La même approche ou presque, le même traitement ou presque, les mêmes angles ou presque et le spectacle continue. Cela fait des années que les médias nationaux matraquent en permanence des non-sujets pour ainsi tenir à distance les vrais débats. Journalistes, chroniqueurs, analystes et autres, nombreux sont ceux qui crient sur les toits à tort et à travers, nombreux sont ceux qui s’autoflagellent à souhait.
De 2011 à 2020 — une décennie ou presque —, nos médias faisaient la part belle au sophisme, au cynisme. Pourtant, on a souvent rattaché ces tares à une esquisse qui soit l’ébauche de quelque chose. Aujourd’hui que la traversée du désert semble perdurer, même esquisse semble loin d’être le mot juste. Et il faut reconnaître et avouer que nous autres journalistes n’étions — et ne sommes — en réalité que les tam-tam d’un monde déréglé chez nous.
Une chose est sûre maintenant et ici : il y a un déficit de créativité du moins dans les médias classiques où l’on a l’impression que le temps s’est arrêté depuis longtemps. D’autant que le critique a cédé la place au chroniqueur, à l’attaché de presse, au porte-parole. Tout au plus, l’œuvre devient produit, le public audience et le téléspectateur consommateur. Dans la période de crise que nous vivons actuellement, avec ses incertitudes et l’absence de discours clair et responsable de la part des gouvernants, la voie est ouverte à toutes les dérives pour capter un public qu’on s’évertue à rendre crédule. « C’est la scène originelle du sophiste : moins on accède à la vérité, plus il y a place pour l’exercice de la manipulation des opinions », si l’on se fie à une lecture de la spécialiste en esthétique et philosophie de l’art Rachida Triki.
Dans le flot des paroles et des fausses interprétations, cela peut aller de la désinformation à des formes de propagande ou de diffamation sans souci d’éthique. Tout cela œuvre à perturber les références d’un public dans l’appropriation de son imaginaire. Car le sensationnel et l’émotionnel sont de l’ordre de l’immédiateté et ne peuvent pas donner à penser. À court d’idées, les managers et premiers responsables des médias publics ne font que perpétuer médiocrité et cynisme aveugle et irrationnel.
En optant pour la facilité, la culture des animateurs et experts en tous genres pour ainsi écarter critiques et vrais spécialistes, ces mêmes managers ne font que creuser davantage le fossé séparant le public de son environnement culturel. Ils ignoreraient, de surcroît, que « la critique est fondamentale pour qu’il y ait doute, distance, médiation par le raisonnement ». Ils ignoreraient également qu’une succession massive d’images sans soutien préalable jouerait en faveur d’une consommation passive, rendrait possibles toutes les mystifications et étendrait le royaume de la pensée conforme.