Gaspillage alimentaire : Deux baguettes, dont une pour la poubelle s’il vous plaît !

Pour des raisons historiques, le pain reste un sujet tabou en Tunisie. L’Etat peut se permettre de réviser tous les prix, sauf celui du pain, par peur de faire face à une vague de protestations, voire d’émeutes. Pourtant, le budget de l’Etat souffre le martyre en raison du poids de la subvention des produits de première nécessité, dont la farine qui sert à fabriquer le pain.

À seulement 200 millimes, la baguette est un aliment essentiel pour le Tunisien, qui en use et en abuse à tel point que l’on pourrait imaginer que, de manière consciente ou pas, celui qui va acheter du pain à la boulangerie, sait pertinemment qu’une partie de ses achats finira à la poubelle. Selon le ministère de l’Environnement, le Tunisien gaspille, en valeur, près de 570 millions de dinars de nourriture par an. Un chiffre colossal, qui révèle l’incapacité des foyers à gérer la nourriture.

Le pain est véritablement un exemple frappant de ce gaspillage. En 2018, l’Institut national de la consommation révèle que, dans notre pays, 900.000 pains sont jetés… tous les jours. Sur une année, cela représente l’équivalent de 102 mille tonnes par an d’une valeur de près de 100 MD par an.

Pour des raisons historiques, le pain reste un sujet tabou en Tunisie. L’Etat peut se permettre de rehausser tous les prix, sauf celui du pain, par peur de faire face à une vague de protestations, voire d’émeutes. Pourtant, le budget de l’Etat souffre le martyre en raison du poids de la subvention des produits de première nécessité, dont la farine qui sert à fabriquer le pain.

En 2022, le budget de l’Etat a consacré aux dépenses de subventions 7,262 milliards de dinars, soit une hausse de 1,235 milliard de dinars, soit encore une hausse de 20% par rapport à 2021.

Selon la fiche pays élaborée par le ministère français de l’Economie, des Finances et de la Relance, «en l’absence de programme FMI, et compte tenu des craintes croissantes sur la soutenabilité de sa dette, la Tunisie fait face à de très grandes difficultés pour emprunter et financer ses besoins. 

Les besoins de financements par emprunt ont doublé de 10 à 20 MD TND en 2020 et perdurent à ce niveau très élevé : 20,3 MD TND (6,2 MD Eur) en 2021 selon la dernière LFR et encore 20 MD TND prévus dans la LFI 2022. La crise russo-ukrainienne devrait encore accroître les besoins au-delà de ce niveau pour soutenir le système de prix subventionnés de produits de base».

C’est dire à quel point le sujet du gaspillage alimentaire n’est pas anecdotique, mais un sujet très sérieux.

D’ailleurs, il s’agit d’un des principaux sujets de discussion entre la Tunisie (gouvernements et partenaires sociaux), et le Fonds monétaire international.

En clair, il n’est plus possible pour l’Etat tunisien de continuer à financer un système, qui, d’une part, pèse lourdement sur le budget, et qui, d’autre part, chiffres à l’appui, a démontré son inefficacité.

Selon plusieurs économistes, le problème est que l’Etat saupoudre à l’aveuglette les subventions.

En d’autres termes, quelqu’un qui aurait un salaire de 5.000 dinars est subventionné au même titre qu’un ouvrier qui toucherait le Smig. Tous deux achètent le pain à 200 millimes. Ainsi, certains préconisent, depuis déjà plusieurs années, de réorienter les subventions vers les ménages qui en ont vraiment besoin, suivant un barème bien précis.

Le hic, selon certains économistes, à l’instar de l’économiste et ancien ministre des Finances Hakim Ben Hammouda, est que, pour les classes moyennes, c’est-à-dire ceux qui ne sont ni riches, ni pauvres, la subvention est devenue une composante essentielle de leur pouvoir d’achat.

L’autre proposition enfin, qui permettrait de résoudre l’équation, est de responsabiliser le consommateur, en supprimant la subvention directe des produits, et en les remplaçant par des transferts sous forme d’augmentations salariales.

Ainsi, conformément à une classification qui prend en considération le salaire, l’Etat transfère directement de l’argent aux citoyens.

Autrement dit, l’Etat vous donne par exemple directement 10 dinars par mois pour acheter du pain, et à partir de là il revient à vous de décider si vous allouez la totalité de la somme au pain (au risque d’en jeter la moitié), ou bien de consacrer une partie à d’autres dépenses.

Toujours est-il que compte tenu de la situation des finances de l’Etat et de la conjoncture internationale, le modèle adopté par la Tunisie depuis des décennies s’essouffle. Il arrive en fin de vie.

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