Le chômage mondial devrait s’élever à 207 millions en 2022, dépassant d’environ 21 millions son niveau de 2019, selon un récent rapport publié par le Bureau international du travail (BIT).
En 2021, la pandémie de Covid-19 a dominé l’économie mondiale pour la deuxième année consécutive, empêchant un redressement complet et équilibré des marchés du travail, selon le Bureau international du travail (BIT) dont le siège est basé à Genève, en Suisse. Chaque nouvelle flambée épidémique entraîne des reculs. Elle a ainsi eu de fortes répercussions sur de nombreux progrès en matière de travail décent réalisés avant la pandémie, et les déficits qui préexistaient pèsent sur les perspectives de reprise durable dans de nombreuses régions. Les perspectives du marché mondial du travail se sont dégradées depuis les dernières projections du BIT, et un retour aux performances d’avant la pandémie risque de rester hors de portée pour une grande partie du monde au cours des prochaines années.
Sur la base des dernières prévisions de croissance économique, le BIT estime que le nombre total d’heures travaillées dans le monde en 2022 restera inférieur, une fois corrigé de la croissance démographique, de près de 2 pour cent à son niveau d’avant la pandémie, ce qui équivaut à un déficit de 52 millions d’emplois à plein temps (sur la base d’une semaine de travail de quarante-huit heures). Le chômage mondial devrait s’élever à 207 millions en 2022, dépassant d’environ 21 millions son niveau de 2019. Les trajectoires de reprise varient beaucoup selon les régions, les pays et les secteurs. Depuis le début de la reprise, les tendances de la croissance de l’emploi dans les pays à revenu faible et intermédiaire sont restées nettement inférieures à celles observées dans les économies plus riches, en raison principalement des taux de vaccination plus bas et de l’espace budgétaire plus étroit dans les pays en développement. Les répercussions ont été particulièrement graves pour les nations en développement qui connaissaient des niveaux d’inégalités plus élevés, des conditions de travail plus divergentes et des systèmes de protection sociale plus faibles même avant la pandémie.
Réduction du potentiel de création d’emplois décents
Les déficiences et inégalités structurelles sous-jacentes amplifient et prolongent les conséquences négatives de la crise. L’importance de l’économie informelle dans de nombreux pays en développement nuit à l’efficacité de certains instruments politiques, car les entreprises informelles ont été moins en mesure d’accéder aux lignes de crédit formelles ou aux aides publiques liées au Covid-19. Les mesures d’aide avaient donc moins de chances d’atteindre ceux qui en avaient besoin, et les inégalités au sein des pays se sont aggravées. Les petites entreprises ont enregistré davantage de baisse de l’emploi et des heures de travail que les grandes.
Les économies en développement qui dépendent des exportations de biens ou de produits de base à forte intensité de main-d’œuvre ont eu beaucoup de mal à s’adapter à la demande irrégulière résultant des réorientations de croissance économique liées à la pandémie. Les économies dépendantes du tourisme souffrent lourdement de la fermeture des frontières et des pertes de revenus.
Les pertes d’emploi et la réduction du temps de travail ont entraîné une baisse des revenus. Dans les pays en développement, l’absence de systèmes complets de protection sociale capables de fournir des prestations adéquates pour stabiliser les revenus a aggravé les tensions financières de ménages déjà économiquement vulnérables, avec des effets en cascade sur la santé et la nutrition. La pandémie a fait basculer des millions d’enfants dans la pauvreté, et de nouvelles estimations indiquent que 30 millions d’adultes sans travail rémunéré sont tombés en 2020 dans l’extrême pauvreté (vivant avec moins de 1,90 dollar É.-U. par jour en parité de pouvoir d’achat). En outre, le nombre de travailleurs extrêmement pauvres — ne gagnant pas assez par leur travail pour se maintenir, eux et leur famille, au-dessus du seuil de pauvreté — a augmenté de 8 millions… Alors que les marchés du travail sont loin d’être rétablis, la hausse des prix des produits de base et des biens essentiels réduit nettement le revenu disponible et ajoute ainsi au coût de la crise. À l’avenir, les responsables de la politique macroéconomique devront faire des choix difficiles, avec d’importantes retombées internationales.
Des signes de hausse attendue de l’inflation pourraient multiplier les appels à un resserrement plus rapide des politiques monétaire et budgétaire. Dans le même temps, étant donné la nature asymétrique de la reprise, un tel resserrement toucherait particulièrement les ménages à faibles revenus, ce qui signifie qu’il faudra veiller à maintenir des niveaux de protection sociale adéquats.
Étant donné que la plupart des travailleurs dans le monde n’avaient pas, ou pas suffisamment, de revenus de remplacement, les ménages ont dû puiser dans leur épargne. L’effet est particulièrement marqué dans les pays en développement, où la part des populations économiquement vulnérables est plus importante et où l’ampleur des plans de relance a été moindre. La perte de revenus qui en a résulté a encore réduit la demande globale, créant un cercle vicieux qui souligne la nécessité de politiques concertées pour accélérer le redressement du marché du travail, lutter contre les inégalités et remettre l’économie mondiale sur la voie d’une croissance durable.
Reprise du marché du travail : inégale et incomplète
Les projections du BIT indiquent un déficit d’heures de travail équivalant à 52 millions d’emplois à plein temps en 2022. Bien que ce chiffre traduise une amélioration non négligeable par rapport à 2021, année où les heures travaillées, corrigées de la croissance démographique, étaient inférieures à leur niveau du quatrième trimestre de 2019 de l’équivalent de 125 millions d’emplois à plein temps (sur la base d’une semaine de travail de quarante-huit heures), il reste extrêmement élevé. En 2022, le ratio emploi-population devrait s’établir à 55,9 pour cent, soit 1,4 point de pourcentage au-dessous de son niveau de 2019.
Beaucoup de ceux qui ont quitté la population active ne l’ont pas réintégrée, ce qui signifie que le niveau de chômage sous-estime toujours les répercussions totales de la crise sur l’emploi. Après avoir chuté de près de 2 points de pourcentage entre 2019 et 2020, le taux d’activité dans le monde ne devrait se redresser que partiellement pour atteindre un peu moins de 59,3 pour cent d’ici à 2022, soit environ 1 point de pourcentage de moins que son niveau de 2019. Le taux de chômage mondial devrait rester supérieur à son niveau de 2019 jusqu’en 2023 au moins. Le nombre total de chômeurs devrait diminuer de 7 millions en 2022 pour atteindre 207 millions contre 186 millions en 2019.
Le relèvement du marché du travail est plus rapide dans les pays à revenu élevé. Ils représentent à peu près la moitié de la baisse du chômage dans le monde entre 2020 et 2022, alors qu’ils ne constituent qu’environ un cinquième de la population active. Depuis le début de la pandémie, ce sont les pays à revenu intermédiaire inférieur qui s’en sortent le moins bien et qui connaissent également la reprise la plus lente.
La reprise est inégale au sein des pays. Les conséquences disproportionnées de la pandémie sur l’emploi des femmes devraient se réduire au niveau mondial au cours des prochaines années, mais un écart important devrait néanmoins subsister. La disparité est plus prononcée dans les pays à revenu intermédiaire supérieur, où le ratio emploi-population des femmes en 2022 devrait être inférieur de 1,8 point de pourcentage à son niveau de 2019, contre seulement 1,6 point de pourcentage pour les hommes, bien que les femmes aient un taux d’emploi inférieur de 16 points de pourcentage à celui des hommes au départ. La fermeture d’écoles, d’universités et d’établissements de formation professionnelle pendant de longues périodes dans de nombreux pays a affaibli les résultats d’apprentissage, ce qui aura des répercussions en cascade à long terme sur l’emploi et la formation continue des jeunes, en particulier ceux qui n’ont eu qu’un accès limité ou nul aux possibilités d’apprentissage en ligne.
La pandémie aggrave diverses formes d’inégalités, des inégalités entre les sexes à la fracture numérique. Les changements dans la composition des relations d’emploi – comme le recours au travail indépendant informel pour gagner sa vie, l’augmentation du travail à distance et les diverses tendances en matière de travail temporaire – risquent tous d’altérer la qualité des conditions de travail.
Le travail temporaire comme amortisseur en période d’incertitude économique
Avant la pandémie, la part de l’emploi temporaire dans l’emploi total avait augmenté au fil du temps, mais pas de manière uniforme entre les secteurs et les pays. L’emploi temporaire est en grande partie structurel et dépend de la composition sectorielle et professionnelle du marché du travail. Toutefois, en période de crise, il tend à servir d’amortisseur, les employeurs réduisant le recours aux travailleurs temporaires. À plus longue échéance, l’emploi temporaire peut avoir une incidence négative sur la productivité à long terme des entreprises en raison de ses effets sur le maintien dans l’emploi, la formation et l’innovation. Les travailleurs subissent également les effets négatifs du travail temporaire, qui va de pair avec une plus grande insécurité de l’emploi et du revenu et un accès plus faible à la protection sociale. Les taux d’emploi temporaire sont plus élevés dans les pays à revenu faible et intermédiaire (un peu plus d’un tiers de l’emploi total) que dans les pays à revenu élevé (15 pour cent). Mais la nature de l’emploi temporaire varie entre les pays développés et les pays en développement. Dans les premiers, bien qu’il puisse constituer un point d’entrée vers un poste plus permanent, ou un moyen flexible et stratégique d’entrer et de s’engager sur le marché du travail, les travailleurs temporaires ne bénéficient pas de la sécurité de l’emploi et de revenus réguliers et ne remplissent pas toujours les conditions d’accès à la protection sociale ou à la protection de l’emploi. Pour les travailleurs du monde en développement, le travail temporaire se présente souvent sous la forme d’un emploi informel avec peu ou pas d’accès aux systèmes de protection sociale et de protection de l’emploi.
Aux premiers stades de la pandémie, dans les pays caractérisés par un marché du travail à deux vitesses, l’emploi informel n’a pas joué son rôle anticyclique traditionnel d’absorption des travailleurs déplacés du secteur formel. Dans beaucoup de ces pays, les travailleurs informels risquaient plus que les travailleurs formels de perdre leur emploi ou d’être contraints à l’inactivité en raison des confinements et autres mesures de restriction sanitaire. Avec la reprise progressive de l’activité économique, l’emploi informel, en particulier l’emploi indépendant, a connu un fort rebond, et de nombreux travailleurs informels sont sortis de l’inactivité.
La prévention des dommages durables nécessite une action politique globale centrée sur l’humain
Lors de la Conférence internationale du travail de juin 2021, les 187 États membres de l’OIT ont discuté des réponses politiques mondiales, régionales et nationales à la crise. À l’issue des débats, ils ont adopté l’Appel mondial à l’action en vue d’une reprise centrée sur l’humain qui soit inclusive, durable et résiliente pour sortir de la crise du Covid-19, soulignant la nécessité d’une reprise pleinement inclusive fondée sur une mise en œuvre accélérée de la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail. Cela implique de reconstruire l’économie en s’attaquant aux inégalités systémiques et structurelles et à d’autres défis sociaux et économiques à long terme qui sont antérieurs à la pandémie, comme le changement climatique. La condition préalable pour parvenir à une telle résilience est l’action multilatérale et la solidarité mondiale, notamment en ce qui concerne l’accès aux vaccins, la restructuration de la dette et la facilitation de la transition écologique.
Ne pas réussir à relever ces importants défis stratégiques constituerait une nouvelle occasion manquée de placer le monde sur une trajectoire plus équitable et durable. Pour parvenir à une reprise centrée sur l’humain, il faudra réussir à mettre en place quatre piliers: la croissance économique et le développement inclusifs, la protection de tous les travailleurs, la protection sociale universelle et le dialogue social. Chacun de ces piliers a un rôle clé à jouer. Tout au long de la période de reprise, les politiques macroéconomiques devront aller au-delà d’un rôle anticyclique visant simplement à revenir aux résultats d’avant la crise, car cela ne résoudrait pas le problème des déficits de travail décent ni ne rendrait les pays moins vulnérables aux crises futures. Les politiques budgétaires doivent non seulement chercher à protéger les revenus et l’emploi, mais aussi s’attaquer aux problèmes structurels et aux causes profondes des déficits de travail décent dans le monde.
En fonction des contraintes et des priorités des pays, cela impliquera une combinaison de politiques budgétaires ayant pour objectif la création d’emplois productifs à grande échelle, soutenues par des politiques industrielles, le développement des compétences et des politiques actives du marché du travail (dont celles destinées à combler la fracture numérique), ainsi qu’un investissement soutenu dans la protection sociale universelle. Une politique macroéconomique proactive est devenue d’autant plus essentielle que l’interaction de la pandémie avec la technologie et d’autres «mégatendances» menace d’accélérer le creusement des inégalités au sein des économies et entre elles. Étendre et assurer la protection de tous les travailleurs impliquent de garantir les droits fondamentaux au travail, de veiller à la sécurité et à la santé sur le lieu de travail et de mettre en œuvre un programme porteur de changements en faveur de l’égalité de genre.
La pandémie a révélé la vulnérabilité de nombreux groupes de travailleurs — notamment les travailleurs essentiels, informels, indépendants, temporaires, migrants, de plateformes et peu qualifiés — qui sont souvent très exposés aux effets de la crise sur la santé et le marché du travail, et dont beaucoup font les frais des lacunes en matière de couverture sociale à travers le monde. Combler les lacunes de la protection sociale et fournir un accès universel à une protection sociale complète, adéquate et durable doivent rester une priorité essentielle. Trouver un financement équitable et durable pour ces systèmes en période d’espace budgétaire limité nécessite une action multilatérale afin de compléter la mobilisation des ressources nationales. Le dialogue social a joué un rôle clé dans la réponse à la pandémie, de nombreuses politiques et mesures visant à limiter les pertes d’emplois ayant résulté de discussions tripartites. Au cours de la période de reprise, le dialogue social restera crucial pour trouver des solutions qui soient mutuellement bénéfiques aux entreprises et aux travailleurs et qui aient des répercussions macroéconomiques positives et des effets d’entraînement. Pour que le dialogue social puisse jouer ce rôle, il faudra renforcer les capacités des administrations publiques et des organisations d’employeurs et de travailleurs à participer à un tel processus.
Dans l’ensemble, les principaux indicateurs du marché du travail dans toutes les régions — Afrique, Amériques, Asie et Pacifique, États arabes, ainsi qu’Europe et Asie centrale — n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’avant la pandémie. Pour toutes les régions, les projections jusqu’en 2023 indiquent qu’une reprise complète restera difficile à atteindre. L’Europe et le Pacifique devraient être les plus proches de cet objectif, tandis que l’Amérique latine et les Caraïbes ainsi que l’Asie du Sud-Est ont les perspectives les plus négatives. Toutes les régions sont confrontées à de graves risques pesant sur le redressement de leur marché du travail en raison des effets prolongés de la pandémie. En outre, cette dernière modifie structurellement les marchés du travail, de telle sorte qu’un retour aux niveaux de référence d’avant la crise pourrait bien être insuffisant pour compenser les dommages qu’elle a causés.