La langue française serait-elle l’apanage d’une élite sexagénaire repliée sur elle-même ? Une langue qui se rétrécit comme peau de chagrin devant l’anglais. Le docteur Moez Cherif se demande pourquoi ce Sommet de la francophonie, qui coïncide avec l’anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, écarte les projets culturels destinés aux enfants. Entretien.
Cela fait plus de trois ans que vous travaillez sur un projet culturel pour faire participer les enfants au 50e Sommet de la francophonie…
Depuis trois ans, moment où la décision de faire ce sommet a été prise, j’ai voulu faire participer les enfants. J’ai commencé à prendre des contacts avec des représentants de l’ambassade de France aussi bien qu’avec des responsables en France puisqu’il n’y a pas de vis-à-vis clair à l’OIF (Organisation internationale de la francophonie). Si on veut que cette langue reste pérenne et qu’elle participe à la communication et à l’essaimage d’un certain nombre d’idées, il est important d’impliquer la nouvelle génération. L’idée était de créer des correspondances écrites en langue française entre les enfants tunisiens et des enfants du monde francophone. Ensuite, certains de ces enfants seraient invités au sommet et également faire un petit sommet qui représente l’avenir en quelque sorte. Malheureusement, je n’ai eu aucune réponse de la part de tous les contacts que j’ai pris et ce projet est tombé à l’eau au grand dam des enseignants et des enfants.
Pourquoi la participation des enfants est-elle importante dans ce sommet ?
Les statistiques montrent que l’Afrique cumule beaucoup d’obstacles devant les enfants pour accéder à leurs droits. On souhaitait que la francophonie véhicule des concepts en concordance avec la convention internationale des droits de l’enfant, d’autant que ce sommet de Djerba coïncide avec l’anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant. On a donc lancé le projet de faire participer les enfants avec une pièce de théâtre dont le sujet tourne autour de cette convention avec des enfants qui fréquentent des écoles publiques tunisiennes. D’autant plus que ça consacre le droit à la participation des enfants et que ça balise la route d’un enfant citoyen qui serait porteur de valeurs de partage et de tolérance, entre autres, véhiculés en langue française.
Après avoir eu un accueil extrêmement favorable de l’IFT en Tunisie à qui nous avons envoyé un enregistrement sonore de la pièce de théâtre en question; j’ai pris contact avec la présidence de la République qui a accueilli favorablement le projet et le dossier a été transmis au ministère des Affaires étrangères auquel échoit le rôle de l’organisation de cet événement avec le comité d’organisation de l’OIF. Toutes les tentatives d’entrer en contact avec le comité d’organisation de l’OIF ont été infructueuses. C’est un mur de silence en face de soi et on ne sait pas comment les choses s’organisent… On ne sait pas comment la société civile peut participer. Ayant reçu l’accord de principe des Affaires étrangères, nous avons commencé les préparatifs de cette pièce de théâtre. L’Unicef a été extrêmement encourageante pour soutenir cette initiative. Ensuite, j’ai été surpris de recevoir un appel de la part du ministère des Affaires étrangères pour m’informer que le projet n’a pas été retenu et que les manifestations culturelles au sein du village de la francophonie ont été mises sous la responsabilité du ministère des Affaires culturelles qui a fait ses choix sans retenir l’idée de faire participer les enfants. J’ai proposé alors la projection d’un film pour marquer la participation des enfants. Là aussi pas de réponse. C’est alors que je me suis posé la question. Comment peut-on concevoir la pérennité de la présence de la langue française qui se rétrécit comme peau de chagrin si on ne construit pas sur les générations futures. Aujourd’hui, la langue française n’est plus maîtrisée en Tunisie même par des hauts responsables et des enseignants dans des écoles. En face, il y a la langue anglaise qui progresse, surtout par l’accès des enfants aux jeux vidéo le plus souvent en langue anglaise. La langue française reste attachée à l’écriture éclectique d’une petite minorité. On se demande quelle est la philosophie de l’OIF. Est-ce qu’elle continue de survivre à travers une élite sexagénaire qui fait la promotion des idées passéistes et une approche discriminative faisant du français le fait d’une minorité littéraire. Je suis surpris de voir l’OIF tourner le dos à l’enfance.