continue, surtout dans les régions d’élevage en hors sol, créant un déséquilibre entre le coût de production et celui de vente d’un litre de lait par l’éleveur. Cela engendre une qualité de lait assez précaire, surtout sur le plan microbiologique au niveau des éleveurs. La qualité du produit, tout au long de la chaîne de production et de transformation, se trouve ainsi touchée.
Les difficultés précitées entraînent une inadéquation entre l’offre et la demande, d’autant plus que la gestion de la filière est hasardeuse face à une production abondante. La filière est lourdement subventionnée par l’Etat, ce qui impose un blocage au niveau des prix tant en amont qu’en aval pour ce produit qui est le plus fortement consommé, et notamment le lait demi-écrémé. En résumé, la profession est quasiment impuissante face à une gouvernance complexe et contraignante.
Des solutions à envisager
En 2016, l’Etat est intervenu pour débloquer une situation similaire à celle que nous vivons actuellement, en prélevant 30 millions de litres de lait demi-écrémé au niveau des stocks des différentes centrales laitières, leur permettant d’absorber les excédents de volumes. Cette solution pourrait soulager la crise actuelle, mais ne constitue malheureusement qu’une solution à court terme. La filière doit faire l’objet d’une restructuration et d’une meilleure organisation pour assurer en priorité la pérennité et le développement durable du maillon le plus faible à la base de toute la filière, soit «l’éleveur».
Et notre interlocuteur d’ajouter : «Une autre solution pourrait être exécutée, à savoir le développement de la taille des exploitations, l’installation d’unités réfrigérées à la ferme pour garantir la qualité du lait et l’amélioration du niveau d’encadrement des éleveurs. Il s’agit aussi de revoir le système de collecte et d’instaurer un système de paiement à la qualité. Bref, il faut valoriser le métier de l’éleveur et lui donner les moyens de survivre et d’évoluer qualitativement et économiquement». La libéralisation des prix envisagée par l’Etat, est considérée par tous les acteurs comme un « danger». Au contraire, elle pourrait être une réelle opportunité pour développer davantage tous les maillons de la chaîne et explorer de nouvelles voies de développement. Une réflexion devrait aussi être engagée avec la profession afin de développer et consolider le positionnement des produits finis laitiers, tant au niveau local que sur les marchés extérieurs.
«Le pacte d’avril 2019, qui a été validé et signé par toutes les parties prenantes (profession et administration), arrête la stratégie de la filière jusqu’à l’année 2025, et sa mise en œuvre traduit une réelle volonté pour aller vers une solution définitive», a conclu M. Mehri.