Professionnels de tous les médias, avons-nous failli à notre devoir ? Si la crise est telle dans le pays, n’en sommes-nous pas en partie responsables ? Dix ans après les libertés acquises d’expression et d’opinion, les droits qui fondent la liberté de la presse, les journalistes tunisiens non réunis dans une structure professionnelle qui les représente n’ont manifestement pas réussi à s’acquitter de leurs missions, telles que stipulées dans la Charte mondiale d’éthique des journalistes. Une situation lourde de conséquences et un cruel constat d’échec, partagé par Pr Larbi Chouikha. Il en explique dans cet entretien les causes multifactorielles. Professeur de l’enseignement supérieur à l’Institut de presse et des sciences de l’information, Larbi Chouikha est ex-membre de l’Instance supérieure indépendante pour les élections, chargé de la communication et des médias. Ex-membre de l’Instance nationale indépendante pour la réforme de l’information et de la communication qui fut chargée de proposer les premières réformes des médias. Auteur d’ouvrages dont La difficile transformation des médias : Des années de l’indépendance à la veille des élections de 2014, ainsi que de nombreux articles scientifiques portant sur l’état des médias et des évolutions politiques en Tunisie depuis 1990.
Dix ans après leur adoption, les textes juridiques qui consacrent la liberté d’information et d’expression n’ont pu entraîner les réformes nécessaires, pour quelles raisons ?
En effet, un constat saute aux yeux dans la Tunisie post-14 janvier 2011 ; les libertés d’expression, d’information, d’opinion, évoquées par l’article 31 de la Constitution, constituent indéniablement le principal acquis de la « révolution » tunisienne. Ces libertés réelles, perceptibles dans l’espace public, dans le paysage médiatique et notamment sur les réseaux sociaux, sont loin d’être stabilisées institutionnellement, ni accompagnées d’un travail de fond de sensibilisation, assimilées par tous les acteurs ; a fortiori par les journalistes eux-mêmes.
Pourtant, on constate de réelles libertés dans le traitement de l’actualité, à travers l’ensemble du paysage médiatique…
En effet, dans les médias, ces libertés se développent et se déploient allègrement dans tous les secteurs. Sauf qu’elles restent précaires, soumises à plusieurs aléas qui découlent à la fois du contexte général, particulièrement polarisé, et, d’un manque flagrant de professionnalisme et de structures rédactionnelles réellement efficientes. L’absence de volonté de réformes manifestée sans ambiguïté aucune par les gouvernements successifs est une réalité. Dix ans après l’adoption des textes de loi qui règlementent et organisent les médias, tous confondus, les réformes structurelles peinent à se mettre en place. Conséquences palpables de cette situation : les entreprises médiatiques sont livrées à elles-mêmes. Et elles ont succombé à leur tour, aux sirènes de l’audimat, par la recherche du buzz, au mépris, souvent, des principes juridiques, professionnels, et surtout éthiques. De plus, la question de la transparence des sources de financement se pose avec d’autant plus d’acuité que le budget publicitaire dont bénéficient les médias audiovisuels ne suffit nullement à couvrir leurs besoins.
Comment les organes médiatiques arrivent-ils à subsister donc, d’après-vous ?
Je dois dire que la tentation de l’argent et l’opacité qui entoure les sources de financement dans la plupart des médias et particulièrement ceux de l’audiovisuel privé constituent une réelle menace pour l’indépendance de ce secteur vital, pour une démocratie encore balbutiante. D’autres raisons expliquent cet état de déliquescence ; l’absence de démarches pragmatiques fondées à la fois sur l’émergence d’une volonté politique de l’Etat, sur des institutions publiques fortes et crédibles et sur des entreprises de presse professionnelles et indépendantes du monde politique et financier.
Dans cet ordre, la situation de la presse écrite est encore plus problématique…
La situation de la presse écrite est très précaire aujourd’hui. Ses ventes ne cessent de chuter du fait de la concurrence de la presse électronique et des médias audiovisuels et de la baisse systématique des recettes publicitaires. Elle se caractérise également par la confusion qui entoure son organisation et sa gestion, ainsi que par l’absence ou carrément par l’opacité des données se rapportant à la vente des exemplaires, aux sources de financement, à la ligne éditoriale… La presse écrite est soumise au fameux régime de l’autorégulation, par l’intermédiaire d’un Conseil de presse créé le 15 septembre 2020. On observe par ailleurs l’absence d’un cadre légal de réglementation des médias en ligne. Quelques actions en justice ont été intentées récemment par des personnes physiques et par le ministère public suite à la publication d’écrits diffusés sur des réseaux sociaux ou des médias en ligne, et en vertu des dispositions contenues dans la législation sur la presse écrite, précisément le décret-loi 115.
Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Au lendemain de la « révolution », la priorité des décideurs publics avait été donnée à l’élaboration des normes juridiques, au lieu de nous engager simultanément dans l’initiation de réformes structurelles en profondeur, en érigeant des digues contre les risques de dérapages autant professionnels que d’ordre éthique et contre l’intrusion des politiques et des affairistes en tous genres… Dans l’esprit de ces décideurs, ces dispositifs juridiques, une fois adoptés, allaient servir de catalyseur pour impulser les réformes structurelles dans les médias, afin que celles-ci correspondent aux « standards démocratiques ». Dans cette entreprise d’élaboration de la règle juridique, il fallait s’appuyer, entre autres, sur les expériences et les expertises étrangères. Rappelons-nous, à cette époque, peu de professionnels tunisiens pouvaient se targuer de bien connaître les caractéristiques des « médias démocratiques ».
N’empêche que des notions nouvelles à « la culture médiatique » tunisienne ambiante avaient été introduites dans les dispositifs juridiques : « médias de service public », « médias indépendants », « médias associatifs », « pluralisme/diversité », « régulation/autorégulation », « gouvernance des médias », « structures rédactionnelles autonomes »… Introduites, certes, mais sans que leur « assimilation » ne s’accompagne d’une véritable appropriation par tous les acteurs. Sans que cela n’entraine une rupture irréversible avec les vieux réflexes, les mentalités ambiantes et les pratiques héritées de l’ancien système médiatique.
En l’absence de tout travail pédagogique tendant à vulgariser et à inculquer ces notions nouvelles chez la profession, et, à défaut de réformes structurelles dans les entreprises de presse et de structures rédactionnelles efficientes, la porte est restée grande ouverte à toutes sortes de dérives. Circonstances aggravantes, les conditions de travail et matérielles des journalistes sont restées précaires.
Comment expliquer l’intrication du monde médiatique et celui des affaires ?
Dans cet imbroglio, plusieurs propriétaires des médias, notamment dans l’audiovisuel, sont des hommes d’affaires affiliés notoirement à des formations politiques, voire fondateurs eux-mêmes de partis. Ce qui est d’abord illégal, puisque la Haica interdit ce cumul dans l’article 9 de ses cahiers des charges. C’est également contraire au principe de l’indépendance des médias audiovisuels. Ce mariage contre nature entre monde médiatique et celui des affaires s’est renforcé après la « révolution » du fait du climat de liberté et d’ouverture économique qui s’est instauré. Des entrepreneurs, voulant se lancer dans la vie politique, ont saisi l’opportunité pour acquérir un média ou pour avoir des parts dans un organe médiatique, afin d’assouvir leurs ambitions politiques. De fait, le rôle des institutions de l’Etat dans la promotion des réformes a été quelque peu étouffé par le foisonnement des intérêts des privés. Aujourd’hui encore, des acteurs, anciens et nouveaux, défient ouvertement les lois, les décisions de l’instance de régulation audiovisuelle (Haica) et les structures étatiques, quand ils ne les ont pas noyautées. Pour preuve, les médias audiovisuels non reconnus par la Haica continuent à diffuser en toute impunité.
Ce sont les plateaux dits politiques qui seraient dans le viseur de ces patrons de presse versus hommes politiques ?
En effet, je me demande à chaque fois pourquoi cette prédilection pour le format : « plateaux télévisés » dans la plupart des chaînes, en fin de journée, en calquant souvent les unes les autres, sur des thèmes choisis comme « sujets d’actualité du jour » ? Qui sont ces « experts » souvent conviés à leurs plateaux et sur quels critères ont-ils été choisis ? Ont-ils fait l’objet de discussions préalables entre les journalistes et leur rédaction… ? Y a-t-il des séances de debriefing à l’issue de l’émission, en vue de cerner de manière collective les faiblesses et les insuffisances relevées de part et d’autre, telles que confusion entre information et opinion, accaparement de la parole, vociférations, digressions, diversions, dérapages, fake-news… ?… En fait, je me pose ces questions, parce que je constate que plusieurs hommes politiques aujourd’hui — rarement des femmes, soit dit en passant — doivent leur « ascension » dans les sondages, entre autres, à leur passage fréquent à la télévision. Ces télévisions se sont muées en une « fabrique » d’experts, de leaders… sans que le téléspectateur ne saisisse, souvent, le rapport direct des « invités télévisuels » avec l’actualité du moment, ni les véritables raisons de leur présence sur nos écrans, parfois de manière récurrente.
Sur cette lancée, on peut s’interroger également sur la différence entre chroniqueur et commentateur ?
Il y a émergence d’une triple fonction, celle de « chroniqueur », « animateur», « commentateur » que ces médias nous imposent, sans qu’on sache précisément de quelle formation, quelle expérience et quelle compétence peuvent-ils se prévaloir légitimement ? Bien entendu, toutes ces mêmes questions peuvent se poser pour les émissions phares des principales stations de radio. J’observe seulement que de manière générale, les médias audiovisuels n’affichent pas ouvertement leur affiliation à des partis politiques ou à des hommes d’affaires. C’est interdit dans les cahiers des charges de la Haica, comme mentionné précédemment. Cependant, le choix des invités sur les plateaux des télévisions ou dans les stations de radio, les prestations du chroniqueur pour commenter et/ou interagir sur et avec l’actualité politique, ou encore son positionnement à peine camouflé à l’endroit d’un parti politique ou d’un candidat, pendant les périodes électorales et au-delà, dévoilent sans doute possible les orientations politiques du média. Dans le rapport de monitoring sur la campagne électorale des législatives du 14 septembre au 4 octobre 2019, préparé par la Haica, il ressort que plusieurs candidats aux élections entretiennent des affinités directes avec des médias audiovisuels, soit en tant que propriétaires de ces médias, soit en tant qu’ actionnaires.
Dans cette situation qui paraît inextricable, que faire ?
Une démarche réflexive est nécessaire. Les décideurs publics se doivent d’abord de saisir les particularismes socio-historiques qui caractérisent le monde des médias dans notre pays. Et devraient par là même s’efforcer de faire évoluer progressivement les comportements et les mentalités réfractaires, justement, au changement. Dans cet ordre, il convient donc d’inverser radicalement l’approche adoptée jusque-là. En partant d’un autre postulat, à savoir tout processus d’élaboration d’un cadre juridique et institutionnel, en vue de règlementer les médias, doit nécessairement être pensé à partir d’une dynamique propre aux réformes à initier dans tous les médias et à tous les échelons ; de la formation des journalistes à la production journalistique, en passant par la structuration d’une « entreprise de presse ». Pour que, in fine, cette entreprise soit en phase avec les réformes à mettre en place. Mais cette démarche suppose l’existence d’un exécutif et des institutions stables, en harmonie entre elles, dotées d’une vision claire et cohérente sur les réformes à entreprendre dans ce secteur.
Quelles sont les limites admises à l’exercice de la liberté d’expression ?
Les trois composantes du droit à la liberté d’expression sont la liberté d’opinion, la liberté de recevoir des informations et des idées, et la liberté de communiquer des informations et des idées. Les seules limites reconnues par la profession sont de trois sortes : celles qui sont énoncées par les lois, celles qui découlent des principes professionnels et les règles d’éthique qui régissent la profession de journaliste. A propos du cadre juridique, il existe des dispositions restrictives. Certaines d’entre elles correspondent aux standards démocratiques internationalement reconnus, alors que d’autres inquiètent les défenseurs des droits de l’homme. Par exemple, la loi antiterroriste de 2015 confère de larges pouvoirs aux forces de sécurité en matière de contrôle et de surveillance. Une loi susceptible donc de porter atteinte à la liberté d’expression et à la dignité humaine. Plus inquiétantes, sont des dispositions au contenu vague dont l’interprétation peut prêter à des dérapages dangereux, à l’instar de l’article 6 de la Constitution qui énonce que : «… L’État s’engage (…) à protéger le sacré et à interdire d’y porter atteinte… ». Reste à savoir ce qu’il convient d’entendre par « le sacré » et dans quelle mesure « interdire d’y porter atteinte » peut avoir des conséquences sur la liberté d’expression ? D’autre part, les articles 226 et 226 bis du Code pénal sont au croisement des limites relatives aux libertés d’opinion, de pensée, d’expression et des atteintes au sacré.
De quelle manière ?
Ils portent sur l’outrage public, à la pudeur et le fait de porter atteinte publiquement aux bonnes mœurs ou à la morale publique, notions tellement vagues qui peuvent servir de fondements juridiques pour condamner des citoyens. En définitive, l’interprétation et l’application effective de ces dispositions demeurent tributaires des rapports de force politique du moment et du poids des mentalités ambiantes. Mais les limites découlent aussi des principes de base de tout travail de journaliste. Dans les enseignements en journalisme, un net distinguo est établi entre l’information et la communication : informer, c’est mettre à la disposition des publics, des données brutes destinées à les aider à comprendre des faits d’actualité tels qu’ils se sont produits. L’exercice du droit de l’information tire donc son fondement de la liberté d’information, d’expression et d’opinion. Alors que communiquer c’est transmettre, faire partager, expliquer, avec, comme objectif, de changer la perception et/ou le comportement des personnes auxquelles on s’adresse. Le droit à la communication se base aussi sur la liberté d’opinion et d’expression, mais aussi sur la gouvernance démocratique des médias. Par conséquent, la quintessence du travail journalistique repose d’abord et avant tout sur le droit à l’information du public. Dans ce sillage, tout journaliste est censé s’assurer d’abord de la véracité de l’information qu’il diffuse, en s’interrogeant sur la fiabilité de la source, et, en veillant à séparer l’information de l’opinion. Le journaliste se doit de rédiger de manière lisible, claire et rigoureuse en questionnant les sources contradictoires. Même si celles-ci sont minoritaires. Une information doit être impartiale, honnêtement rapportée et doit tendre à l’objectivité. Mais il existe aussi des limites qui découlent des règles de l’éthique professionnelle. Celles-ci doivent faire l’objet d’une discussion collective régulière dans les salles de rédaction et dans les syndicats des journalistes. La plupart des grandes entreprises de presse et/ou des syndicats des journalistes à travers le monde établissent une charte rédactionnelle et déontologique dans laquelle sont consignés les droits et devoirs de ses journalistes, à l’instar de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes en France. Cette charte n’implique aucune obligation légale, du reste.
Peut-on tout dire, tout écrire ?
Dans l’absolu, il n’y a pas de sujet tabou qui soit entouré d’omerta. A condition toutefois que le sujet traité ne transgresse pas les lois, les principes professionnels et les questions d’éthique. Cependant, toutes les questions susceptibles de se poser au moment du traitement ou de la couverture d’un sujet, du choix de l’angle et la manière de le traiter… doivent nécessairement et constamment être discutées, débattues au sein des structures rédactionnelles. Car, dès lors qu’il est publié ou diffusé, et s’il provoque des réactions publiques, le produit journalistique devient une affaire collective qui concerne toute la rédaction et non du ressort du journaliste auteur uniquement. Il y va de la crédibilité du média et des journalistes qui y travaillent.
Cela est d’autant plus vrai dans une période transitoire instable, comme celle que nous vivons…
Compte tenu de cette phase transitionnelle délicate, aux conséquences incalculables, j’aime bien rappeler, à ce propos, cette disposition du Préambule de la « Charte des devoirs et des droits des journalistes » dite « Charte de Munich », novembre 1971 : « La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. La mission d’information comporte nécessairement des limites que les journalistes eux-mêmes s’imposent spontanément ». Il incombe donc aux médias de fournir au public une information équilibrée et de qualité. Le journaliste, de son côté, se doit d’invoquer le principe d’imputabilité des médias qui consiste à rendre régulièrement compte au public des raisons du choix de son sujet de prédilection, mais aussi de son angle d’attaque, de la hiérarchisation des informations, du choix des mots pour qualifier des faits, pour présenter les personnes conviées, a fortiori quand il s’agit d’exprimer des opinions et/ou de prendre position.
Quel est votre avis sur le rendement des journalistes justement à ce niveau ?
Pour ma part, quand des journalistes s’évertuent à révéler ou à relayer des « scandales », qui passent à la trappe, sont vite oubliés, au bout de quelques jours sans que nous soyons informés de tous les éléments du dossier et de son dénouement, j’en suis souvent frustré, voire offusqué. Combien d’affaires de corruption, de financement ou d’enrichissement occultes, de mauvais traitements humains…, révélées au grand jour par nos médias, qui se sont effacées subitement du paysage, sans que le public ne connaisse le fin mot de l’histoire et ce qui est réellement advenu, les faits, le dénouement de l’affaire, si dénouement il y a ? Par ailleurs, je suis parfois révulsé quand j’observe une « avalanche médiatique » qui s’abat sur un fait, devenu subitement le grand évènement du jour, occultant du coup d’autres évènements, probablement plus saillants. Le plus choquant pour moi, quand un ou une journaliste commence sa chronique, son émission, en émettant des jugements, en prenant position, en nous assénant des leçons sur un fait d’actualité dont le public ignore presque tout de ses tenants et aboutissants.
Quel est votre constat général sur la relation du public avec les médias ?
De manière générale, la confiance des Tunisiens à l’égard des médias s’est érodée. Si je me réfère à quelques sondages publiés à ce propos en 2020. Pour combler leur soif d’information et de communication, de plus en plus de Tunisiens tendent à supplanter les médias, en recourant aux réseaux sociaux (essentiellement Facebook). Or, à mon avis, les réseaux sociaux ne peuvent jamais être confondus aux médias traditionnels. L’engouement des Tunisiens, les jeunes en particulier, pour les réseaux sociaux s’explique par deux raisons liées l’une à l’autre ; d’une part, ces réseaux constituent une alternative sérieuse aux médias traditionnels, et d’autre part, ces jeunes veulent interagir avec d’autres personnes pour réagir et/ou commenter l’actualité du moment.
En tant qu’ex-membre de l’Instance nationale de la réforme de l’information et de la communication, quel est votre sentiment face à la situation que vous venez de décrire ?
Une grande déception. Aujourd’hui, un malaise profond s’est emparé de la plupart des médias publics. Pourtant, au lendemain du 14 janvier et face à la prolifération des médias privés, plusieurs d’entre nous espérions voir les médias publics se muer en modèle de professionnalisme et d’audace, de rigueur et de bonne gouvernance, à l’image de la BBC britannique, par exemple. Aujourd’hui, plusieurs de ces médias publics vivent en sursis. Certains même risquent de disparaître du fait de l’accumulation des problèmes hérités de l’ancien régime et de la rude concurrence des médias privés. Aujourd’hui, l’Etat ne fait que gérer au jour le jour ces entreprises publiques, y compris celles confisquées, sans chercher à les réformer en profondeur, ni à dresser un état des lieux pour établir un diagnostic des maux et dysfonctionnements qui les rongent de l’intérieur depuis plusieurs années. Je rappelle que le rapport de l’Inric publié en septembre 2012 recensait déjà les principaux maux qui rongent les médias publics. Ledit rapport avait préconisé qu’on « procède à un audit approfondi pour délimiter les responsabilités dans ces affaires ». Et ce, en vue de suggérer « des solutions inspirées des expériences des pays démocratiques pour élever ces médias au rang de service public ». Hélas, je n’ai pas vu le début du commencement d’une réforme dans ce sens.
Pour arrêter de s’autoflageller : La crise que traversent les médias tunisiens est également mondiale
La presse est indispensable à la démocratie et au vivre-ensemble. Elle permet à la diversité des opinions de s’exprimer. Elle est censée conforter les faibles et affliger les puissants. Elle est seule capable de fournir des faits vérifiés, ce qui permet aux citoyens de se forger chacun son opinion et son choix. Au centre de cela, il y a un pilier essentiel de l’écosystème des médias : l’indépendance. Il n’y a pas d’indépendance de presse sans indépendance économique des entreprises de presse. Il n’y a pas d’indépendance économique des entreprises, sans ressources de financement pérennes et donc sans modèle économique viable. En 2011, il y a eu la révolution et dans son sillage avait éclaté une crise économique qui perdure et des incertitudes qui ont réduit fortement les investissements publicitaires dans les médias. Ensuite est venue la transformation digitale. Cette migration vers le numérique, en Tunisie et dans le monde, a créé un énorme défi. En effet, selon nos recherches, à chaque fois que 100 dinars migraient de la presse imprimée vers le canal digital, seuls 20 dinars arrivaient à la presse numérique. Le reste est empoché par les grandes plates-formes internationales, Google, Facebook, Youtube, y compris en Tunisie. C’est un phénomène qui n’est pas propre à notre pays, donc. Il est mondial. C’est pourquoi la recherche d’un nouveau modèle économique pour les médias, avec le concours des pouvoirs publics, semble être incontournable. Le report des échéances ne fera qu’aggraver la situation.