Interview de Mohsen Marzouk, président du parti Machrou Tounès : «Si j’étais aux commandes, je demanderais un moratoire sur le remboursement de la dette tunisienne»

Ancien proche et admirateur du Président défunt Béji Caïd Essebsi, le chef du parti Machrou Tounès, Mohsen Marzouk, demande aux gouvernants actuels de faire preuve de responsabilité et d’accepter de reconnaître l’incapacité de la Tunisie à faire face à cette virulente 4e vague de coronavirus. Dans cet entretien qu’il accorde au journal La Presse, il presse les autorités à solliciter une aide internationale d’urgence. Pour lui, le régime bicéphale actuel, qui n’est ni parlementaire ni présidentiel, est sans aucun doute à l’origine de nos déboires. Il note également qu’avec une diplomatie plus proactive, il n’est pas impossible de réussir à obtenir 10 millions de doses de vaccins, qui permettraient à la Tunisie de devenir un pays Covid Free.

Quel regard portez-vous sur les mesures prises vendredi par le comité scientifique pour lutter contre la propagation du coronavirus ?

Je crois que ces mesures ne sont pas suffisantes compte tenu de la gravité potentielle de la situation, surtout qu’il est très clair aujourd’hui qu’il y a de nouvelles souches du virus qui sont actuellement en circulation dans notre pays. La souche indienne, baptisée variant Delta, a une grande capacité de propagation. Nous avons certes, aujourd’hui, quelques cas seulement, mais, évidemment, si nous ne faisons rien la propagation sera rapide.

Lorsqu’en voit la situation à Béja, à Kairouan et dans d’autres régions, nous voyons bien que le gouvernement évite d’opter pour un confinement général en raison de son impact sur l’économie. Le gouvernement a fait le choix des confinements ciblés dans les gouvernorats et les localités, sauf que la réalité géographique et la promiscuité presque fusionnelle entre certaines localités font qu’il est quasi-impossible de faire appliquer ce confinement ciblé.

Quelle serait la solution, selon vous ?

Pour moi, le plus important c’est le programme de vaccination. Aujourd’hui en Tunisie, très peu de gens sont vaccinés et très peu sont enregistrés sur la plateforme Evax.tn. Par ailleurs, il y a trop peu de vaccins. Pour un petit pays comme le nôtre, l’idéal c’est de vacciner tout monde, en apportant le maximum de vaccins.

Beaucoup de pays riches, comme les Etats Unis d’Amérique, ou certains pays Européens, en dehors de l’initiative Covax, se sont engagés à aider les pays pauvres et la Tunisie est désormais un pays pauvre. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé cet appel à la solidarité nationale. Je ne comprends pas ce complexe que nous avons vis-à-vis de l’aide internationale. L’Italie, le Brésil et l’Inde qui sont des pays plus riches que nous, avaient sollicités auparavant l’aide internationale.

C’est ce que j’appelle le sens de la responsabilité de l’Etat. La question que je pose est, est ce que ceux qui nous gouvernent ont ce sens de la responsabilité l’Etat ? L’Etat n’a pas d’état d’âme, comme dit l’adage.

Si nous avions quelques relations sur le plan international nous n’en serions pas là. L’administration de Joe Biden est une chance pour la Tunisie, son équipe et lui-même ont une réelle sympathie pour la Tunisie. Avec un effort diplomatique nous pourrions ramener les 10 millions de doses nécessaires pour vacciner tout le monde. Mais malheureusement, nous n’avons pas de politique claire dans ce sens.

Il y a pourtant une concurrence entre la présidence de la République et le gouvernement pour s’attribuer le mérite de certaines quantités de vaccins qui arrivent en Tunisie non ?

Il n’existe pas une politique parfaitement coordonnée. C’est ce que nous dénonçons depuis le début. Il faut résoudre ce problème du régime politique bicéphale. Ce que nous avons en Tunisie n’existe ni dans un régime parlementaire, ni dans un régime présidentiel. Il faut unifier la décision de l’exécutif. Il ne s’agit pas d’un retour au despotisme, loin de là.

Dans un système où l’on respecte la séparation des pouvoirs, il faut que la décision de chaque pouvoir soit unifiée, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. 

Nous devons faire le choix d’un régime politique claire. Donc, tous nos maux, y compris ce que nous vivons avec la propagation de pandémie, viennent de ce dysfonctionnement de notre régime politique.

Que peut-on demander à la communauté internationale dans cette crise que nous traversons ?

De l’oxygène, et tout ce qui peut nous aider à avoir une plus grande autonomie en manière d’appareils d’oxygénation. Nous devons également demander des lits de réanimation et, évidemment les vaccins. Nous avons besoins d’une aide urgente pour sauver les vies et d’une aide pour faire vacciner le maximum de gens.

Pourquoi tenter encore de cacher la réalité ? Croyez-vous que l’on ne sache rien de la situation ? Les chaînes de télévisions internationales parlent de la situation critique sur le plan sanitaire en Tunisie.

Lorsqu’on gouverne, il y a une logique d’Etat. Si j’étais à la tête du gouvernement et évidemment je ne le suis pas, je lancerais un appel à la solidarité internationale, ce qui va permettre au pays de souffler sur le plan sanitaire, puis, une semaine après, je commencerais des négociations officieuses pour tenter d’obtenir un moratoire sur le remboursement de dette, au moins, pour le remboursement des intérêts de la dette.  Ceci permettrait de donner une bouffée d’oxygène pour le budget de l’Etat.

Ce n’est pas un fait exceptionnel que de demander cela, l’Argentine, un pays plus riche que la Tunisie, l’a déjà fait. Il faut être clairs, nous sommes un pays pauvre. Notre économie a été fragilisée par une dizaine d’année de flottement politique et un plus d’une année de pandémie.

En somme, notre système politique, a supprimé la notion de redevabilité, on ne sait plus à qui incombe la responsabilité de gouverner. C’est la raison pour laquelle personne ne veut endosser la responsabilité de faire appel à la solidarité internationale.

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