Exportation illicite des déchets : Les transporteurs maritimes préparent la contre-offensive

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Par Yosr HAZGUI

Deux cent-quatre-vingt-deux conteneurs de déchets ménagers collectés par la société italienne SRA (Sviluppo Risorse Ambientali) ont été expédiés en Tunisie via la société tunisienne «Soreplast», et ce, sans respect des exigences des conventions internationales (Bâle, Bamako). L’exportation de ces déchets a provoqué un tollé général en Tunisie et a soulevé le problème de la responsabilité maritime des transporteurs à l’égard de l’environnement.

Entre 2015 et 2018 seulement, au moins 14 millions de voitures ont été expédiées depuis l’Europe, les États-Unis et le Japon vers le continent africain. A ces vieilles carcasses, sales et dangereuses, s’ajoutent des milliers de tonnes de plastique, de déchets ménagers, électroniques et automobiles en provenance de Turquie et de l’Europe de l’Est, et d’autres déchets ferreux d’Inde et d’Asie du Sud-Est à destination de l’Afrique. Le voyage de conteneurs pleins d’ordures mélangées vers les coins les plus pollués de la planète sans traçabilité ni contrôles est une exportation de poison pour l’environnement. Selon les données d’Oni, seuls 17 % des déchets électroniques en Europe ou aux États-Unis sont collectés et recyclés correctement, tout le reste est souvent dirigé vers le continent africain, où les pays occidentaux téléchargent des déchets électroniques de toutes sortes. Et pour payer ce « racisme environnemental », ce sont les populations les plus pauvres qui en supportent les conséquences. D’où un appel à «un tribunal international pour statuer sur les déchets toxiques, électroniques et les délits connexes».

Retour sur les faits en Tunisie

Six mille tonnes de déchets, soit l’équivalent de la production annuelle d’une ville de 12 mille habitants, ont été débarqués au port de Sousse en provenance de Salerne, il y a deux ans, soit en pleine pandémie. Le bateau Arkas qui transportait ces conteneurs battait pavillon turc. Collectés par la société italienne SRA (Sviluppo Risorse Ambientali), ces conteneurs expédiés en Tunisie à destination de la société tunisienne «Soreplast» sans respect des exigences des conventions internationales (Bâle, Bamako), ont provoqué un tollé général en Tunisie et ont soulevé le problème de la responsabilité maritime des transporteurs à l’égard de l’environnement.

La société Ecoambiente Salerno spa, contrôlée par la Waste Management Area Authority de la province de Salerne, gère le transport, le stockage temporaire et la caractérisation. En pleine pandémie, le scandale des déchets italiens exportés vers Sousse, en Tunisie, de manière illégale, a fait la une des journaux tunisiens pendant des mois. Depuis près de deux ans, 212 conteneurs chargés de balles classées au CER 191212 — déchets donc produits par le traitement mécanique des déchets municipaux — occupaient le quai du port de Sousse, en attente de leur rapatriement. Soixante-dix autres ont, en revanche, été déchargés durant l’été 2020 dans un hangar non loin de la ville côtière, en pleine campagne, où les opérations de recyclage auraient dû avoir lieu selon les accords passés par les deux entreprises concernées : Soreplast srl de Sousse et Environmental Resources Development de Polla (Salerne), qui ont repris le contrat de la Calabre Eco Management de Soverato (Catanzaro).

Selon les données disponibles, les opérations d’exportation en vue d’un  recyclage, aurait justifié l’exportation de 7 900 tonnes de déchets, la première tranche d’une longue série (120 000 tonnes), soit le double des déchets municipaux produits par une ville comme Salerne en un an, à la Tunisie. Mais ces déchets, en réalité, ne seraient pas recyclables. Pour cette raison, le tribunal de Sousse a ouvert une enquête pour trafic illicite en novembre 2020 : vingt-six accusés, dont l’ancien ministre de l’Environnement, Mustapha Aroui, sont actuellement en prison. Les procurations de Potenza et de Salerne ont emboîté le pas, un an plus tard.

Entre-temps, cependant, le 29 décembre, un incendie criminel a brûlé les 1 900 tonnes de déchets déversés dans le dépôt à l’extérieur de Sousse, avant que les conteneurs ne soient placés sous saisie. «L’incendie qui a détruit une partie des déchets en Tunisie, précisément ceux impliqués dans le trafic, ressemble à un modus operandi typique que l’on a vu à plusieurs reprises en Italie : brûler les preuves», commente Stefano Vignaroli, président de la commission Ecomafie, qui a ouvert une enquête sur ce qui s’est passé. Hormis le processus juridique réservé à cette affaire, le débat enfle depuis sur la responsabilité des transporteurs maritimes pour parer à de telles violations environnemenales.

La riposte des transporteurs

Le transport de passagers et de marchandises par voie maritime est un processus efficace et rentable, et constitue de nos jours une activité économique de tout premier plan, puisqu’en volume, selon l’Organisation maritime internationale (OMI), plus de 90 % du commerce mondial s’effectuent par mer.

Si le commerce est une bonne chose, s’y livrer en passant par des ports est une activité complexe. Lorsqu’un navire entre dans un port ou en sort, des renseignements cruciaux sur la cargaison, l’équipage, les caractéristiques du navire et bien d’autres éléments doivent être communiqués aux autorités compétentes. Il faut disposer de relevés de données exacts et complets pour prendre les bonnes décisions au bon moment. Les exploitants d’un navire sont ainsi tenus de fournir toute une série de relevés, de certificats et de données concernant la cargaison, les passagers, la sécurité, la protection de l’environnement et la déclaration en douane.

Le processus peut également nécessiter l’intervention de plusieurs autorités chargées de la réglementation, ainsi que d’éventuelles interactions avec des fonctions mobilisant plusieurs entreprises, telles que le déchargement du fret ou le stockage et l’expédition des marchandises. Cela nécessite à son tour une communication active entre une multitude de systèmes différents dans les entreprises et les ports concernés, sur les navires et au sein même des autorités chargées de la réglementation. Ce réseau complexe permet d’échanger de grandes quantités d’informations et de données afin de faire transiter un navire et sa cargaison par le port considéré.

Pour parer à ce problème de trafic illicite d’exportation de déchets, les transporteurs maritimes recourent de plus en plus aux avancées technologiques et à l’évolution de la dynamique industrielle et des ressources à la numérisation. En effet, les progrès technologiques devraient contribuer à rendre les transports maritimes — et toute la chaîne d’approvisionnement — beaucoup plus efficaces pour les 11 milliards de tonnes et plus de marchandises qui transitent chaque année par mer à l’échelle du globe. Cette initiative aura de nombreux avantages pour les échanges commerciaux, la sûreté, la sécurité et l’environnement, les normes ISO jouant un rôle clé à cet égard.

Alors que la technologie assure le plein développement des transports maritimes, on estime qu’au niveau de l’UE, un gain d’efficacité de 10 à 30 % obtenu dans le secteur de la logistique équivaut à une réduction des coûts comprise entre cent et trois cents milliards de livres sterling pour les industries européennes, conjuguée à une forte diminution (de 15 à 30 %) des émissions de CO2.

Comme l’a déclaré plus tôt cette année, le Secrétaire général de l’OMI, Kitack Lim, lors d’un webinaire sur la connectivité numérique et les normes relatives aux données, la numérisation, les mégadonnées et les nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle jouent un rôle capital dans l’identification de telles menaces. Selon lui, «la coopération entre les secteurs des transports maritimes, des ports et de la logistique sera essentielle pour améliorer l’efficacité et la durabilité des activités menées dans ce domaine, ce qui devrait par conséquent faciliter les échanges commerciaux et favoriser la reprise économique et la prospérité. La numérisation et les nouvelles technologies seront également des facteurs décisifs à l’appui de la normalisation et, partant, de l’efficacité accrue des transports maritimes».

De ce fait, la nécessité de recourir à la normalisation a aussi été soulignée par le Responsable de la facilitation au sein de l’OMI, Julian Abril, qui a rappelé les prescriptions obligatoires relatives à l’échange électronique des données de la Convention visant à faciliter le trafic maritime international (Convention FAL) de l’OMI, en vigueur depuis avril 2019. Des discussions sont en cours en vue d’imposer un « guichet unique » pour le secteur maritime, de sorte que toutes les données relatives à l’arrivée et au départ des navires soient recueillies en un même point avant d’être transmises aux organismes concernés.

La normalisation et l’harmonisation requises à cet effet sont décrites dans le Répertoire de l’OMI sur la simplification des formalités et le commerce électronique. Ce répertoire consiste en une série d’outils destinés aux concepteurs de logiciels chargés de créer les systèmes nécessaires pour assurer la transmission de messages électroniques concernant l’ensemble des relevés, données et renseignements qui doivent être échangés entre les navires, la côte et les autorités chargées de la réglementation. Il comprend une série de données et un modèle de référence pour l’échange électronique de données (EDI), désormais imposés par la dernière version amendée de la Convention FAL. L’objectif est de permettre aux entreprises engagées dans le commerce ou les transports maritimes de créer plus facilement des logiciels susceptibles de communiquer, quelle que soit leur norme de référence. Cette initiative assure l’interopérabilité des normes propres aux divers organismes concernés.

Quand Grimaldi renforce la sécurité de ses bateaux

Afin d’éviter de telles situations nuisibles à l’environnement en assurant un transport respectueux de l’environnement,  le Groupe Grimaldi a mis en place un département spécifiquement dédié à la gestion et au développement de sa politique de sécurité : le département Security Intelligence & Law Enforcement (SILED). SILED mène des activités de renseignement à travers des analyses statistiques et des études des principales tendances à l’intérieur et à l’extérieur du Groupe, tant au niveau national qu’international. Conformément à la forte culture d’entreprise du Groupe en matière de légalité, les activités de répression se traduisent par des opérations visant à garantir des normes de sécurité élevées à bord et à terre, en surveillant l’application des réglementations applicables, tout en empêchant toute forme d’activité illégale. Le département travaille également en collaboration avec la Direction sécurité, qualité et environnement du Groupe qui, tout en suivant différentes méthodologies et directives, partage le même objectif de maximisation de la sécurité de l’entreprise. Dans un premier temps, SILED examine les activités du Groupe afin d’identifier les éventuels enjeux critiques susceptibles — à différentes échelles — d’affecter ses opérations, à travers des risques généraux et / ou particuliers et des incidents spécifiques. Plus généralement, de nombreux événements, actualités et informations sont suivis et analysés pour éviter l’apparition de phénomènes, tels que la concurrence déloyale, le trafic de drogue, les passagers clandestins à bord des navires, la corruption, le terrorisme, le transport des déchets dangereux, les cyberattaques et l’insuffisance de la sécurité physique des navires et des installations. Chaque besoin de sécurité est analysé et évalué dans une perspective d’interaction avec tous les autres processus développés dans le Groupe. Une grande attention est également portée au choix des outils à acquérir afin d’élever les normes de sécurité et d’éviter les défaillances du système. SILED intervient également principalement, mais pas exclusivement, dans l’évaluation des dispositifs de sécurité à bord des navires déployés soit pour le transport exclusif de fret, soit pour le transport mixte de marchandises et de passagers. Le département communique avec les forces de police nationales et internationales dans un cadre de collaboration efficace afin de lutter contre des phénomènes, tels que l’immigration clandestine ou, plus généralement, le trafic illégal.

Cependant, l’impact de toutes les activités importantes de SILED serait sévèrement limité sans une culture d’entreprise profondément enracinée et une forte conscience des questions de sécurité : pour cette raison, le mandat du département comprend également la formation et la sensibilisation de tout le personnel affecté à divers titres à la sécurité, missions dans les différents secteurs et branches du Groupe. « La sécurité et l’environnement forment une composante essentielle de toute organisation. Un organisme dépourvu de légitime défense a tendance à s’éteindre », déclare le chef de SILED. «Ceux qui assurent la sécurité et la sûreté doivent rapidement alterner entre l’analyse et l’action pour ne pas perdre leur emprise sur la réalité. Il n’y a pas de solution universelle et définitive, seulement une méthode. Tel est l’enjeu et l’attrait de la gestion de la sécurité : l’objectif est d’avoir une méthode cohérente permettant à ceux qui fournissent le service de protéger l’organisation servie, tout en valorisant ses valeurs.

Y.H.

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