Rencontre avec Alfonso Campisi, lauréat du pégase d’or des Prix Internationaux Flaiano : «L’Histoire est importante pour nous comprendre nous-mêmes»

Le Prix littérature et narrative Flaiano vient d’être décerné à l’écrivain italo-tunisien Alfonso Campisi pour son nouveau roman «Terres promises» publié aux Éditions arabesques.

Fondé en 1973 par Edoardo Tiboni pour honorer Ennio Flaiano et reproposer constamment l’étude de son œuvre, les Prix Internationaux Flaiano constituent une structure articulée autour d’une série de manifestations, revues, colloques, spectacles dans lesquelles confluent des «raisons concrètes» de culture : dans le sens spécifique de production de «faits» littéraires, théâtraux, cinématographiques, télévisés qui culminent dans les journées estivales de la remise des prix, les 3 et 4 juillet.

Il fait partie des Prix littéraires internationaux les plus prestigieux, avec le prix Strega et le Prix Campiello.

Pour la première fois en Tunisie, le Prix Flaiano a été décerné à un écrivain italotunisien, il s’agit de Alfonso Campisi, professeur des universités de philologie italienne et romane à la Faculté des Lettres de l’université de La Manouba; professeur de la première chaire au monde de langue et culture siciliennes : président— région Afrique— de l’A.I.S.L.L.I. (Association internationale pour les études de langue et littérature italiennes), pour la diffusion de la langue et de la culture italiennes sur le continent africain.

En novembre 2020, Alfonso Campisi a reçu la plus haute distinction culturelle honorifique de «Chevalier des arts et des lettres » remise par le Président de la République italienne à toutes les personnes qui se sont distinguées par leur création dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des arts et des lettres en Italie et dans le monde.

En 2016, il a reçu en Italie le Prix international Proserpina pour les intellectuels siciliens qui se sont distingués dans le monde. Nous l’avons rencontré.

Un autre prix parmi les plus prestigieux s’ajoute à la reconnaissance de votre carrière d’écrivain et d’universitaire, le Prix Flaiano pour votre livre « Terres promises »

Oui, en effet ce prestigieux prix littéraire de renommée internationale était inattendu, il est arrivé comme ça, un jour comme les autres, sans plus. Un appel téléphonique de la directrice de l’Institut italien de culture (IIC) de Tunis, Mme Maria Vittoria Longhi, que je remercie de tout cœur, m’a informé de la bonne nouvelle. Au début, je n’ai pas cru à mes oreilles. Je me suis dit, elle a dû se tromper de personne. En effet, les Italiens non résidant en Italie, pour participer à la sélection du Prix Flaiano, doivent impérativement passer par l’IIC, qui fera le trait d’union entre la direction du Prix Flaiano et l’écrivain.

C’est comme ça que « Terres promises » a été choisi parmi beaucoup d’autres romans et il a gagné le Pégase d’or du prix Flaiano.

De quoi parle votre roman ? Est-il un roman historique ou c’est de la pure fantaisie ?

Vous savez, il fut un temps, pas très loin d’ailleurs, quand les familles Borsellino, Giacalone, Campo, Strazzera, Caruso, Campisi, Gandolfo, Garsia, Bannino… Vinrent s’installer en Tunisie et la plupart d’entre eux provenaient de l’ouest de la Sicile et en particulier de Palerme, de Trapani et des îles Egadi.

Des gens humbles, de simples travailleurs, maçons, peintres, charpentiers, agriculteurs…, qui ont su construire et donner vie à des quartiers entiers appelés «Petite Sicile», réussissant à s’intégrer plutôt bien à la population locale.

Il se veut que dès la seconde moitié du XIXe siècle et jusqu’aux années 1940, l’île de Favignana (archipel des îles Egades) et toute la région de Trapani furent particulièrement touchées par le phénomène migratoire vers la Tunisie et les femmes après les hommes, quittèrent la Sicile avec l’espoir de pouvoir revenir un jour. Ce-ci est le contexte historique.

Ce roman retrace l’histoire d’une jeune femme du nom Ilaria, héroïne de mon roman, qui, poussée par la misère, part avec d’autres femmes à la recherche de fortune, en Tunisie, pays qui lui enseignera la tolérance et la poussera à mieux comprendre «l’autre», le «différent». C’est en Tunisie qu’Ilaria, femme intelligente et rusée, dotée d’un grand esprit critique à l’égard de la religion et des injustices sociales, connaîtra sur la terre de Tunisie le succès professionnel mais aussi l’amour, allant jusqu’en Afrique du Sud, alors sous le régime politique de l’apartheid. Une émigration du Nord vers le Sud de la Méditerranée, de nos jours ça pourrait faire un peu bizarre, car on a l’habitude de voir une émigration de l’Afrique vers l’Europe et pas vice versa. Le jury a donc été attiré par le caractère innovant du thème traité, par mon entêtement à renforcer le dialogue interculturel entre les deux rives et par la force de caractère du personnage principal. Deux messages importants : primo, il ne faut pas oublier que les Italiens ont été un peuple de migrants, vous savez, parfois certains Italiens ont la mémoire courte, et moi j’aime bien secouer leurs esprits… Secundo, la Tunisie a été et reste encore de nos jours, un pays d’accueil. N’oublions pas tout ça, l’Histoire est importante pour nous comprendre nous-mêmes.

C’est vrai que le personnage principal ne laisse personne indifférent !

Vous savez, souvent on pense que le migrant est «inculte», un «pauvre imbécile», un «raté», et dans la plupart des cas, ce n’est pas ça, Ilaria, par exemple, même si elle appartient à une couche sociale très modeste, née d’une mère prostituée et d’un père inconnu, elle est une grande lectrice de romans de Gramsci à Vittorini, mais aussi de littérature russe comme «Guerre et Paix», «Anna Karenina» et douée d’une si grande intelligence. Malgré ça, elle était destinée ou prédestinée, devrais-je dire, à vivre à l’ombre d’une société machiste et patriarcale comme « était » celle sicilienne ou encore à prendre la route du couvent, comme cela arrivait souvent aux filles pauvres de Favignana. Se rebellant contre les règles imposées par la société sicilienne de l’époque et les diktats de la religion, elle décide d’être la seule maîtresse de son propre destin, de quitter sa terre, ses affections, pour émigrer au sud de la Méditerranée! L’importance de la culture est primordiale, pour pouvoir sortir de l’ignorance de la société dans laquelle on vit et de l’imposition de la religion.

Ilaria est une rebelle. «Terres promises » est un roman qui invite au dialogue interculturel, interreligieux qui donne la parole au «peuple muet», au peuple sicilien de Tunisie, ignoré par le protecteur français, mais aussi par la classe intellectuelle italienne.

 

«Terres promises», publié aux Éditions Arabesques a aussi reçu en juin le Prix littéraire «Fratelli Giangrasso, Città di Favignana» et a été présélectionné pour le Grand Prix littéraire «Sheïkh Zayed Book Award 2021/2022 de AbouDhabi

Un commentaire

  1. Miled

    08/07/2021 à 11:16

    Bonjour M. Campisi,

    Félicitations pour ce prix mérités
    J aurais bientôt fini de lire votre roman Terre Promise. Je le lis avec plaisir. Il est léger et agréable. Illaria est un personnage attachant et bouleversant. Mes origines méditerranéennes (tunisienne et européenne, très probablement génoises de Tabarka sinon d une province italienne) du côté de mon arrière-arrière -arrière grand-père, remontent au milieu du 18e siècle. Je les mentionne dans mon livre Carnet dEcoles qui vient de paraître aux éditions Arabesques, bien que dans ma famille on les ait toujours tues.

    Miled Hassini
    mhassini@hotmail.com

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