Dans ses dernières allocutions, le Président de la République s’est montré déterminé et ferme quant à la lutte contre la spéculation. Or, il s’avère que l’on navigue encore en eaux troubles.
Dénonçant «des parties qui œuvrent à affamer le peuple en monopolisant les produits alimentaires, l’eau minérale et bien d’autres produits», le chef de l’Etat dit vouloir frapper d’une main de fer «les lobbies de la corruption qui sont derrière toutes les opérations de spéculation. Mais a-t-on déjà décelé leur mode opératoire pour ainsi réussir à les dissuader ?
Recommander aux autorités compétentes plus de rigueur pour garantir le respect de la loi, ce n’est point une première, c’est plutôt du déjà-vu, du déjà entendu. Rugir comme un lion dans sa tanière, cela rappelle le mélo de la téléréalité, mais ne change rien à la condition du petit Salah affamé, des pauvres, des veuves, des orphelins, des petites gens, somme toute, des franges sociales déshéritées.
Ces dernières années, des centaines de tonnes de farine, de semoule, de pommes de terre et des dizaines de milliers de litres d’huile végétale sont annuellement saisis par les équipes de contrôle relevant du ministère du Commerce. De lourdes amendes sont infligées aux récalcitrants. Mais la chevauchée des pêcheurs en eaux troubles continue.
Naufrage collectif
Chaque année, les opérations de spéculation et de corruption coûtent près de 3 milliards de dinars (quelque 950 millions d’euros) à l’économie tunisienne, soit près de 2% de son PIB selon l’ONG Transparency International.
A l’origine du mal, il y a une économie de rente qui tue et une corruption endémique qui ne fait qu’accélérer le naufrage collectif.
Le célèbre géopoliticien Yves Schemeil rattache ce même phénomène endémique qu’est la corruption à un patronage, dont les codes ont évolué avec le temps, pour être sans cesse brouillés. Dans cette optique, il fait remarquer que «les liens avec la parenté, la protection, l’intermédiation, le leadership et l’honneur» cèdent souvent aux clanisme et clientélisme, balisant le terrain devant bien des dérives.
La fragilisation des classes moyennes, la faiblesse de la classe ouvrière et de la société, civile ainsi que la crise de valeurs traversant notre société y sont, de surcroît, pour beaucoup. Ces travers sont l’aboutissement logique d’un individualisme allant crescendo, en Tunisie.
Le réveil, un mot d’ordre
Dans cet Etat, financièrement en faillite, qui n’est plus en mesure d’honorer les intérêts de sa dette, les banqueroutes sont multiformes : économiques, institutionnelles, morales, politiques et sociales. Parvenu à un tel stade de déliquescence, l’Etat est incapable d’assurer ses fonctions régaliennes : l’organisation de la société, la bonne marche des services publics et le maintien de l’ordre. En l’absence de vraies structures de régulation, les riches accumulent plus de richesses et les pauvres sont de plus en plus miséreux.
Rattacher au train des réformes le wagon tunisien par les temps qui courent, ce n’est point une sinécure. Il faut plutôt engager les actions et s’inscrire dans la durée au lieu de céder au verbe et à l’improvisation.
De ce point de vue, un grand travail d’éducation civique doit être entamé par les différents acteurs de la République pour apprendre au citoyen, une fois sur les bancs du savoir, et, plus tard dans les allées du pouvoir, à imaginer les conséquences de ses actes sur la collectivité, sur le vivre-ensemble, sur la marche de la République.