Bochra, Amira, Asma, Arem … et tant d’autres aux noms inconnus sont des victimes quotidiennes de violences et de féminicides. Qui aurait pu penser qu’en 2021, des composantes de la société civiles soient encore contraintes de sortir dans la rue pour dire stop au meurtre contre les femmes ? Pourtant, dans notre pays, la succession de ces crimes et l’incapacité de l’Etat à protéger les femmes, malgré l’adoption de plusieurs projets de loi, poussent aujourd’hui des ONG à manifester leur colère dans les rues pour attirer l’attention de l’opinion publique. Des activistes se sont ainsi réunis hier devant la statue Ibn Khaldoun dans la capitale pour dénoncer ces crimes odieux et la violence banalisée à l’égard des femmes.
« Féminicides, Etat coupable, justice complice », pouvait-on lire sur l’une des pancartes. La manifestation se voulait silencieuse, en réponse à ce que les organisateurs estiment être un silence de l’Etat.
Des pancartes en plusieurs langues ont été levées lors de cette manifestation, estimant que l’Etat demeure silencieux face à l’ampleur du phénomène. « Féminicides, Etat coupable, justice complice », pouvait-on lire sur l’une des pancartes. La manifestation se voulait silencieuse, en réponse à ce que les organisateurs estiment être un silence de l’Etat. Cette marche pour les droits des femmes s’inscrit dans le cadre de la commémoration de la Journée internationale des Droits de l’Homme, et l’aboutissement du 16e jour d’activités de la campagne internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Cette manifestation vient rappeler que le phénomène des féminicide est mondial, mais aussi que la Tunisie est particulièrement touchée. D’une part par ce que ces crimes se multiplient, et d’autres part « parce que les réponses institutionnelles et judiciaires ne sont pas toujours au rendez-vous », nous explique une militante. « Et lorsqu’elles interviennent, elles sont trop souvent en retard ».
Or avant de devenir des féminicides, les violences à l’égard des femmes sont des signes avant-coureurs qui demandent une réaction rapide de la part des autorités et de la justice pour mettre les victimes à l’abris. Lorsque les agents de police sont mal formés, lorsque les centres d’hébergements d’urgence sont insuffisants et manquent de moyens, et enfin lorsque le ministère de tutelle n’est pas suffisamment réactif face à l’ampleur des violences, les femmes tunisiennes s’inquiètent et se mobilisent.
Nabila Hamza, membre du bureau exécutif de l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) rappelle que cette marche a été organisée par l’Atfd et la dynamique féministe qui regroupe 9 organisations féministes.
« Nous assistons à une véritable hécatombe », assène la militante, qui note que la grande majorité des féminicides sont commis par le cercle proche de la victime. Et c’est précisément à ce niveau que l’absence de l’Etat pour protéger les victimes intervient.
« Les violences conjugales ou dans le cercle familial sont généralement commis la nuit lorsque tout le monde est dans la maison. Or, la nuit, la brigade spécialisée, prévue par la loi 58 de 2017, est introuvable ».
Bien que cette loi 58 soit saluée par la communauté internationale et constitue une avancée majeure dans le dispositif de lutte contre les violences faites aux femmes, la militante estime que l’Etat n’a pas mis sur la table les moyens nécessaires à son application.
« Il est aujourd’hui important d’agir, estime Nabila Hamza. D’abord au niveau de la formation des agents de police chargés de recueillir les plaintes des victimes, ensuite au niveau des magistrats dont une partie devrait se spécialiser dans ce type de crimes, et enfin, au niveau des centres d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences ».
Aujourd’hui, la brigade spécialisée semble être une voie de garage pour certains agents de police, qui n’ont souvent aucune empathie pour les femmes victimes.
Lorsqu’on lui parle de « crime passionnels », la militante rétorque, furieuse : « Il n’y a pas de crimes passionnels, il y a des crimes possessionnels, l’amour ne tue pas ! ».
Pour elle, l’Etat est aujourd’hui coupable de « non-assistance à personnes en danger ». Déterminées, les militantes qui sont sorties hier s’attendent à une réaction rapide et concrète de l’Etat, pour transformer la triste réalité que vivent des milliers de femmes en Tunisie.
Photo : Abdelfettah Belaïd