Les citoyens attendent de leurs gouvernants, notamment ceux qui sont chargés des plus hautes fonctions, un comportement irréprochable, exemplaire en se conformant aux lois organisant la vie politique et le vivre-ensemble
Les immunités sont généralement destinées à protéger les titulaires contre toute poursuite devant les tribunaux pour l’exercice de leurs fonctions. Les parlementaires et les magistrats étant les premiers concernés, les principaux bénéficiaires. Or, dix ans après l’avènement du 14 janvier 2011, il s’est avéré que l’on a fait marche arrière en Tunisie, s’agissant du respect de la loi et des règles déontologiques associées à l’exercice parlementaire et à la profession de magistrat notamment. Députés, dont Seïfeddine Makhlouf (Al Karama) et Lotfi Ali (Tahya Tounès) entre autres et magistrats dont les deux têtes du pouvoir judiciaire (Béchir Akermi et Tayeb Rached) ont, en effet, procédé à un usage abusif de ce mécanisme constitutionnel qu’est l’immunité.
En a pâti l’État de droit. Quant à la confiance entre gouvernants et gouvernés, elle s’érode chaque jour un peu plus. À qui la faute ? À l’indigence de la loi ? Aux règles déontologiques elles-mêmes? À une crise morale qui se propage comme un feu de brousse ? Ou plus simplement à la non-application des lois ?
Les lois sont bien là, claires et suffisantes
Approchée par La Presse, la professeure de droit constitutionnel Salsabil Klibi fait observer que l’irresponsabilité est rappelée par l’article 68 de la Constitution, qui protège les députés contre toute poursuite judiciaire dans le cadre de leur travail parlementaire. «Aucune poursuite judiciaire civile ou pénale ne peut être engagée contre un membre de l’Assemblée des représentants du peuple, ni celui-ci ne peut être arrêté ou jugé, en raison d’opinions ou de propositions émises ou d’actes accomplis en rapport avec ses fonctions parlementaires », analyse-t-elle, en citant l’article.
Insistant, toutefois, sur les limites de cette immunité, la juriste souligne que l’article d’après, le 69, stipule que tout député pourrait être poursuivi et arrêté, en cas de flagrant délit. «Si un député se prévaut par écrit de son immunité pénale, il ne peut être ni poursuivi, ni arrêté durant son mandat, dans le cadre d’une accusation pénale, tant que son immunité n’a pas été levée. Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation, le président de l’Assemblée est informé sans délai et il est mis fin à la détention si le bureau de l’Assemblée le requiert », précise encore le texte constitutionnel.
Gouverner, c’est tout un art
Dans la sphère politique et dans les antichambres du pouvoir, on se félicite souvent du respect d’un principe majeur qu’est l’inviolabilité de la loi. Or, ce sont les faits — et «les faits sont la chose la plus obstinée du monde» — qui prouvent que l’immunité d’un député ou encore d’un magistrat a, jusque-là, été inviolable, même en flagrant délit.
N’y allant pas par quatre chemins, l’universitaire Klibi associe les scènes d’agression verbale et physique ayant eu lieu au parlement et retransmises par les médias à une volonté, voire à un acte délibéré, de non-application de la loi dans des cas de flagrant délit.
« On ne manque pas de textes organisant l’exercice politique et parlementaire, notamment les règles déontologiques, l’immunité et les conditions imposant sa levée. Pour moi, ce qui pose problème, c’est plutôt l’attitude qu’on a envers les lois et l’application des textes y afférents », se désole la constitutionnaliste. À la question de savoir pourquoi la crise morale affectant l’exercice parlementaire et le corps de la magistrature va s’amplifiant, la politologue répond qu’une mobilisation générale, notamment des citoyens, des organisations de la société civile et des acteurs de la vie publique soit en droit d’imposer aux responsables, quels qu’ils soient, le respect strict de la loi. «Les citoyens attendent de leurs gouvernants, notamment de ceux qui sont chargés des plus hautes fonctions, un comportement irréprochable, exemplaire en se conformant aux lois organisant la vie politique et le vivre-ensemble. Mais, ces mêmes citoyens sont, eux aussi, appelés à garantir l’inviolabilité des mêmes lois en s’y soumettant», fait valoir Mme Klibi.
La probité, la transparence, la vertu et l’exemplarité des hauts responsables sont des qualités indispensables à l’exercice d’un mandat politique ou judiciaire. Et de ce fait, il faudra veiller à la réelle application des lois. «La mobilisation générale face à ces pratiques opaques est désormais une obligation citoyenne. Car il y va de notre jeune démocratie», insiste la professeure en laissant sans doute sous-entendre que gouverner est un art, certes, mais où l’éthique devra occuper une place de choix.