Latéral moderne doté d’un tempérament très offensif, Hamadi Cheriti a accédé à la catégorie seniors la saison succédant au titre historique de champion de Tunisie glané en 1977 haut la main par la Jeunesse Sportive Kairouanaise.Il livra une bonne douzaine de saisons dans un club aux performances plutôt moyennes. «Aussi bien à la Chabiba qu’en équipe nationale, j’ai vécu des moments de pur bonheur, se réjouit-il. Certes, je n’ai gagné aucun trophée, mais cela me paraît secondaire par rapport à toutes ces années qui ressemblent à un conte de fées. Tout a changé. Maintenant, on joue pour l’argent. Pourquoi perdrais-je mon temps à suivre une sorte de pousse-ballon ?»
Hamadi Cheriti, commençons par vos débuts. Comment êtes-vous venu au football ?
Mon père Ahmed, qui était dans l’armée, a joué à la Chabiba. Mon oncle Ali a évolué avec les seniors avant de devenir dirigeant. Mon cousin Mouldi a été à son tour arrière droit. J’ai vu donc le jour dans une famille sportive. Et c’est Hamadi Gueddah qui m’a porté au club après m’avoir vu jouer dans notre quartier d’El Mansoura. J’ai tout de suite plu à l’entraîneur Abdelkrim Badra. J’ai signé ma première licence avec les minimes, en 1971. En 1977, j’ai disputé la première coupe du monde juniors organisée en Tunisie.
En arrivant parmi les seniors, de qui se composait l’équipe à l’époque ?
En accédant à la catégorie seniors, la saison qui a suivi notre unique titre de champion de Tunisie 1977, j’ai trouvé les Khemaïes Laâbidi, Moncef Ouada, Kacem Jabbès, Fethi Rimani, Boucharbia, Trabelsi, Youssef Seriati qui était latéral gauche…On m’a vite adopté. Peut-être parce qu’on me respectait du fait d’être le seul joueur kairouanais à avoir disputé une coupe du monde, celle des juniors.
Tout jeune, quelle était votre idole ?
Le défenseur axial brésilien Luis Pereira. Il a participé avec le Brésil à la Coupe du monde 1974 en RFA, et a été sacré champion d’Espagne avec l’Atletico Madrid.
Quels furent
vos entraîneurs ?
Avec les jeunes, Abdelkrim Badra qui m’a découvert, Tahar Belhaj et Hedi Kouni. Parmi les seniors, Stefanovic Dietscha, Drenovac, Amor Dhib (deux ans), Ahmed Ammar, Moncef Melliti, Baccar Ben Miled, Hmid Dhib, Mohsen Habacha…
Et le meilleur ?
Incontestablement, Ahmed Ammar. Il savait d’avance «lire» un match. Il était très fort tactiquement et fin stratège.
Avez-vous toujours été latéral droit?
Oui. Comme tout latéral moderne, j’aimais monter en attaque et apporter une contribution offensive aussi modeste soit-elle. J’avais la force physique et la technique. Ma spécialité, c’était le «ciseau».
Quel a été le joueur qui vous a posé le plus de difficultés ?
Il y en eut plusieurs : Temime Lahzami, Lassaâd Abdelli, Kamel Azzabi et feu Mounir Shili.
Le meilleur match que vous avez livré durant votre carrière ?
Contre le Club Sportif d’Hammam-Lif, au stade Ali Zouaoui. Jusqu’à la dernière minute, nous étions menés au score. J’ai égalisé dans les arrêts de jeu d’un retourné acrobatique dans les bois de Sahbi Sebaï. J’ai également marqué un but au keeper de l’EST, Kamel Karia, mais aussi contre le CAB, l’OCK…
Votre meilleur souvenir ?
Aussi bien à la Chabiba qu’en équipe nationale, j’ai vécu des moments de pur bonheur. Certes, je n’ai gagné aucun trophée, mais cela me paraît secondaire par rapport à toutes ces années qui ressemblent à un conte de fées.
Et le plus mauvais ?
La relégation du club en 1989. Je me suis dit sur le coup qu’il fallait coûte que coûte que je participe à faire revenir la JSK à sa place naturelle, la L1. Tayech, Gomri et Houarbi étaient partis. Mais nous avons réussi à éviter de longtemps traîner en D2.
Comment trouvez-vous la situation actuelle de votre club du cœur?
Les difficultés financières, la grève des joueurs et un état d’instabilité rythment désormais la vie de la JSK. C’est à mon avis déjà la fin. La Chabiba va péricliter. A certains moments, on la croit rétablie, mais au fond, ce n’est qu’illusion. Les symptômes du mal sont là: un sentiment d’incertitude, de doute quant à l’avenir du club. On a marginalisé les anciens joueurs, je ne sais pas pourquoi. Beaucoup de clubs avant la JSK ont suivi cette pente descendante: le COT, le SRS, le CSC, l’UST…
La JSK semble avoir perdu ce qui faisait sa fierté, la qualité de la formation des jeunes…
Cette vertu a disparu. Aziz Miled et Salah Essid lui accordaient le plus grand soin. Le centre de formation a depuis fermé ses portes. Conséquence: le club va vers l’inconnu. Viendra un temps où l’oubli l’ensevelira tout simplement parce qu’il a négligé la condition sine qua non de la réussite: la planification.
En sélection, vous avez connu de grosses déceptions aussi bien aux Jeux méditerranéens Casa 1983 qu’au dernier tour éliminatoire de la Coupe du monde Mexique 1986. Que s’est-il passé au juste ?
A Casa, il ne se passa rien de méchant entre les joueurs. Nous avions envie de passer l’Aïd à la maison. De plus, nous avons réellement joué de malchance. Cette mésaventure amena la tutelle à geler les activités de l’équipe nationale durant toute une année. Nous n’allions reprendre qu’en septembre 1984 à l’occasion d’un match amical remporté contre le Nigeria à El Menzah (5-0). Pour ce qui est des matches du Mondial perdus (4-1 à Tunis et 3-0 à Alger) à face l’Algérie, il n’y avait peut-être rien à faire contre des joueurs de la trempe de Madjer, Belloumi, Menad et Assad. Et puis, il ne faut pas perdre de vue tout le parcours que nous avons fait avec Youssef Zouaoui pour arriver jusqu’au dernier tour éliminatoire.
A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs tunisiens de tous les temps ?
Tarek, Agrebi, Dhouib, Abdelli, Hergal, Ben Yahia, Maâloul, Ben Doulet…
Et de l’histoire de la JSK ?
Ouada, Laâbidi, Rimani… Chacun a donné le meilleur de lui-même pour son équipe du cœur.
Que vous a donné le football que vous avez pratiqué au plus haut niveau avec les seniors entre 1978 et 1989 ?
L’estime et l’amour des gens, à Kairouan et ailleurs. Il est possible que je sois un jour en baisse de forme. Mais je me donne toujours à fond. Ce sont des primes symboliques que nous recevions. La plus importante, je crois, a été de 150 dinars après notre victoire en quart de finale de la coupe, à Tunis. Au tour suivant, le Club Africain allait nous éliminer.
Qu’a représenté la JSK dans votre existence ?
C’est mon sang, ma chair même. La Chabiba est là, à jamais, dans un petit coin de mon cœur.
Et Kairouan ?
La plus belle ville au monde. Sa terre est sacrée. Seuls ses enfants peuvent réaliser à quel point elle n’a pas sa pareille.
Avez-vous encouragé vos enfants à pratiquer le football ?
J’ai deux enfants, Ahmed et Asma. En 1990, j’ai épousé Lamia Bouhouch, une cousine qui est infirmière. Ahmed a joué à la Chabiba comme défenseur axial. Je lui conseille toujours de donner la priorité absolue à ses études.
Quel métier avez-vous pratiqué une fois les crampons raccrochés?
Depuis 1981, je suis technicien à la MTK, la manufacture des tabacs de Kairouan. C’est mon club qui m’y a déniché une place. Voilà pourquoi nous devons tout à nos clubs.
Pourquoi n’avez-vous pas suivi une carrière d’entraîneur ?
Je suis détenteur du 1er degré. J’ai entraîné durant quatre ans les jeunes de la JSK, dont Lassaâd Ouertani, Mohamed Amine Chermiti… J’ai assisté Khemais Laâbidi et Othmane Chehaibi à la tête des seniors, mais cela n’était pas allé plus loin.
Quels sont vos hobbies ?
L’aviculture me passionne. J’ai chez moi des oiseaux de la meilleure race. Je ne fais plus de sport, peut-être par paresse.
Si vous n’étiez pas footballeur, quel autre domaine auriez-vous suivi ?
Peut-être bien simple ouvrier. Avant de venir au foot, j’étais soudeur. Qui sait ce que le destin m’aurait réservé.
Enfin, le football d’aujourd’hui vous attire-t-il ?
Oh non, il ne m’intéresse plus. Jadis, c’était un football pour de vrais hommes qui ont du cœur et de la fierté, et qui pleurent quand ils ne sont pas titularisés, qui encaissent sans réagir les critiques les plus sévères de leurs entraîneurs et dirigeants. Maintenant, on joue pour l’argent. Pourquoi perdrais-je mon temps à suivre une sorte de pousse-ballon ?