Le think tank Global Institut 4 Transition (GI4T) vient d’organiser un webinaire pour mettre à plat les questions de la pénurie, la hausse des prix et la spéculation. Lors du panel, les intervenants ont appelé unanimement à la réforme du système de compensation, source de distorsion des prix et de la concurrence.
Depuis quelques mois, la Tunisie vit au rythme de pénuries répétées des produits alimentaires de base. Eau, riz, sucre, farine… aucun produit n’est épargné. Ballotté entre diverses hypothèses concernant les raisons de ces pénuries récurrentes, le consommateur tunisien ne sait plus à quel saint se vouer, d’autant plus que ces pénuries sont souvent suivies par une hausse des prix, quand ces prix ne sont pas fixés par l’administration. Pour mettre à plat la question de la pénurie des produits alimentaires et ses causes, le «think tank» «Global Institut 4 Transition» a organisé récemment, dans le cadre de ses cercles débats «Les mardis de l’économie», un webinaire sur la thématique «Pénurie, hausse des prix et spéculation».
Chiheb Slama, président de la fédération de l’agroalimentaire relevant de l’Utica, Houssem Eddine Chebbi, professeur à l’Essect et analyste des politiques agricoles ainsi que Amel Belhaj Ali, rédactrice en chef de IMG, ont pris part à ce panel de haute facture qui a été modéré par l’expert en économie numérique et en politiques publiques, Mustapha Mezghani.
Une industrie résiliente, mais à la peine avec les aléas des cours
Abordant l’importance du poids de l’industrie agroalimentaire dans l’économie nationale, Ben Slama a mis l’accent sur la maturité de cette industrie valorisante de produits agricoles, précisant qu’elle dispose, encore, d’une marge de progression importante. Elle emploie plus de 100.000 personnes et structure plus de 500.000 emplois dans le secteur agricole. Il a ajouté que les produits agroalimentaires locaux s’exportent bien et que certains produits, comme l’huile d’olive, se sont même forgé une réputation solide à l’international. Il a affirmé que l’industrie agroalimentaire a fait montre, à maintes reprises, de résilience, notamment en 2011 et aussi, lors de la crise Covid-19.
En ce qui concerne la question de l’inflation, le président de la fédération de l’agroalimentaire a fait savoir que l’industriel, en tant qu’intermédiaire dans la chaîne de valeur, subit la hausse des prix des matières premières, notamment de l’énergie. Précisant qu’il existe une confusion entre stockage et spéculation, Ben Slama a expliqué que les industries agroalimentaires recourent naturellement au stockage pour deux raisons, à savoir la saisonnalité des produits agricoles et l’homogénéité des capacités de production.
Revenant sur les difficultés rencontrées par les industries agroalimentaires, le président de la fédération relevant de l’Utica a expliqué que le modèle actuel de compensation qui a été instauré depuis plus de 40 ans est devenu caduc et pénalise les industriels, en raison des écarts des prix qu’il occasionne. Et d’ajouter que ce système fait fuir les investisseurs qui boudent toute industrie se basant sur les produits subventionnés. Selon Ben Slama, la concurrence déloyale est un autre écueil auquel est confrontée l’industrie agroalimentaire. Il a noté, à cet égard, que les industries agroalimentaires locales sont exposées à une concurrence déloyale avec les produits importés de pays où les entreprises bénéficient des avantages et des subventions octroyés par l’Etat, tels que la Turquie. Il a ajouté que la faible production agricole, qui puise son origine dans la sécheresse et le stress hydrique dont souffre le pays, a provoqué une baisse de l’offre, ce qui a contribué, par ricochet, à la hausse des prix.
Evoquant l’impact de la guerre en Ukraine ainsi que l’effet de la reprise économique mondiale post-Covid sur la cyclicité des matières premières, Ben Slama a indiqué que les industriels ont dû faire face à des hausses considérables des cours, les poussant à prendre position pour pouvoir refléter doucement ces augmentations sur le consommateur. Il a cité, à cet égard, les exemples du sucre, dont le prix a presque doublé en quelques mois, mais aussi de l’huile de tournesol dont 10% de la production mondiale sont assurés par la Russie et l’Ukraine et dont le prix a connu une hausse sans précédent après le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne. Il a, par ailleurs, pointé du doigt le statu quo au niveau des pactes de compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires, signalant au passage l’abandon des politiques industrielles par filière.
La politique de soutien au consommateur a atteint ses limites
De son côté, Houssem Eddine Chebbi a mentionné que la publication du décret loi, relatif à la lutte contre la spéculation publié en 2022, a provoqué un choc au niveau du fonctionnement du marché, du fait qu’il n’a pas défini les mécanismes et les produits ciblés par les nouvelles mesures. Revenant sur la question de la compensation, Chebbi a indiqué que l’Etat a opté, auparavant, pour la politique de soutien au consommateur afin de lui permettre d’accéder à un panier de produits. L’Etat, qui avait une marge de manœuvre budgétaire, pouvait, alors, exercer une pression sur les prix.
Pareil pour certaines filières, telles que les céréales, la fixation des prix à la production visait à protéger le producteur via un bouclier de prix. Sauf que cette politique a montré ses limites, insiste l’universitaire. Cet échec se traduit par le grand écart qui existe entre les prix pratiqués sur le plan national et les prix à l’importation. «La politique de soutien au consommateur a pénalisé le système productif. Elle n’incite pas à la création des richesses», a-t-il ajouté. Et de soutenir que trois éléments sont nécessaires pour la création de richesses dans le secteur agricole, à savoir l’incitation économique (c’est là où l’Etat doit intervenir pour définir quelles sont ces incitations), les technologies et le climat (la lutte contre le changement climatique). Précisant que la libéralisation des prix de l’huile d’olive a encouragé les agriculteurs à se tourner davantage vers cette filière, Chebbi a appelé à un processus de révision du système de compensation par étape, notamment dans ce contexte budgétaire difficile. En outre, il n’a pas omis de mentionner que l’autosuffisance alimentaire se planifie sur des années. La conception de nouvelles politiques agricoles nécessite la prise en compte des capacités réelles de production, a-t-il indiqué. Il a conclu son intervention par un appel pour un redémarrage de l’appareil productif.
La libéralisation des prix, c’est la solution !
Amel Belhaj Ali a mis l’accent sur la nécessité d’appliquer la vérité des prix tout en protégeant les couches vulnérables avec la mise en place de banques de nourriture. D’après la journaliste, les infractions relatives au dépassement ainsi qu’à la transparence des prix ont augmenté respectivement de 106% et 40% au cours des 8 premiers mois de l’année 2022. Des chiffres qui montrent, selon elle, que la solution pour la lutte contre la spéculation ne réside pas dans l’instauration de mesures coercitives, mais plutôt dans les législations et la libéralisation des prix. Elle a souligné, par ailleurs, l’importance de mettre en œuvre des politiques économiques qui visent à améliorer la production agricole et atteindre l’autosuffisance alimentaire, mettant en garde contre les effets de la concurrence déloyale et la désindustrialisation qui s’opère en Tunisie depuis une dizaine d’années. Belhaj Ali a, par ailleurs, mis en exergue l’importance du volet communication, estimant qu’il est du rôle de tous les acteurs économiques de simplifier et vulgariser les enjeux économiques du pays. «Il y a un bon sens populaire que les dirigeants renient», a-t- elle fait remarquer.
Oussama Ben Arab
08/10/2022 à 03:09
Bsoir Maroua, juste pour te dire que Institut s’écrit avec un « e » en anglais; comme par exemple Global institute for Research ou Massachusetts Institute of Technology, MIT.