Accueil Economie Supplément Economique Seif Derouiche, Coordinateur du projet «ProtecT» et expert en changement climatique et économie circulaire à La Presse: «L’économie circulaire, un pilier de développement durable et inclusif en Tunisie »

Seif Derouiche, Coordinateur du projet «ProtecT» et expert en changement climatique et économie circulaire à La Presse: «L’économie circulaire, un pilier de développement durable et inclusif en Tunisie »

L’économie circulaire est envisagée comme un levier économique. L’enjeu est de s’appuyer sur la raréfaction des ressources pour développer des produits plus économes en ressources et participer ainsi à la compétitivité des entreprises. Ce changement de paradigme passe bien évidemment par une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et pourrait contribuer fortement aux efforts mondiaux et nationaux pour la lutte contre les changements climatiques.

Pouvez-vous nous donner un aperçu

sur le projet «ProtecT» ?

Ce projet vient à point nommé appuyer les efforts nationaux dans la politique de lutte contre les changements climatiques et l’amélioration de la gestion des déchets solides. Le projet ProtecT a pour objectif principal l’intégration des aspects liés à l’économie circulaire (EC) ainsi qu’au changement climatique (CC), dans le domaine de gestion des déchets. L’objectif ultime est l’amélioration de la qualité de la vie du citoyen tunisien et la protection de son climat (s’intégrant parfaitement avec l’article 45 de la Constitution tunisienne). ProtecT vise également à appuyer ses partenaires, à savoir le ministère de l’Environnement (MEnv) et l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGed) dans l’intégration d’une économie circulaire respectueuse du climat, favorisant la création d’emplois et l’égalité femmes-hommes.

ProtecT est mandaté par le Ministère fédéral de la coopération économique et du développement (BMZ) et mis en œuvre par la coopération technique allemande (GIZ). Le budget total du projet est d’environ 5.000.000 € pour une durée d’exécution de 4 ans (2020-2024). ProtecT fait partie des projets de la GIZ qui visent à appuyer la Tunisie à réaliser sa transition énergétique et écologique et à respecter ses engagements climatiques.

Quels sont les pays concernés par ce projet ?

L’économie circulaire est une démarche récente qui est très répandue de nos jours dans le monde entier, particulièrement dans les pays développés. Elle fait également l’objet d’une loi dans plusieurs pays du globe, depuis une dizaine d’années déjà, à titre d’exemple : l’Allemagne, le Japon, la France et les Pays-Bas. En Europe, l’Allemagne a été un des premiers pays à légiférer sur le sujet en 1994, dans le cadre de sa politique des déchets. Quant au Japon, avec sa loi-cadre datant de 2000 (« Sound material-cycle society »), il privilégie le recyclage, le principe de proximité et de prévention des déchets (les 3R : Réduction-Réutilisation-Recyclage). Son dispositif législatif est complet et mêle (combine) incitatif et coercitif.

Dans ces pays, l’économie circulaire est envisagée comme un levier économique. L’enjeu est de s’appuyer sur la raréfaction des ressources pour développer des produits plus économes en ressources et participer ainsi à la compétitivité des entreprises. Ce changement de paradigme passe bien évidemment par une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et pourrait contribuer fortement aux efforts mondiaux et nationaux pour la lutte contre les changements climatiques. D’ailleurs, l’accord de Paris sur le climat repose sur l’économie circulaire pour réaliser les objectifs escomptés.

Comment faire pour recycler nos déchets ?

Pour répondre à la question, réellement dans une économie circulaire parfaite respectueuse du climat et de l’environnement, nous arrivons à valoriser un pourcentage élevé de nos déchets. Mais le but est aussi de les réduire à la source, de responsabiliser plus les producteurs dans la chaîne de gestion de ces déchets. Nous estimons que le recyclage est une solution mais bien évidemment réduire et valoriser restent des objectifs du projet. En termes de chiffres, dans les pays développés, on peut atteindre les 75% de valorisation et de recyclage. Actuellement, en Tunisie, nous essayons d’appuyer graduellement nos partenaires tunisiens à mettre en place des politiques avec des objectifs ambitieux. Certaines régions et communes affichent des objectifs « zéro déchet », une vision qui se base sur les principes de l’économie circulaire. Une démarche qui a montré un succès dans plusieurs expériences, mais qui repose bien évidemment sur une politique volontariste et durable.

Quel rôle peut jouer l’économie circulaire ?

Face aux menaces qui pèsent actuellement sur l’environnement, il est urgent de nous engager collectivement dans une démarche de transition écologique. L’économie circulaire a un rôle-clé à jouer dans cette démarche. En effet, l’économie circulaire appelle à produire et consommer différemment, en sortant d’un modèle linéaire destructeur fondé sur le triptyque «produire—consommer—jeter» vers un modèle fondé sur les principes d’élimination des déchets et de la pollution, de prolongement de l’utilisation des produits et matériaux et de régénération des systèmes naturels.

Dans cette optique, les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) appellent à entreprendre autrement, pour générer des emplois durables, renforcer la cohésion sociale et fournir des solutions aux besoins socioéconomiques des territoires. La justice et la solidarité sont deux valeurs qui reposent sur l’équité et sur l’égalité des chances face aux opportunités et l’accès aux ressources. Créer plus de ressources, plus de matières, plus de valeurs améliore les revenus et propose un modèle de croissance différent.

Le nexus économie circulaire et solidaire reste, aujourd’hui, une cohorte adéquate pour la sortie vers un monde plus équitable et juste. Certains ateliers  de réparation collaborative en Europe sont, par exemple, en plein essor. Gratuits et ouverts à tous, ils sont animés par des bénévoles qui partagent leurs savoir-faire et leurs connaissances avec les personnes apportant leurs objets en panne. En donnant une seconde vie aux objets, ils permettent de réduire la quantité de déchets, surtout électriques et électroniques. C’est aussi l’occasion de sensibiliser le public aux problèmes environnementaux liés au gaspillage, à la surconsommation et de créer du lien social en favorisant la coopération et la solidarité.

Est-ce que l’économie circulaire peut créer

des emplois ?

En substituant la consommation des ressources naturelles par celle de la main-d’œuvre, l’économie circulaire préserve non seulement les matières premières mais crée aussi des emplois. Ainsi, l’adoption d’une démarche circulaire en Tunisie permettrait la création de 70.000 d’emplois (le recyclage des déchets seulement crée 15.000 emplois) à l’horizon de 2030. Elle permet, aussi, la création de 10 fois plus d’emplois que l’enfouissement en décharge ou l’incinération utilisés actuellement. Ainsi que la réduction de 950 k tonnes équivalent CO2. Le projet ProtecT veillera à travers l’implication du secteur privé à appuyer les efforts nationaux en termes de création d’emploi. Il vise le développement de deux projets de démonstration dans trois régions pilotes en Tunisie. L’idée est d’ouvrir la voie vers la duplication de partenariats public-privé dans une démarche circulaire. La création d’emplois visera notamment les classes sociales les plus démunies et on vise à intégrer le secteur informel.

Comment peut-on bâtir une société

écologique ?

La démarche circulaire repose sur l’approche participative et inclusive, c’est avec des citoyens éco-responsables, des associations actives et entreprises responsables qu’on peut bâtir une société écologique. En effet, le projet ProtecT vise à appuyer nos partenaires tunisiens à intégrer la Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), une démarche qui vise à responsabiliser plus les producteurs de déchets à réduire leurs déchets et à utiliser des produits écologiques. De plus, une entreprise productrice de déchets devrait suivre le produit dans son cycle de vie jusqu’à la phase de récupération et de réutilisation. Avec ce principe, l’entreprise se verrait vaillante sur l’élimination et la réutilisation de son produit en fin de vie. En outre, cette démarche favoriserait l’approche gagnant-gagnant par une meilleure intégration du secteur informel. Afin d‘avoir une meilleure implication du citoyen et de la société civile, des activités de communication et de sensibilisation seront réalisées à travers le projet ProtecT. Le citoyen éco-conseiller serait un métier à développer dans les communes tunisiennes. Il serait rassembleur autour de projets concrets et nous veillerions avec nos partenaires à le renforcer. Sans oublier le travail avec la société civile pour le développement et la mise en œuvre de projets de sensibilisation dans le système éducatif tunisien. Les écoles et universités seront une cible des activités du projet. Des concours, des appels à proposition pour développer des projets concrets seront développés prochainement.

A quoi est dû l’excès de  consommation

des ressources naturelles? 

La réponse est simple, les modes de consommation entraînent une surexploitation des ressources naturelles, environ 60 milliards de tonnes de ressources (eau, énergie, produits agricoles, minerais…) sont consommées chaque année dans le monde, soit 50% de plus par rapport à la fin des années 1970. Le rythme auquel nous utilisons les ressources naturelles est plus intense et plus rapide que la capacité de la planète à les reconstituer. Aujourd’hui, l’équivalent de 1,7 planète est nécessaire pour assouvir les besoins de l’humanité sans parler des déchets qui sont issus de cette consommation massive ! Le mode de consommation serait l’un des focus des travaux à mener dans le projet ProtecT. En effet, la stratégie nationale sur l’économie circulaire et le changement climatique appuieront les décideurs tunisiens à mettre un plan d’action cohérent et réaliste évitant ainsi une consommation excessive des ressources.

Comment ce projet contribue-il au développement de l’économie circulaire ?

A travers le projet ProtecT, l’Allemagne accompagne la Tunisie pour la mise en œuvre de ses engagements internationaux en matière de protection du climat et la transmission d’approches, ainsi que des technologies respectueuses du climat. Il permet également de doter la Tunisie d’une stratégie nationale d’économie circulaire respectueuse du climat, créatrice d’emplois et sensible à l’égalité femmes-hommes. Le projet ProtecT permet de développer de nouveaux instruments de sensibilisation pour le système éducatif, favorise la collaboration avec la société civile sur les principes de l’économie circulaire et le changement climatique. Afin de concrétiser les stratégies et opérationnaliser les études, deux initiatives public-privées seront appuyées dans des régions pilotes en Tunisie pour favoriser la duplication des initiatives dans les régions.

Le projet ProtecT a adopté différentes approches afin de renforcer les aspects suivants : l’amélioration du cadre stratégique pour la mise en œuvre d’un plan d’action et un débat national autour de l’économie circulaire et le changement climatique outre la promotion et le développement des modèles de partenariats public-privés pour une participation accrue du secteur privé dans ce domaine (projets dans les régions pilotes) et la sensibilisation des décideurs politiques, des acteurs de la société civile et du système éducatif, avec une meilleure intégration de projets concrets (tel que le tri sélectif, la valorisation matière et énergétique).

Le projet ProtecT défend quel genre

d’économie circulaire ?

Le projet ProtecT défend une économie circulaire, basée sur la participation citoyenne et l’État a besoin de l’appui de ses citoyens pour atteindre ses objectifs. Le changement commence par nous-mêmes, citoyens et industriels. La démarche que nous menons avec nos partenaires est durable et inclusive ; secteur privé, citoyens, sociétés civiles devraient se mettre ensemble. A mon avis, le modèle existant devrait évoluer vers une coopération basée sur la confiance mutuelle et sur la volonté du changement. L’intégration de l’économie circulaire et l’adaptation au changement climatique sont désormais notre défi perpétuel. C’est une question d’existence et de vie pour les générations futures. Le Tunisien a montré à maintes reprises qu’il est capable de réaliser des changements positifs et améliorer sa qualité de vie et l’avenir de ses enfants.

Comment les entreprises du bâtiment peuvent-elles bénéficier de l’économie

circulaire?

En Tunisie, le volume des déchets de construction et de gravats atteint près de 8 millions de mètres cubes, dont 70% sont concentrés dans les grandes villes côtières, à l’instar de Tunis, Sousse et Sfax. Les déchets de la construction et des gravats sont des ressources destinées à la réhabilitation des routes et la réduction de l’impact environnemental et sanitaire de ces déchets. Il convient de rappeler que le système de l’économie circulaire est basé sur le principe de la réutilisation et du recyclage. Il permet d’offrir 10 fois plus d’emplois que celui basé sur l’incinération ou l’enfouissement, en vigueur actuellement.

Quelles sont les conditions de succès

de votre projet ?

Pour la réussite de ce projet, un changement de comportement et de perception est indispensable afin d’intégrer cette nouvelle démarche. Le défi reste bien évidemment aussi d’intégrer les partenaires et d’harmoniser les objectifs stratégiques. Nouer une coopération multi-acteurs est un objectif pour le projet qui reste à réaliser. Créer le débat, rapprocher les parties prenantes sur des projets intégrés est un défi. La participation active du secteur privé constitue un output du projet sans lequel une économie circulaire ne serait pas possible en Tunisie. Le projet ProtecT a tout un axe dédié à la communication et la sensibilisation, l’objectif principal de cet axe est de sensibiliser les décideurs politiques et le grand public (système éducatif, citoyen, société civile …) sur les principes de l’économie circulaire et le changement climatique, pour faciliter la prise de décision politique et l’acceptation sociale qui reste un élément crucial pour la mise en œuvre des projets en Tunisie.

L’économie circulaire est un bon système d’optimisation de la consommation et de la production pour une meilleure préservation de l’environnement, tout en contribuant au développement économique dans une logique des 3 R : Réduire, Réutiliser, Recycler. Ce système repose sur une utilisation optimum des ressources et sur la création de boucles de  production durables respectueuses du climat. Il met notamment l’accent sur de nouveaux modes de conception, production et consommation, le prolongement de la durée d’usage des produits, la réutilisation et le recyclage des composants. Le tout formant un écosystème : économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement tolérable. Aujourd’hui, acheter responsable en envisageant un cycle de vie circulaire est un défi à relever par le projet ProtecT, notamment dans l’intégration de l’approche dans l’économie tunisienne.

Charger plus d'articles
Charger plus par Sabrine AHMED
Charger plus dans Supplément Economique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *