Start-up et écosystème d’accompagnement | Faten Aïssi, Directrice Associée de Flat6Labs : «Un branding national doit être retravaillé pour mettre en avant les compétences»

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“Un entrepreneur peut développer sa startup qu’il a lancée avec zéro dinar s’il sait y faire”, constate Faten Aïssi, directrice associée de Flat6labs. Forte de son expérience en tant qu’experte en entrepreneuriat, Aïssi nous dévoile les faiblesses mais aussi les points forts d’un écosystème en ébullition mais qui peine à passer la vitesse supérieure. Entretien.

Après presque trois ans de l’entrée en vigueur de la loi Startup Act, comment l’écosystème des startup a, depuis, évolué?

Je dirais que Startup Act a ouvert la voie à un changement radical. La loi Startup Act a été une locomotive pour inciter les jeunes à entreprendre. Grâce aux moult avantages qu’elle offre aux startuppeurs, elle  constitue pour eux, en quelque sorte, un filet de sauvetage. Outre les exonérations d’impôt, elle leur permet  de se consacrer entièrement à leurs projets mais aussi de libérer leur potentiel d’innovation et de création. Et elle leur permet surtout d’accéder à l’international à travers la carte technologique qui se caractérise par un  plafond beaucoup plus important. Par exemple, si  un employé, qui a une idée de startup, est labellisé ou a obtenu un pré-label, il  peut, dans ce cas,  prendre un congé d’une année tout en  continuant à percevoir  une grande partie de son salaire. L’objectif de cette mesure est de lui permettre de se dédier entièrement  au lancement de sa startup. Si ça marche, il peut  démissionner et poursuivre son aventure entrepreneuriale. En cas d’échec, il peut fermer sa startup et retourner à son travail.

Au fait, Startup Act est une prouesse. Généralement, l’entrepreneur, craignant de basculer dans la précarité, ne veut pas quitter son poste d’emploi parce qu’il ne veut pas renoncer à une situation stable où il y a une garantie de salaire. Donc, avec la loi  startup Act, le risque de précarité est très réduit : lorsqu’un entrepreneur quitte son poste pour une durée déterminée, il peut se concentrer totalement sur son projet. La loi permet donc aux entrepreneurs de s’épanouir. Startup Act offre également plusieurs avantages fiscaux tels que la réduction d’impôt sur les sociétés et la prise en charge par l’Etat des charges salariales et patronales. Tous ces avantages permettent aux entrepreneurs d’avoir du souffle.  Un autre avantage de taille : la carte technologique. Ce n’est un secret pour personne, le paiement en ligne a été  toujours le plus grand problème auquel se heurtent les jeunes entrepreneurs. Avec la carte technologique qui se caractérise par un plafond assez important (100 mille dinars par an), les entrepreneurs peuvent, s’ils le souhaitent, héberger leurs sites web sur des plateformes internationales telles que AWS (Amazon Web Services). Cela leur facilite l’accès à des marchés à l’international.

Quelles  sont  les difficultés d’accès au financement  que rencontrent les jeunes startuppeurs sur le terrain? Et qu’en est-il du démarrage du fonds des fonds ?

Tout d’ajbord il faut distinguer entre financement et investissement. Le financement peut être octroyé sous forme de dons. Si on parle de dons, on parle alors  de plusieurs programmes qui sont lancés dans l’écosystème et auxquels les entrepreneurs peuvent candidater afin d’avoir accès à des tickets de financement. On peut citer, à titre d’exemple,  AIR 1 et AIR 2 lancés par Smart Capital ou le programme Green4Youth de Flat6labs en partenariat avec Impact Partner.

S’agissant de l’investissement, il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de fonds d’investissement en Tunisie et les tickets d’investissement, je pense qu’ils ne sont pas adaptés non plus à l’écosystème tunisien. L’écosystème tunisien, qu’on le veuille ou pas, est un écosystème qui est encore récent. On a beaucoup de startup seed, c’est-à-dire en phase d’amorçage. Donc il faut mettre en place des tickets d’investissement qui sont adaptés à ce stade de développement de la startup et aussi, il faut mettre en place, parallèlement, un programme d’accompagnement pour encadrer et orienter ces entrepreneurs. Je dirais que financement ou investissement va de pair avec un programme d’accompagnement, lorsqu’il s’agit d’une startup qui est encore en phase seed. L’autre problème qu’on a en Tunisie, c’est que les tickets, qui sont disponibles, ne sont pas adaptés, non plus, aux besoins des startup qui sont à des stades de développement plus avancés. C’est pourquoi les startup tunisiennes les plus importantes, installent généralement une antenne à l’étranger et réalisent des levées de fonds à l’échelle internationale. En Tunisie, il n’y a pas d’investisseurs qui peuvent investir des millions d’euros dans une startup. On cite ici l’exemple d’Expensya ou Instadeep qui ont  réussi des levées de fonds importantes, respectivement, de l’ordre de 20 millions d’euros  et de  7 millions de dollars. Il n’y a pas des fonds d’investissement en Tunisie qui peuvent permettre à ces startup d’accéder  à des tickets aussi importants. Et c’est là où intervient le fonds des fonds Anava et où s’illustre son importance. C’est un  fonds qui  va permettre de créer plusieurs fonds d’investissement capables d’accompagner les startup tunisiennes dans chacune des phases de leur développement. On va voir la naissance de plusieurs fonds d’amorçage qui vont accompagner les startup en phase d’amorçage mais aussi  de plusieurs fonds d’investissement qui vont aider les startup à grandir. Anava n’a pas encore démarré l’investissement dans les fonds. Les discussions  pour le déploiement de ses fonds d’investissement  au niveau de l’écosystème sont toujours en cours.

Quelles sont les difficultés et les obstacles qui empêchent les startuppeurs à concrétiser leurs idées de projet  ou encore  à développer et  faire grandir leurs startup ?

Le marché tunisien est, à la fois, une bénédiction et une malédiction. C’est un marché test par excellence. Une fois l’idée testée, l’entrepreneur peut commencer  à chercher des fonds, notamment  d’investissement, pour parvenir à faire grandir sa startup  et commencer à opérer à l’international. Cela parait simple, mais il s’agit d’un parcours semé d’embûches étant donné les obstacles liés à l’écosystème. Tout d’abord, il y a la législation qui est encore ambiguë, plus particulièrement dans le domaine des fintechs où le cadre juridique n’est pas très clair. Le deuxième obstacle, c’est l’emploi. Les startup peinent à recruter les talents à cause du brain drain et le départ à l’étranger des ingénieurs et des développeurs. De plus, le taux de turnover est important. Le troisième problème c’est l’accès à l’international. La Tunisie est connue comme étant un pôle d’emploi et non pas un hub d’innovation. Les investisseurs ne sont pas très regardants sur ce qui se passe maintenant en Tunisie. Bien sûr, on essaie de faire bouger les lignes en lançant plusieurs initiatives au sein de l’écosystème mais cela n’empêche  qu’il y a encore du pain sur la planche pour rattraper l’avance prise, par exemple, par l’Egypte, l’Arabie Saoudite ou encore  Abu Dhabi. Les startup tunisiennes sont en mal de visibilité. D’ailleurs, on le voit à travers les chiffres et les levées de fonds qui sont faites dans ces pays- là, c’est complètement différent de ce qui est en train de se passer en Tunisie. Parce que les investisseurs ne connaissent pas la Tunisie tout simplement, comme étant un hub d’innovation où l’on peut dénicher des startup intéressantes et y investir.  Un branding national doit être retravaillé pour mettre en avant les compétences de nos startup afin qu’on puisse drainer les investissements. Il y a aussi la question du paiement en ligne à l’international (cartes en devises) qui est vraiment une barrière au développement des startup. 

Revenons sur le travail de Flat6labs en Tunisie. Quel type d’accompagnement vous offrez aux startup et quelles sont les jeunes pousses que vous ciblez? 

Flat6labs est  une organisation internationale présente dans 7 pays à travers la région Mena. On a commencé notre activité au Caire il y a 10 ans et en Tunisie depuis 2017. Notre cœur de métier est toujours l’investissement dans les startup et l’accélération. On investit en moyenne dans 16 startup par an. Peu importe leurs  secteurs d’activités (robotique, e-learning, e-health, market  place, etc),  ces startup doivent opérer dans l’innovation et l’économie du savoir et avoir  une composante technologique digitale qui va leur permettre de s’internationaliser et d’être scalable.

Flat6labs est avant tout un fonds d’investissement qui a aussi un programme d’accompagnement qui s’appelle programme d’accélération. Ce programme dure 4 mois durant lesquels les startup sont appelées à atteindre trois objectifs: avoir un produit commercialisable, commencer à générer du revenu et être prêt à recevoir des investissements, une fois le programme d’accélération terminé.  Depuis notre implantation en Tunisie, on a accompagné et investi dans une soixantaine de startup. Nous injectons des tickets d’investissement allant de 200 jusqu’à 800 mille dinars par startup. En moyenne, on investit  3,2  millions de dinars par an  dans 16 startup. Et  même en période covid, nous avons continué notre travail et  nous avons  lancé d’autres programmes pour soutenir l’écosystème. On a lancé des initiatives comme Ebda’y, qui est un programme d’accompagnement totalement  dédié aux femmes entrepreneures en partenariat avec Smart Capital et La Société Financière Internationale, groupe de la Banque Mondiale. On a, également, lancé, en partenariat avec l’Unicef le CRC Tunisia Innovation Champions, un programme qui accompagne les startup et qui propose des solutions aux enfants et aux jeunes. En collaboration avec la Banque mondiale et Hivos, et en partenariat avec Impact Partner, nous avons démarré Green4youth qui est une initiative consacrée aux startup qui opèrent dans la greentech avec des tickets de financement allant jusqu’à 30 mille dinars. Nous avons également mis en place le programme Ignite Tunisia, soutenu par soutenu par Innov’i – EU4Innovation, projet financé par l’Union Européenne et mis en œuvre par Expertise France qui s’adresse aux structures d’accompagnement régionales parce qu’on veut démocratiser l’accès à ces structures  partout en Tunisie. Nous misons sur les entrepreneurs qui sont basés dans les régions et nous comptons les aider à créer de la valeur  et de la richesse ainsi qu’à dynamiser leurs écosystèmes locaux. L’objectif étant de créer des hubs d’innovation locaux partout en Tunisie.

Quels sont les critères d’éligibilité des startup à ces programmes ainsi qu’au  fonds Flat6labs ?

Il y a plusieurs critères de sélection que nous avons mis en place. Tout d’abord, il y a  les opportunités de marché. Le deuxième critère c’est  la composante technologique. Il faut que la startup ait une composante tech. L’équipe est le troisième critère qui est extrêmement important. S’il n’y a pas une équipe solide derrière le projet, l’entrepreneur ne peut pas aller loin même s’il a la meilleure idée au monde. La création d’emploi est, également, un indicateur important pour nous et qu’on suit de près. Les startup qu’on a appuyées ont créé plus de 450 emplois dont un bon nombre sont occupés par des femmes. Notre portefeuille est composé de quatre types de startup : prototype,  MVP, Go to Market et scale up. Chaque type de startup bénéficie d’un accompagnement personnalisé. Il est à noter aussi que les startup que nous avons accompagnées et financées ne sont pas basées uniquement sur le Grand Tunis, beaucoup d’entre elles sont installées dans les régions, notamment au Kef, à Sfax, Monastir, Sousse, Béja. On essaie, vraiment, de couvrir le maximum de régions en Tunisie.

Quel message voudriez-vous adresser aux jeunes qui souhaitent lancer leurs startup ainsi qu’aux startuppeurs qui se battent pour développer et faire grandir leurs projets ?

J’ai deux conseils à donner aux startuppeurs. Tout d’abord, il faut faire ses recherches. Toutes les informations sont disponibles. Si un startuppeur est encore en phase d’idéation et veut solliciter de l’aide, il peut recourir à des incubateurs qui accompagnent les entrepreneurs et les aident à peaufiner leurs idées. Il faut chercher l’information et se documenter. Il faut avoir connaissance des acteurs, des fonds d’investissement qui existent, des programmes qui financent et accompagnent  les startup qui opèrent dans un secteur donné. Entrer en contact, s’il le faut,  avec d’autres startup  pour  avoir un retour d’expérience.

La deuxième chose qui me paraît essentielle, c’est le networking. Il faut partager son idée. Souvent les entrepreneurs ne veulent pas dévoiler leurs idées par peur de se faire copier. Au contraire! Il faut partager son idée et avoir les feedbacks.  Il ne faut pas tomber amoureux de son idée et rester cloisonné. Allez vers l’autre et surtout ne pas se dire, qu’en Tunisie, on est voué à l’échec. Malgré le tableau pessimiste  dépeint, il y a  tellement de choses qui sont en train de se passer en Tunisie. Il y a de l’argent injecté dans l’écosystème. Un entrepreneur peut développer sa startup qu’il a lancée avec zéro dinar s’il sait y faire.

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