Il aura fallu des temps difficiles pour en prendre conscience et revenir aux fondamentaux. Plus que jamais, on le savait, certes, mais on l’avait quelque peu oublié, plus que jamais l’éducation doit être la fondation de toute société civilisée. En ces temps troubles de contestations, de remise en question, de dérive et de laxisme, la notion d’éducation qui doit structurer les rapports familiaux, scolaires et professionnels, a souvent été battue en brèche au nom d’une liberté mal comprise, et mal assimilée.
Associations, organisations nationales et internationales, fondations, universités multiplient les forums, colloques, tables rondes, séminaires et se posent désormais « la » question essentielle : quel genre d’éducation offrir à nos enfants. Et depuis peu, depuis que le monde a basculé dans une autre dimension, celle de la pandémie, quelle forme doit prendre cette éducation. Depuis douze ans aujourd’hui, Wise, plateforme internationale, multisectorielle, créée par la Fondation Qatar, s’attache à mettre en valeur le rôle essentiel de l’éducation dans le développement social et humain, pour une culture de la paix. Wise tend à ce que l’éducation devienne un enjeu important dans les agendas des acteurs politiques et économiques dans le monde. Wise, dont le logo se décline en World Innovation Summit of Education, tient régulièrement des assises internationales réunissant tout ce qui se pense, se conçoit et s’organise en matière d’éducation. Du fait de la pandémie, ces rencontres auxquelles avaient coutume de participer chefs d’état, ministres, experts, sommités, journalistes et même stars engagées se font virtuelles, mais non moins suivies. La prochaine rencontre qui se prépare aura lieu à Doha l’hiver prochain avec pour thème «La génération non silencieuse : récupérons notre avenir par l’éducation». Aux commandes de cette formidable machine qu’est ce méga forum, de ces panels, rencontres, tables rondes, workshops, un jeune et discret Tunisien à l’efficacité redoutable : Elyas Felfoul. Il a bien voulu répondre à nos questions et nous donner, en avant- première, les grandes lignes de ce que sera cette édition de Wise.
Merci de nous rappeler la genèse de ce sommet de l’innovation qui draine, aujourd’hui toutes les forces vives consacrées à l’éducation
Wise est une initiative de la Fondation Qatar qui a été établie sous la présidence de Son Altesse Sheikha Moza Bint Nasser, en 2009. Wise est une plateforme mondiale qui œuvre à encourager l’innovation pour faire face aux défis éducatifs contemporains et à venir. Aujourd’hui, Wise est non seulement un sommet de référence qui rassemble les plus grands penseurs, décideurs et praticiens de l’éducation, mais c’est aussi une organisation qui travaille au jour le jour à améliorer l’état de l’éducation dans le monde. A cet effet, Wise publie chaque année de multiples travaux de recherche, développe des programmes d’accompagnement de start-up et de mentorat de jeunes leaders, remet des prix récompensant les projets les plus innovants, pour ne citer que quelques-uns de ses champs d’action.
La pandémie a bouleversé toutes les règles. Comment envisager de pallier ce qui est la plus grande rupture des processus d’éducation depuis la Seconde Guerre mondiale ?
La pandémie a eu de lourdes conséquences sur l’éducation, les enfants du monde entier en ont souffert en étant privés d’écoles pendant de longs mois. La crise a également mis en exergue les failles des systèmes éducatifs qui sont observées par tous les spécialistes depuis de nombreuses années. Cette période a d’ailleurs incité de nombreux innovateurs à imaginer de nouvelles solutions éducatives, notamment dans les edtech.
Notre priorité cette année est de mettre tous les efforts au service des populations les plus affectées par la crise éducative. Nous allons inviter notre communauté, et les jeunes tout particulièrement, à réfléchir et à partager leurs idées, solutions et aspirations pour avancer efficacement vers un avenir plus serein.
C’est la raison pour laquelle nous avons choisi pour thème cette année “Generation Unmute”. Nous voulons reconnecter les jeunes avec leur éducation, leur donner les moyens de se réapproprier leur avenir grâce à celle-ci. Non seulement leurs inquiétudes pour la planète doivent être écoutées, mais leur enthousiasme à changer le monde doit être le moteur de notre réflexion. Il ne s’agit plus de “reconstruire” notre monde, mais de le reconstruire “mieux” à travers l’éducation et en prenant en compte ces aspirations.
Les plus touchés par cette crise mondiale provoquée par la pandémie et renforcée par la crise économique qui en découle sont les jeunes et les franges déshéritées. Ce sont eux la génération unmute qui réclame un futur. L’éducation suffira-t-elle a le leur garantir ?
Vous avez raison. La pandémie a créé la crise mondiale la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Selon les Nations unies, plus de 1.6 milliard d’élèves et étudiants ont souffert des fermetures d’écoles successives, et ils ont été affectés au premier chef par les divers confinements, couvre-feux et autres disruptions. La crise a également touché les jeunes diplômés, puisque près de 20% des jeunes de moins de 25 ans sont désormais au chômage nous apprend l’Ocde, soit près du double du taux pré-pandémie.
La question qui se pose est bien : comment “réparer” l’éducation? Comment renouer avec la promesse d’une éducation qui ouvre le champ des possibles à nos enfants ? Une éducation qui leur donne confiance en eux et confiance en l’avenir, qui leur donne les clés pour devenir des citoyens actifs, qui leur permette de trouver un emploi et de donner un sens à leur vie.
Les chantiers sont nombreux, car force est de constater que la crise a mis en exergue de nombreux dysfonctionnements. N’oublions pas qu’avant même la pandémie, de nombreuses études ont montré que les étudiants, de manière générale, ne sont pas satisfaits de l’éducation qu’ils reçoivent.
D’abord il me semble primordial de concentrer nos efforts sur une meilleure intégration des technologies à l’école. Si, comme le disent de nombreux scientifiques, d’autres pandémies sont à craindre, nous devrons réagir beaucoup plus rapidement et de manière plus qualitative. Cela implique un effort accru pour garantir un accès aux technologies et à internet à toutes les populations. Des investissements massifs devront être faits par les gouvernements.
Votre action concerne-t-elle certains pays plus que d’autres?
Wise est véritablement une plateforme internationale dont l’ambition est de faire circuler l’innovation entre les communautés, les entrepreneurs, les bénéficiaires de tous les pays.
Le programme “Wise Awards” a, par exemple, récompensé 72 projets dans plus de 150 pays depuis 2009, qui forment aujourd’hui une communauté active inspirant d’autres porteurs de projets.
Si le Sommet a lieu à Doha tous les deux ans, il s’exporte aussi depuis 2016 à l’étranger avec des événements régionaux qui se sont déroulés à Paris, Tunis, Accra, Pékin, New York ou encore Madrid.
Naturellement, Wise est une immense source d’inspiration pour la communauté éducative qatarie et de nombreuses passerelles sont établies entre notre programme et l’écosystème local, lui-même étant extrêmement riche et innovant.
Comment a été perçu le thème de cette édition de Wise ?
Ce thème est inattendu. Il crée la surprise car nous avons choisi un parti pris fort. Nous souhaitons remettre les jeunes au cœur du débat et nous les considérons comme partie-prenante de la solution. C’est aussi un thème qui suscite immédiatement l’adhésion. Le terme “unmute” est entré dans le langage courant de toute une génération. Il est devenu le symbole de la manière dont nos relations sociales ont été affectées ces derniers mois. En même temps, chacun se l’est approprié. Il incarne cette période qui a bouleversé nos vies, mais il illustre aussi la résilience dont nous avons fait preuve collectivement. Nous avons maintenu le lien avec nos amis, nos collègues de travail, les élèves avec leurs professeurs grâce aux écrans, et finalement c’est la technologie qui a permis de rendre moins difficile l’isolement que nous avons subi. “Unmute” est un mot puissant qui encourage les jeunes à parler haut et fort, nous espérons vraiment que notre message sera entendu.
Les Tunisiens ont déjà participé aux précédentes éditions de wise. S’en est-il suivi des collaborations ? Des échanges? Des actions conjointes ?
En 2016, le premier sommet “hors les murs”, Wise@Tunis, s’est attaché à valoriser l’apport de l’éducation dans la promotion de la paix et du développement. Nous avons notamment invité Ouided Bouchamaoui, représentante du quartet du Dialogue national tunisien, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2015, à échanger avec la lauréate du Wise Prize 2015, le Dr. Sakena Yacoobi. Celle-ci avait aussi pu s’entretenir avec des étudiants tunisiens.
Par ailleurs, nous avons noué des liens forts avec de nombreuses personnalités tunisiennes, parmi lesquelles, l’ancien ministre de l’Éducation, Slim Khalbous, l’angel investor (investisseur providentiel) Khalid Helioui, mais aussi Yahya Bouhlel, fondateur et P.-d.g. de la start up Go My Code. Nous avons aussi reçu l’ancienne ministre du Tourisme, Amel Karboul, membre de la Commission sur l’Éducation, une organisation avec laquelle nous avons collaboré sur une étude à paraître bientôt ; ou encore plus récemment l’entrepreneuse et activiste Amira Yahyaoui. Nous sommes, par ailleurs, actuellement en contact avec de jeunes créateurs de contenu tunisiens pour notre prochain sommet.
Miled
04/07/2021 à 13:38
En rapport avec le thème de l education, je recommande le livre qui vient de paraître aux editions Arabesques, Carnet d Ecoles de Miled Hassini. Un livre qui retrace un parcours et discute des problématiques de l école tunisienne et arabe par rapport aux ecoles européenne et américaine notamment. Un contenu bien documenté et très plaisant avec de multiples anecdotes. Un récit édifiant de l intérieur des diverses ecoles où l auteur avait exercé dans plusieurs pays. A lire.