Ouverture des JCC dans les prisons: Ballon, passion et barbelés

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On s’accroche toujours à un ballon car un ballon peut changer les choses ; ses rotations, ses rebondissements et ses envols donnent des ailes pour contrecarrer le désespoir.  « Captains of Zaatari » en ouverture des JCC dans les prisons, qui a eu lieu dimanche à l’établissement carcéral de Oudhna et précisément dans le gymnase de la prison, mitoyen d’un terrain de foot, un choix plus que significatif.

L’aventure a commencé il y a 7 ans, encore une idée « farfelue » de ceux et celles qui dirigeaient les JCC cette année-là, comme fut certainement la création des JCC, un festival pour un cinéma indépendant alternatif, subversif et libre. Mais il n’y a que l’art, et plus précisément le cinéma, qui peut ouvrir les lourdes portes des prisons, soutenues d’une forte volonté et d’une belle détermination.

Cette année encore, les JCC s’invitent dans les prisons, élargissent leur spectre et développent leur action. Entre le Centre national du cinéma et de l’image, la direction générale des prisons et de la rééducation et l’Organisation mondiale contre la torture, c’est déjà une longue complicité qui donne ses fruits à chaque rendez-vous.

Pour une première fois (pour nous), l’arrivée devant le grand portail de la prison de Oudhna est un moment d’angoisse. Se retrouver dans le même espace que d’autres citoyens, privés de leur liberté, procure un sentiment mitigé. Serons-nous capables de partager un film avec eux et faire abstraction des signaux émanant des Talkie-Walkie qui nous ramènent à la réalité et en sortir indemnes ? Comment pourrons-nous repartir, les laissant derrière nous avec toutes ces images plein la tête ?

Un grand terrain de foot bien entretenu est la première chose que nous voyons en franchissant le grand portail, les murs sont blancs, la bâtisse propre, les agents courtois et, dans la salle du grand gymnase où allait se dérouler la projection, les détenus étaient bien en place. Sous leurs pieds, une moquette synthétique imitation gazon, sous les nôtres, un revêtement vinyle bleu. Entre nous cette ligne virtuelle de démarcation était bien réelle. Nous savions que nous ne devons pas les aborder, eux aussi savaient très bien que des échanges non contrôlés étaient interdits.

La prison de Oudhna est récente, c’est un établissement d’accueil qui s’est doté de la mission de réinsertion et de réhabilitation. Dans son enceinte, les détenus semblent disposer de meilleures conditions de détention que d’autres établissements.   140 prisonniers  étaient présents pour la projection, nous avons attendu l’arrivée d’une trentaine de détenues de la prison de La Manouba.

En attendant les officiels qui tardent toujours à venir, nos regards se croisent, de petits échanges silencieux, l’attente se fait lourde, la séparation devient pénible. Eux enfermés dans leur carré vert, nous dans notre couloir bleu. Chacun dans ses pensées, chacun dans sa bulle. Le film arrivera-t-il à faire briser cette chape de plomb ?

Nous, nous attendions avec impatience le début de la projection ; eux, certainement espéraient que cette attente s’éternise car la fin du film sonnera la fin de la récré.

Les trois chansons de Yasser Jeradi ont un écho encore plus intense dans des lieux pareils. Lui, l’artiste qui n’a jamais perdu de vue son rôle et son engagement, lui qui n’a rien perdu de son élan des débuts, sait très bien quoi dire dans ces moments délicats.

Yasser Jeradi a chanté pour eux, pour la patrie et pour la terre, il a partagé sa colère, son amour et sa passion. Yasser, on l’a écouté avec le cœur et on l’a ressenti dans la peau.

Puis vint enfin le temps de la projection, un documentaire et pas des moindres. « Captains of Zaatari » du réalisateur égyptien Ali El Arabi a été nominé pour 15 prix et a participé à 82 festivals de films dont Visions Du Réel, Human Rights Film, Festival Berlin…

C’est en Jordanie que se trouve Zaatari, le plus grand camp de réfugiés venus de la Syrie voisine. Fawzi et Mahmoud, deux amis, y partagent douleurs et rêves. Passionnés de foot, ils placent dans ce jeu leur espoir d’une vie meilleure.

Un jour, le recruteur d’une académie de foot au Qatar, en quête de nouveaux talents, invite leur équipe à participer à un tournoi, mais Fawzi, jugé trop âgé, doit rester à Zaatari…

Reporter de guerre expérimenté et reconnu, Ali El Arabi a rencontré Fawzi et Mahmoud en 2013 dans le camp de Zaatari. Touché par leur enthousiasme communicatif, il y est  revenu pendant plusieurs années, nouant des liens profonds avec les deux adolescents, leurs familles et les réfugiés. Le film est tourné sur 8 années, et une étroite complicité entre eux a permis des moments de grâce. Ali El Arabi est allé dans les profondeurs des liens qui unissent les deux garçons, l’intimité de leur vie, la relation avec la mère, le père et la petite sœur. La poésie de l’image prend la place et raconte une cruelle réalité. La complicité née tout au long du tournage a rendu les personnages troublants de sincérité et de naturel.

La caméra disparaît, elle n’est plus cet appareil voyeur qui est à l’affût et qui fausse le rapport mais elle se dissout dans ce quotidien et fait corps avec les protagonistes. Le film révèle aussi les rêves les plus fous, où réaliser ses rêves, rencontrer les plus grandes stars du foot, vivre sa passion jusqu’au bout devient une réalité.  Une phrase résume l’essentiel de ce film et, par transposition, la situation de ces détenus qui ont eu l’occasion d’assister à la projection. «Nous n’avons pas besoin de pitié, nous avons besoin d’opportunités», comme l’a déclaré Fawzi vers la fin du film.

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