La Tunisie devrait réformer son système de subventions des céréales pour renforcer la résilience de son système alimentaire. Cette réforme est politiquement et socialement sensible. Le calendrier ainsi que la séquentialité de sa mise en place devraient être soigneusement examinés, estime la Banque mondiale (BM), dans un bulletin de conjoncture réservé à la Tunisie et publié, mercredi, sous le titre « Gérer la crise en temps d’incertitudes – Été 2022 « .
Un système de subvention dominé par les produits céréaliers
La Tunisie, rappelle la BM, a depuis longtemps opté pour une politique de compensation consistant à maintenir les prix de plusieurs produits, considérés comme de première nécessité, en dessous des prix du marché sur toute la chaîne de production et de transformation jusqu’au prix au consommateur.
Ces biens comprennent principalement le pain, la farine, la semoule, les pâtes alimentaires, le lait et l’huile végétale.
Les produits céréaliers dominent les subventions des produits alimentaires car leurs prix à la consommation en Tunisie sont parmi les plus bas et leur consommation est une des plus élevées au monde.
En 2020, les céréales accaparaient plus des trois quarts des subventions totales directes des produits alimentaires. Les produits céréaliers qui sont les plus subventionnés sous forme de biens de consommation finale sont le gros pain, la baguette, les pâtes alimentaires, la semoule, le couscous et la farine.
Le système de subventions universelles tel qu’il est conçu actuellement, a considérablement contribué à gonfler la consommation de blé et dérivés entraînant des fuites et du gaspillage économiquement coûteux.
En effet, les prix faibles de détail des céréales et dérivés, ont contribué à enregistrer un record mondial pour la Tunisie en termes de consommation de blé par habitant. Celle-ci dépassant le double de la moyenne mondiale. Cette demande extrêmement élevée de céréales reflète également les incitations des transformateurs à produire plus (pour recevoir plus de subventions) et génère un fort gaspillage des produits céréaliers.
Un système de subventions défavorable à la filière céréalière et coûteux en termes de budget et de déficit commercial
La BM indique que les subventions aux céréales sont devenues de plus en plus coûteuses au fil du temps, et ce d’autant plus que la guerre en Ukraine a mis à mal l’offre internationale de blé.
Par ailleurs, sachant que les subventions empêchent la demande de s’adapter aux variations des prix internationaux, le budget des subventions pour les céréales a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie.
En effet, entre 2010 et 2020, la subvention des produits alimentaires est passée de 730 MD à 2 569 MD, avec une augmentation continue de la demande intérieure et ce malgré la hausse des prix internationaux.
Cette augmentation s’est exacerbée avec l’explosion des prix internationaux suite à la guerre en Ukraine et si les prix moyens en 2022 restent ceux des 5 premiers mois de l’année, la subvention de céréales en 2022 devrait augmenter de 63 % pour atteindre 3.6 milliards de DT.
Si cette structure de subventions a permis de maintenir des prix bas et stables pour les consommateurs finaux, elle a entraîné des résultats négatifs pour le budget de l’État, pour l’ensemble de la filière céréalière et pour la sécurité alimentaire des Tunisiens.
Le gouvernement a certes augmenté le prix à la production en avril 2022, mais cela reste en dessous du prix international. Le système de contrôle des prix a rendu la transformation de céréales moins compétitive.
Par rapport aux autres filières de transformation alimentaire qui ne sont pas soumises aux contrôles des prix, pour la transformation des céréales, l’entrée en activité est plus faible, la sortie est plus élevée et la croissance de l’emploi ainsi que celle des salaires est faible.
Par ailleurs, le système de subventions est devenu très coûteux non seulement en termes de budget mais aussi en termes de déficit commercial, ce qui le rend de moins en moins apte à faire face aux chocs, comme l’illustre la situation actuelle.
Outre les coûts pour le budget, l’évolution récente des prix internationaux a également eu un impact important sur la valeur des importations.
Les importations de céréales ont continué à augmenter, les volumes de consommation étant restés élevés malgré l’augmentation des prix internationaux.
Les importations de céréales par l’Office des céréales (OdC) sont passées de 1,5 milliard de DT en 2019 (1,2 % du PIB) à 2,4 milliards de DT en 2021 (1,8 % du PIB).
Si les prix internationaux en 2022 restent au niveau de la moyenne des cinq premiers mois, les importations passeraient à 4,5 milliards de DT en 2022.
Les coûts croissants sont absorbés par l’OdC, qui, en 2020, avait déjà accumulé l’une des plus grandes dettes parmi toutes les entreprises publiques (3 milliards de DT). L’augmentation de la dette et le manque de liquidités, en particulier en devises, ont causé des difficultés à l’OdC pour s’approvisionner en céréales sur les marchés internationaux.
Remplacer les prix subventionnés des céréales à la consommation par des transferts aux ménages
L’Institution internationale estime ainsi que remplacer les prix subventionnés des céréales à la consommation par des transferts aux ménages améliorerait l’efficacité de la filière, réduirait le budget et les coûts d’importation et renforcerait la résilience du système alimentaire.
Le remplacement des subventions de céréales aux consommateurs par des transferts monétaires aux ménages équivalents aux augmentations progressives des prix, réduirait la surconsommation et le gaspillage alimentaire et offrirait une plus grande variété de choix aux consommateurs et des possibilités de substitutions entre biens consommés.
L’augmentation correspondante des prix des céréales pourrait être entièrement compensée par des transferts monétaires aux ménages sur la base de leur consommation ou de leur revenu.
Le remplacement d’une partie de la consommation de produits céréaliers par la consommation d’autres biens permettrait de réduire les importations et les subventions. Cela renforcerait la résilience du système alimentaire aux chocs futurs, et améliorerait ainsi la sécurité alimentaire.
En même temps, le passage de l’ensemble de la filière aux prix du marché augmenterait la concurrence et les investissements des agriculteurs et des transformateurs de produits alimentaires, avec des gains de productivité et d’efficacité. Cela permettrait également de réduire davantage les coûts fiscaux liés à l’octroi de subventions directes aux producteurs sur la base des quantités produites.