Accueil Economie Supplément Economique Wajdi Ben Rejeb —  Expert économique à La Presse: « Entretenir une relation de confiance avec le FMI »

Wajdi Ben Rejeb —  Expert économique à La Presse: « Entretenir une relation de confiance avec le FMI »

« Le gouvernement  est appelé aujourd’hui à accélérer la réalisation des réformes pour qu’il puisse bénéficier de l’aide du Fonds. Le FMI   en soi ne va pas résoudre tous nos problèmes et ne va pas subvenir à tous nos besoins en matière de financement du budget 2021 et 2022.  Mais si le FMI accepte de s’engager avec la Tunisie, ça sera un signal très important pour les  autres bailleurs de fonds », précise l’expert économique, Wajdi Ben Rejeb, qui  nous fait le point dans cet entretien sur les négociations de la Tunisie avec le FMI et la crise économique et financière qui s’accentue de plus en plus.

Pouvez-vous nous donner un aperçu sur l’état de santé du secteur bancaire aujourd’hui en Tunisie?

Je pense que la mission d’une banque d’une manière générale est de financer l’économie.  Aujourd’hui, nos banques ne sont pas en train de jouer ce rôle-là.  Elles sont en train de financer l’Etat et les hommes d’affaires.  Nos banques ne sont pas en train de prendre des risques importants en finançant par exemple les start-up  ou en finançant les activités à forte valeur ajoutée. La start-up est une organisation temporaire, opérant dans un environnement incertain en l’absence du financement bancaire.

La mauvaise gouvernance envahit les banques publiques, à l’instar d‘autres sociétés. Quelle est votre perception sur cette problématique ?

En tant que spécialiste en la matière, la gouvernance désigne une mauvaise gestion, la corruption ou encore le gaspillage de ressources et le conflit d’intérêt.

Les banques publiques gardent une meilleure gouvernance par rapport à d’autres entreprises, mêmes celles cotées en bourse. Les entreprises tunisiennes, en l’occurrence,  ne répondent pas aux exigences de la transparence.  Je ne pense pas que les banques publiques sont accablées par la mauvaise gouvernance, mais plutôt par un problème de gestion. Je pense que les banques publiques doivent être plus innovantes  et coopératives sur tous les plans afin d’améliorer leur performance.   

A votre avis, comment peut-on améliorer la performance du système bancaire en Tunisie ?

Je pense que le problème réside dans les banques publiques, car elles ont un effectif plus important. Par ailleurs, il faut créer une culture de la méritocratie. Cette culture est importante parce que les gens font beaucoup d’effort et veulent être motivés. L’utilisation d’outils comme l’empowerment management vise à  améliorer la productivité.

De plus, on parle aujourd’hui  de digitalisation, voire de la banque à distance, un moyen performant  pour améliorer la productivité de banques publiques essentiellement, qui sont de moins en moins en retard par rapport aux progrès faits au sein des banques privées.  Si on avance vers la digitalisation des services, on va réduire  la pression sur les agences, les opérations bancaires et les charges des clientèles.

La Tunisie demeure dépendante du FMI pour financer son économie ?

Nous sommes en situation où on est obligé de recréer une relation de confiance avec le FMI. Malheureusement lorsqu’on a arrêté un programme avec le FMI, il y a eu des engagements concrets que les ministres des Finances qui se sont succédé n’ont pas honorés. Le fonds a fixé des programmes avec la Tunisie en prévoyant des enveloppes qui n’ont pas été débloquées. Et pour cause : l’Etat tunisien n’a pas encore  entamé les grandes réformes engagées depuis des années. Sachant que le FMI ne négocie pas uniquement avec le gouvernement, mais avec les partenaires sociaux (Ugtt,Utica…).

Rappelons que ladite institution financière apporte de l’aide pas uniquement à la Tunisie mais à d’autres pays qui sont en crise économique et financière similaire à celle de notre pays comme le Liban, le Pakistan ou le Soudan.

Le gouvernement  est appelé aujourd’hui à accélérer la réalisation des réformes pour qu’il puisse bénéficier de l’aide du fonds. Le FMI   en soi ne va pas résoudre tous nos problèmes et ne va pas subvenir à tous nos besoins en matière de financement du budget 2021 et 2022.  Mais si le FMI accepte de s’engager avec la Tunisie, ça sera un signal très important aux autres bailleurs de fonds qui refusent un tel engagement, et ce, après la dégradation de notre classement par les agences de notation et de rating internationales.

Quelles solutions peut-on envisager pour sortir de la crise ?

Plus on perd du temps, plus la sortie de la crise devient plus difficile. A mon avis, pour sortir de la crise économique actuelle, il faut restaurer cette relation de confiance pas uniquement avec le FMI, mais avec les partenaires sociaux, avec le peuple tunisien et avec tous les investisseurs.

Pour s’en sortir, il faudrait de prime abord réactiver le moteur classique de croissance, celui du phosphate  et de l’énergie, qui enregistrent aujourd’hui  une forte demande après la période post-covid et une augmentation remarquable des prix sur les marchés internationaux. Si l’Etat s’engage à réactiver ces moteurs de croissance classique, cela nous  permettra d’adresser un signal positif que l’Etat prend les choses en main et il n’y a plus cette situation d’impunité, de désordre, de chaos qu’on a vécu  ces dernières années. Il s’agit, également de rétablir la confiance avec les investisseurs nationaux et internationaux, d’entamer la réforme des caisses de compensation et du système de subvention, de restaurer la valeur du travail…

L’instabilité politique, l’absence de clarté   entravent toute démarche de relance économique. Y a-t-il une issue pour sortir de cette situation critique ?

Dans le monde des affaires, seuls le flou et le manque de visibilité entravent toute forme d’initiative et de réforme. Il est impératif, voire urgent,  que le gouvernement esquisse une vision claire basée sur des objectifs concrets, réalistes et mesurables, définis dans le temps. Il est appelé aussi à élaborer un programme cohérent pour les années à venir qui définit les orientations futures de l’Etat, notamment celles relatives au budget 2022.

Pourquoi les experts économiques tunisiens ne sont pas intervenus pour apporter leur contribution à la résolution de cette crise économique et financière ?

Au contraire, les experts économiques ont averti à maintes reprises les pouvoirs publics de la gravité de la situation économique, qui s’accentue de plus en plus. Ils ont été accusés d’être négatifs, alarmistes parce qu’on n’a pas cessé de dire que notre économie  est malade, qu’elle avait besoin de réformes urgentes et qu’il fallait passer la vitesse supérieure pour la sauver.

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