Comme l’ont souligné les médecins interrogés, il faut choisir : la réussite académique et tout ce que cela nécessite de sacrifices à tous les niveaux, ou bien la vie dans son mode classique comme elle est vécue par la plupart des jeunes et des étudiants de la même génération et du même âge, mais qui ont suivi d’autres disciplines.
La situation créée par la pandémie a montré l’importance fondamentale du droit de toute personne à la protection de la santé, mais elle a dévoilé aussi l’impact dramatique de la détérioration continue des services publics, dont celui relatif à la santé et le poids des inégalités sur l’efficacité des démarches entreprises pour répondre à l’urgence sanitaire. La Tunisie n’a pas échappé à ce constat alarmant. Si en 2020, ce pays a été relativement épargné des effets de la pandémie sur le plan sanitaire, l’année 2021 a été marquée par la défaite contre la Covid-19 où le virus et ses variantes multiples ont fait rage et le pays a connu un nombre croissant de victimes. La peur s’empare de tout un chacun, face à un système sanitaire fragile. Les autorités en place ont été accusées de laxisme et de mauvaise gestion de la crise… C’est face à ce constat amer que le Ftdes, avec l’appui de la Fidh, vient d’analyser les différentes facettes de cette crise sanitaire, ses causes profondes et ses impacts sur les plus vulnérables. Regroupée dans un ouvrage collectif intitulé «Droit à la santé au temps de la crise Covid-19 : Quand les inégalités font souffrir et tuent», cette analyse est constituée de neuf articles rédigés par les experts et chercheurs, avec comme objectif principal d’alimenter un débat constructif sur les réformes à entreprendre pour que la santé de toutes et de tous soit garantie en Tunisie. Cette première partie sera consacrée à la problématique de l’émigration des jeunes médecins qui ont connu un parcours académique et professionnel long et complexe.
Un manque flagrant de statistiques claires
Comme l’a précisé l’auteur de ce chapitre, Soufiane Jaballah, doctorant en sociologie, l’émigration touche les médecins tunisiens, notamment les jeunes, surtout dans le contexte de l’après-révolution. Les diplômés, les docteurs ou les étudiants dans les différents niveaux, les médecins de famille ou les spécialistes quittent le pays, soit pour poursuivre leurs études, soit pour travailler et s’installer à l’étranger, et plus précisément en Europe. Les statistiques et les données disponibles fondées sur des études scientifiques ou officielles révèlent que les intentions d’émigration dépassent en moyenne 70% chez les médecins de famille et les médecins anesthésistes, comme cela apparaît dans des thèses de doctorat en médecine soutenues et publiées récemment. Malgré la rareté des données officielles, des pourcentages importants concernent également ceux qui ont émigré à titre individuel et non de manière institutionnelle. Mais avant de procéder à une analyse de la problématique de l’émigration des jeunes médecins, il est nécessaire de passer en revue le problème du manque flagrant de statistiques relatives à ce phénomène comme c’est d’ailleurs le cas, malheureusement, pour tous les autres phénomènes sociaux. Il semble même que cette politique de l’absence de statistiques à tous les niveaux est soit bien étudiée et volontaire de la part de l’Etat et de ses institutions, soit le résultat de sa totale impuissance de mettre au point une politique statistique et quantitative officielle. Dans les deux cas, le problème est profond. Et en l’absence d’une stratégie statistique institutionnelle dans tous les secteurs, les chiffres demeurent un obstacle pour mettre en place des politiques publiques efficaces et crédibles, ayant un effet positif et applicable en Tunisie. Mais pour dépasser cette problématique, l’auteur a pu quantifier des données crédibles, malgré leur rareté, en s’appuyant sur des thèses de doctorat sur les intentions d’immigration ainsi que des recherches, des études et des articles sur le nombre des jeunes médecins qui ont émigré. A titre d’exemple, 80% des médecins interrogés ont exprimé que leur souhait et leur intention d’émigration dépassent les 90%, et que plus de 80% de leurs collègues, hommes ou femmes, souhaitent soit poursuivre leurs études en Europe, soit émigrer pour le travail et s’y installer de manière définitive.
Dans sa thèse en médecine soutenue à la faculté de Médecine de Monastir intitulée «les projets d’émigration chez les jeunes médecins anesthésistes en Tunisie : prévalence, destination, et causes», qui a concerné les médecins résidents dans les spécialités de l’anesthésie et de la réanimation en Tunisie entre septembre et décembre 2018, Hana Daami a conclu que le pourcentage des médecins interrogés, qui ont exprimé leur intention d’émigrer pour aller travailler à l’étranger, dépasse les 94%, alors que 35% d’entre eux ont même l’intention d’émigrer de manière définitive. Quant à Brahim Ben Slama, qui a soutenu une thèse de doctorat à la faculté de Médecine de Tunis intitulée «Les intentions d’émigration des jeunes médecins de famille : Etat des lieux et motifs», près de 70% des médecins interrogés ont exprimé leur intention d’aller travailler à l’étranger, alors que 27% ont souligné qu’ils n’avaient pas encore pris de décision.
Le «Cartel» professionnel et académique
Le marché sanitaire/médical était monopolisé avant la révolution par une minorité, un oligopole, provenant de groupes formés par les enseignants universitaires et les médecins spécialistes qui ont accumulé, quantitativement et qualitativement, un capital symbolique provenant de la légitimité conquise par des années d’enseignement, de formation, de pratique professionnelle, d’héritage culturel et d’accumulation de liens occasionnels et secondaires. Il a surtout monopolisé tout ce qui se rapporte à la production de la décision politique pour tout ce qui concerne la santé ainsi que le marché sanitaire en tant que marché économique. Après la révolution, ce monopole minoritaire s’est transformé, avec le changement intervenu dans la composition des relations entre le pouvoir et les lobbys économiques en faveur des seconds, en un «Cartel» c’est-à-dire avec des quotas fondés sur un consensus sur le marché des recherches entre des groupes changeants des sphères d’influence par le biais d’un accord coutumier entre une minorité enseignants/médecins/propriétaires de secteurs de services, de commerce et d’industrie dans tout ce qui est médical. Cet accord s’établit soit à titre individuel ou en groupes. Les jeunes médecins ne sont pas intégrés ou absorbés par ces lobbys ou ces groupes monopolistiques. Cette situation est fondée dans son essence sur la prolongation de leur exploitation.
A l’instar de tout monopole, il a besoin de lois, de décrets, de règlements et de procédures qui codifient et légitiment la domination et la permanence du contrôle et de l’influence. C’est ce qui apparaît clairement à travers les quatre décrets publiés, avant 2011 et en l’espace de dix années, et relatifs à l’organisation des études médicales en Tunisie. Trois années avant la révolution, le décret n°487 de 2008 a ajouté une année d’enseignement aux deux années de la médecine interne afin de mieux préparer et former ceux qui ne réussissent pas au concours de résidanat pour pratiquer la médecine générale. Juste avant la révolution, en 2010, le décret n°1586 s’est rétracté tactiquement, et a fait un pas en arrière dans la stratégie de l’organisation des études médicales en transformant cette année supplémentaire en une année optionnelle pour ceux qui sont intéressés par la médecine générale après des pressions de différentes parties. Après la révolution, et dans la précipitation, le décret n°4132 de 2011 est venu mettre fin à la formation des médecins généralistes et l’a substitué par ce qu’il a appelé «l’habilitation de l’exercice de la médecine de famille» après l’accomplissement de deux années en troisième cycle conformément aux normes internationales. On arrive enfin au décret n°341 de 2019, objet de polémique, y compris parmi les jeunes médecins, et qui a essayé de rapprocher les études médicales en Tunisie des études médicales dans le monde occidental, et cela conformément à la loi n°38 de 2017. Ce décret a institué un diplôme académique à la fin de chaque cycle des études médicales et a rendu la spécialité comme surpassant ce qui est généraliste le réduisant à une description des spécialités scientifiques enseignées dans le troisième cycle des études de médecine. L’auteur poursuit dans son article que ce décret a des effets et des conséquences sur l’ensemble des composantes du secteur de la santé, médical et universitaire, et surtout sur les étudiants en médecine et les jeunes médecins. Selon cette même vision, ce décret a rendu leur situation encore plus complexe. En effet, il n’y a ni horizon ni programme pour les étudiants en médecine qui ont atteint le deuxième cycle, mais qui ont échoué en troisième cycle ou qui ne souhaitent pas carrément y poursuivre leurs études. Il n’existe plus pour ces étudiants qu’une seule solution qui consiste dans le changement de spécialité, et cela quelle que soit la raison. Ils sont placés dans l’obligation de repasser l’examen d’entrée en troisième cycle, ou bien, attendre de mener à terme leurs études de spécialité avant de refaire le même examen d’entrée.
Médecin de famille : un statut flou et opaque
Pour revenir à la question du doctorat, le même décret a conservé la soutenance de la thèse de doctorat, mais le diplôme qui est délivré suite à la réussite n’est plus nécessaire ni suffisant pour l’exercice de la profession de manière indépendante. Ainsi, l’auteur de l’article relève «les effets kafkaïens du décret n°341 paru en 2019», et que les trois mots-clés du parcours et du processus des études médicales : spécialiste, doctorat et docteur en médecine ne possèdent plus les mêmes implications ou les mêmes significations véhiculées avant l’adoption de ce décret. Mais dans sa nouvelle version, la thèse de doctorat n’a plus aucun avantage et a perdu tout intérêt. Selon ce diagnostic, les titulaires d’une thèse de doctorat en médecine n’ont plus le droit d’exercer la profession de médecin sauf sous la tutelle et le contrôle jusqu’à l’obtention d’un diplôme de spécialité. De même, ils ne peuvent exercer en tant que remplaçants dans le secteur privé dans la mesure où l’Ordre des Médecins est impuissant à les inscrire à son tableau sur la seule présentation de leur doctorat, et à propos de ce dernier point en particulier, à la nécessité de la tutelle ou sa négation. Dans les rencontres avec trois jeunes médecins appartenant à des catégories d’âge différentes, de niveau universitaire différencié et à diverses universités en Tunisie, ils ont considéré, contrairement à cette approche, que cette procédure est réaliste et acceptable. Elle est même scientifiquement et professionnellement obligatoire dans la mesure où on ne peut pas considérer un diplômé détenteur seulement d’une thèse de doctorat comme apte à exercer la médecine sans suivi ou contrôle jusqu’à l’accumulation d’une expérience et l’obtention d’un diplôme de spécialité. En revenant au même avis précédent, et en synthétisant de manière descriptive, l’auteur de l’article a ajouté que le sort des médecins de famille est opaque et ambigu dans la mesure où ils sont ignorés par les statuts généraux des médecins de la santé publique ou des médecins hospitalo-universitaires.
Les jeune médecins, ceux qui les dominent dans le champ médical : comment et pourquoi?
Si le médecin qui a accumulé, à travers l’expérience et l’âge, un capital financier, symbolique, économique, social, culturel et relationnel important, et est influent politiquement, économiquement et symboliquement, qu’en est-il du jeune médecin, l’étudiant et le chercheur qui fait ses premiers pas ? Qu’est-ce qui fait de cette relation une relation de domination ? Comment pouvons-nous comprendre et expliquer la domination du premier qui est la cause directe de la précarité du second en tant que dominé ? Sur le plan sociologique, être un jeune est vu comme un individu ayant un parcours à réaliser en attendant un devenir, un temps social qui précède l’âge de la stabilité et de la maturité. Dans une autre approche, il s’agit d’un champ social fragile, c’est-à-dire un projet qui attend la concrétisation : un projet de père, un projet de producteur, un projet de salarié, de fonctionnaire ou surtout un projet de médecin, etc.
L’étudiant en médecine entre la faculté et l’hôpital est réellement un projet de médecin soumis au sein de l’université et de l’hôpital, en tant qu’espace où s’entremêlent deux champs sociaux : le champ médical et le champ universitaire, à une échelle hiérarchique où l’étudiant en médecine interne jusqu’au résident est exposé à diverses formes d’autorité et de hiérarchie. Il est soumis à une domination. C’est ce qui a été démontré par l’un des jeunes médecins qui l’explique par l’influence de l’orientation francophone de la politique dans la conception professionnelle et universitaire de la médecine en Tunisie, contrairement au modèle anglo-saxon plus souple, plus fluide et pragmatique. Le même jeune médecin évoque la souffrance de l’étudiant en médecine dans un hôpital universitaire dans un contexte «empoisonné», pollué par une tendance à l’hégémonie et à l’arrogance au sein d’un système qui permet au supérieur de réprimer, de maltraiter ou d’ignorer le novice ou celui ayant accumulé moins de capital culturel médical (le parcours universitaire, le diplôme, etc.).
Par ailleurs, du côté du mérite, le jeune médecin se retrouve, après avoir réussi les différentes étapes de sa scolarité jusqu’au baccalauréat, et après tous les efforts consentis par sa famille et son environnement pour lui fournir une éducation qui lui permette d’accumuler un solide capital culturel à même d’assurer sa réussite, sujet à un chômage unique dans son genre, vivant les affres de la stabilité professionnelle, économique et psychologique souhaitée. D’un autre côté, et contrairement à la perception collective et de la majorité de l’opinion publique, les jeunes médecins, de par leur appartenance de classe, ne sont pas les fils ou les filles de médecins ou descendants de la classe bourgeoise. Dans sa thèse de doctorat, Hana Daami a démontré tout le contraire puisqu’ils sont issus de familles habitant des zones urbaines dans la proportion de 92%, avec 76% ayant des pères ayant un niveau universitaire, 66% de mères ayant un niveau universitaire, plus de 84% n’étant pas des enfants de médecins, et, principalement, 75% appartiennent à la classe moyenne. Dans sa thèse de doctorat, Brahim Ben Slama souligne que 58% des interrogés proviennent de la classe moyenne. A travers ces échantillons, et comme affirmé par la majorité des jeunes médecins interrogés et indépendamment de leurs itinéraires sociaux, ces taux s’expliquent par l’appartenance à la classe moyenne. En effet, les couches socio-professionnelles éduquées ayant accumulé un fort capital culturel (surtout les instituteurs et les professeurs) et la classe moyenne supérieure (les avocats et les professeurs universitaires) ainsi que les enfants des médecins hospitalo-universitaires (un héritage culturel) assurent une formation, une éducation et un encadrement qualitatif à leurs enfants sur le plan éducationnel et pédagogique grâce à leurs acquis en matière d’expérience, de formation et d’éducation (le capital culturel). Ainsi, il semble que le jeune médecin soit sanctionné par l’échec malgré sa réussite ou bien c’est comme si le système social en place bloque l’ascension sociale en stigmatisant et en écartant le jeune médecin au lieu de le faire bénéficier de ses droits et de lui octroyer ses droits économiques et sociaux que même le militantisme ne semble pas permettre d’arracher !
Les études médicales et le militantisme syndical
Comme l’ont souligné les médecins interrogés, il faut choisir : la réussite académique et tout ce que cela nécessite de sacrifices à tous les niveaux, ou bien la vie dans son mode classique comme elle est vécue par la plupart des jeunes et des étudiants de la même génération et du même âge, mais qui ont suivi d’autres disciplines. Ce sont là deux lignes parallèles qui ne se rejoignent jamais comme si étudier la médecine est une mort temporaire ou un état comateux dont on ne sort que plus tard, c’est-à-dire qu’on ressuscite après un accouchement difficile et l’obtention du diplôme.
D’un autre côté, le travail syndical en soi, et d’un point de vue sociologique, est minoritaire, avec une majorité démissionnaire du militantisme, qui obtient les retombées positives du militantisme des individus ou des groupes ou des organisations d’action collective, et qui s’étendent à eux, tout en demeurant en sécurité par rapport au préjudice que l’on peut subir (poursuites judiciaires, radiation, et surtout ne pas se consacrer exclusivement à ses études). L’observateur des différentes formes de l’action collective réalisée par l’Organisation des jeunes médecins depuis la révolution, et malgré la mobilisation des étudiants concernés et de leurs supporters, n’a pas été, d’un côté, et d’un point de vue quantitatif ou qualitatif, et du point de vue de son résultat, capable de provoquer un changement radical ou de renverser l’équation contre le «Cartel» académique/professionnel et l’autorité en sa faveur. D’un autre côté, les syndicalistes et les acteurs actifs demeurent minoritaires dans les rangs de la population des étudiants en médecine.
Pour réussir le passage qualitatif d’une situation «prête à être déclenchée» à un «moteur», ou de la situation de celui qui est «prêt à adhérer» à un «adhérent», les individus concernés par le déclenchement de l’action collective doivent s’accorder et s’unir essentiellement sur trois principaux déterminants qui sont : 1-l’existence d’un problème et la détermination de ceux qui en sont responsables (le «Cartel» médical/professionnel et l’autorité), 2-définir les mécanismes et les moyens nécessaires et efficaces pour l’action, et affronter la partie qui est la cause ou représente le problème : les formes de l’action collective à caractère syndical : manifestations, grèves, sit-in, négociations, apparitions médiatiques…, 3-la foi et la croyance dans l’action et sa nécessité, et dans la possibilité du changement et de l’attente : entre l’espoir et le découragement, les syndicalistes ainsi que la majorité des jeunes médecins s’efforcent de préserver un peu de leur capacité de résistance. Dans le cas des jeunes médecins, les trois principaux déterminants sont réunis mais il existe un déséquilibre fondamental et capital dans le second déterminant (les mécanismes de lutte) ainsi qu’au troisième (la volonté psychologique, la possibilité de la poursuite de la lutte et la résistance). Cela est dû à la nature du parcours académique/professionnel, la nature de la discipline et la réalité du champ médical en tant que champ dominé par certains groupes qui monopolisent, d’un côté, tous les capitaux (économiques, culturels, sociaux, relationnels ou symboliques), et, d’un autre côté, le gain et la distribution des pertes sur les dominés que sont les jeunes médecins. De plus, l’un des facteurs les plus importants du déséquilibre reste la nature de l’action syndicale dans le champ militant en général et dans le champ estudiantin en particulier ; Il n’y a aucune comparaison entre les capacités de sensibilisation, de mobilisation et de lutte entre une organisation regroupant les jeunes médecins au sein de l’Otjm, et une organisation regroupant les médecins diplômés et des fonctionnaires permanents comme l’Ugtt, d’autres syndicats ou des organisations patronales).
Sur un autre plan, la conscience de la manière dont fonctionne le système de la discrimination sous ses diverses formes n’est pas la chose la mieux répandue parmi les individus. Car l’éducation personnelle, qui est la somme des expériences existentielles permettant de sculpter les opinions critiques et les parcours qui participent à la réalisation de soi par rapport à la majorité de la société soumise aux critères dominants, demeure rare. On peut citer ici l’analyse d’«Olson» sur l’absence d’engagement dans l’action collective des personnes directement concernées (comme la protestation sur la réalité de la précarité sociale, économique et professionnelle des jeunes médecins) qu’il explique par le calcul du taux de gain par rapport au préjudice qui pourrait survenir de leur participation à la protestation ou bien de leur engagement dans toute activité non rentable sur le plan académique. Si le jeune étudiant en médecine était certain de tirer profit des luttes politiquement organisées de la minorité militante (dans son conflit contre le «Cartel» académique et professionnel qui monopolise le passé, le présent et le futur du secteur), et si l’action collective réussit sans sa participation, le laissant ainsi à l’abri du conflit avec ce pouvoir dominant qui exploite la majorité de ses efforts et de son plein-temps académique, il sait que, dans tous les cas, il en tirera profit et évitera la défaite. D’une manière générale, si cet individu, victime de cette réalité et devant une lutte menée à sa place par des minorités organisées ou individuellement, n’est pas porteur d’une expérience de conscientisation politique qui représente un cadre analytique pour sa propre réalité (comme c’est le cas pour les adhérents aux partis, les activistes de la société civile ou les héritiers d’un acquis militant familial), il ne s’engagera pas dans la lutte pour ses droits individuels, économiques et sociaux. Car il fait une opération de calcul de l’effort qu’il va fournir en contrepartie du gain, que l’on obtiendra en cas de victoire avec ou sans lui, évitant ainsi de perdre ses efforts ou de subir un dommage dans ce conflit avec le pouvoir.