Le film «Siciliens d’Afrique. Tunisie terre promise», réalisé par Marcello Bivona et produit par Alfonso Campisi, décrit l’histoire des Siciliens de Tunisie et le drame de leur rapatriement après l’indépendance tunisienne. Nous avons eu cet entretien avec le réalisateur.
Vous êtes parti avec Alfonso Campisi sur l’écriture d’un court-métrage et vous avez fini par faire un film de 76 minutes. Qu’est-ce que vous avez découvert en cours de route pour alimenter toute cette histoire…
Au début c’est Alfonso Campisi qui a fait appel à moi pour réaliser avec lui ce film sur les Siciliens d’Afrique. Nous avons voulu raconter l’histoire des Siciliens à Tunis qui représentent 90% de la communauté italienne. On était parti sur un court-métrage, mais peu à peu, le film est devenu un long-métrage. En fait, en faisant ce film, j’ai découvert qu’il y avait des interviews que j’ai tournées il y a dix ans à Milan et qui trouvent leur place dans le film. Ces interviews contiennent le précieux témoignage des réfugiés italiens de Tunis qui ont vécu l’expérience des camps de réfugiés à Milan. Je me suis aperçu que le sujet des Siciliens «obligés» de quitter la Tunisie pour s’installer dans un camp en Italie n’a jamais été traité. Cette histoire n’était même pas connue par des Italiens qui n’ont jamais quitté la Tunisie. Cela a changé le cours du film.
Vous faites aussi partie de ces Siciliens qui ont quitté la Tunisie à contrecœur dans ce rapatriement après l’indépendance de la Tunisie…
J’ai quitté la Tunisie à l’âge de cinq ans. Mais ma Tunisie, je l’ai vécue dans la banlieue de Milan où ma famille s’est installée. J’ai vécu cette déchirure à travers la douleur et la nostalgie de mes parents. D’autant plus que 50 ans en arrière, les Italiens nous prenaient pour des «sauvages». Lorsque j’ai grandi et que je suis retourné en Tunisie, j’ai vraiment senti la douleur de ma mère dans la chair. Il est de notre devoir aujourd’hui en faisant ce film de redonner à ces Siciliens leur dignité et leur identité. Nous avons voulu faire un film qui éclaircit certains moments de l’Histoire et ne pas tomber dans le récit nostalgique.
Quelle est la plus grande difficulté que vous avez rencontrée en faisant ce film ?
La plus grande difficulté est financière. Mais je reste convaincu que pour faire des films de ce genre, il faut souffrir. Et même si j’avais eu un très grand financement, le film n’aura pas «le cœur» qu’il a maintenant. Avec le monteur Christian Scorciello, mes rencontres finissent toujours avec des allures psychanalytiques alors que ça commence par une question «Quand est-ce on va finir le film ?». Cela dit, le film a été soutenu par l’Institut culturel italien et l’ambassade d’Italie, l’Univesité de Catane, D’artagnan, Rita Mangogna, Gaspare Bannino, Norama Marisa Impellizerri.
Il y a des images d’archives très rares sur la Tunisie des années cinquante…
J’ai eu la chance de connaître un Italien qui a quitté la Tunisie après la nationalisation des terrains. Il s’appelle Giuseppe Gabriele… Aujourd’hui, il est âgé de 85 ans. À l’époque, il était passionné de cinéma et il avait acheté une caméra Pathé 9mm et demi et il a filmé tout son quotidien en Tunisie. Un jour, il m’a dit : «je te fais cadeau de toutes mes archives… Je te passe mon témoignage». Dans le film, on le voit avec sa femme quand il avait 20 ans.
Est-ce que le mot documentaire décrit bien votre film ?
Le documentaire est une façon très personnelle de raconter une histoire. Il n’est pas, comme certains le pensent, une somme d’informations filmées. Le documentaire, ce n’est pas la vérité mais la vérité de celui qui filme. Dans ce sens, mon film est un documentaire.
On croit savoir que vous avez un projet de film sur El Haouaria…
En effet, mais ce qui m’intéresse, c’est de raconter la poésie des choses. Mon approche politique et sociale passe par la poésie. C’est un film qui sera basé sur des images que j’ai filmées d’El Haouaria il y a plus de 30 ans…