Bien avant le XVIIIe Sommet de la Francophonie, qui aura lieu les 19 et 20 novembre courant à Djerba, en Tunisie, il y aura, le 17 du même mois, le Festival de l’intelligence économique à organiser par le Centre africain de veille et d’intelligence économique.
Mais qui dit intelligence économique dit réalisme et pragmatisme. Ceci étant, peut-on garder l’espoir de voir enfin émerger une Afrique francophone économiquement prospère et en mesure de rivaliser avec une Afrique anglophone enregistrant une croissance économique à deux chiffres ? Peut-on aplanir les obstacles qui freinent la marche de l’Afrique francophone sur la voie du développement ? Quels seraient les réajustements à opérer pour un partenariat gagnant-gagnant entre les principaux acteurs de l’espace francophone ? Pour répondre à ces questions, La Presse a approché le président du Centre africain de veille et d’intelligence économique, Guy Gweth. Entretien.
L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) n’est pas une organisation à vocation économique. Toutefois, elle peut jouer un rôle de choix dans l’essor de la francophonie économique. Quels seraient, selon vous, les principaux obstacles à aplanir pour un véritable réveil ?
Il y a deux éléments-clés sine qua non pour la compréhension de cette problématique. Cela a trait à l’ADN, à la genèse et à l’acte de naissance même de la Francophonie et de l’OIF, plus précisément. Initialement, la francophonie et l’OIF ont été pensées comme un instrument d’influence de la France sur ses anciennes colonies. Comme tel cela a été imaginé, le processus a été vicié au départ. C’était, d’abord, une initiative politique pour que la France rayonne sur ses anciennes colonies à travers l’OIF. Mais une fois que ces mêmes colonies sont devenues indépendantes et que le Mur de Berlin s’est effondré, l’on s’est rendu compte de la nécessité d’une nouvelle partition face à une France qui était en perte de vitesse.
Une France qui n’était plus la même puissance d’antan au moment même de la création de l’OIF (1970, Ndlr) pour devenir une puissance moyenne. Ceci étant, le vide laissé par la France, devenue une puissance moyenne, a été comblé par d’autres acteurs montés en puissance, notamment ceux relevant du monde anglosaxon. Par conséquent, plusieurs acteurs ont quitté le bateau francophone vers celui du Commonwealth qu’ils ont trouvé beaucoup plus dynamique. L’essoufflement est donc dû, selon moi, à la suprématie du politique sur l’économique.
Voudriez-vous expliquer davantage ce point M.Gweth ?
Autrement dit, dès lors que la bataille devient économique sans qu’il y ait des ressorts du côté de l’OIF pour une vraie compétitivité, l’on se trouve face à un hiatus criard.
C’est pourquoi il faut reconstruire une approche économique de la Francophonie telle qu’elle n’a pas été pensée par les pères fondateurs (Habib Bourguiba, l’ancien président tunisien, et Léopold Sédar Senghor, l’ancien président sénégalais, entre autres, Ndlr). L’on parle ici d’une destruction créatrice qui nécessite innovation et créativité. Dans cette perspective, s’inscrit le Festival de l’intelligence économique qui aura lieu le 17 novembre prochain à Djerba, à l’initiative du Centre africain de veille et d’intelligence économique. Forts de notre expertise et de notre maîtrise du terrain, nous procéderons à la publication d’un livre blanc portant tout un plan d’action pour la transition d’une conception purement politique vers une véritable approche économique et réaliste de la Francophonie.
Tout constat fait, il y a aujourd’hui deux Afriques, une anglophone qui cartonne et une francophone qui stagne, une langue anglaise de plus en plus prisée et une langue française en déclin. Peut-on toujours garder l’espoir d’une véritable relance de la Francophonie, compte tenu d’un tel tableau ?
Malgré la présence de grands acteurs dans l’espace francophone, il y a très peu de gens qui se rendent compte des atouts et des opportunités qui se présentent au monde africain francophone. Ces mêmes acteurs perdent de vue le changement de paradigmes auquel les Africains sont aujourd’hui soumis. C’est que les leaders politiques et économiques africains traitent le matin avec des Français, déjeunent ensuite avec des Chinois, parlent dans l’après-midi avec des Turcs et dînent avec des Brésiliens. Tout le monde veut prendre sa place en Afrique, ce continent qui se veut l’avenir de l’économie mondiale.
Or, les politiques français ne se rendent pas compte de ce glissement, étant arcboutés à certaines anciennes pratiques, à savoir copinage, clanisme et autres conduites qui ne servent en aucun cas l’essor de la francophonie économique. Je pense qu’il est temps pour les peuples d’Afrique et les pays francophones de cesser de croire en un père Noël français. Il est temps pour eux de prendre leurs destinées en main, en réalisant que la plus importante communauté francophone se trouve en Afrique. D’autant que plus de la moitié de ces mêmes populations a moins de 20 ans.
Au Centre africain de veille et d’intelligence économique, nous agissons en fonction de ces critères pour tracer le chemin à emprunter. Nous ne pouvons que saluer les efforts consentis par les pères fondateurs et le reste des acteurs politiques de la Francophonie, mais nous nous employons nous autres à asseoir le mode opératoire le plus approprié, compte tenu des exigences de l’heure d’un monde de plus en plus globalisé.
Que peut-on entendre par les exigences de l’heure d’un monde de plus en plus globalisé ?
En m’adressant à nos amis français, belges, suisses et canadiens, je dirais qu’il faut agir avec de nouveaux outils. En Afrique, on est 54 Etats d’une égale importance et l’enjeu aujourd’hui, c’est de pouvoir parler d’une seule voix, notamment avec une Union africaine beaucoup plus homogène. Cela va sans dire que dans l’espace francophone, il y a des économies disparates. D’où la nécessité d’une plus grande coopération entre les pays africains avant toute négociation avec leurs interlocuteurs internationaux. Cela me conduit à évoquer la zone de libre-échange continentale africaine pour ensuite aborder les opportunités qui existent en matière d’intégration économique africaine.
Dire, par exemple, que la Tunisie commerce aujourd’hui beaucoup plus avec les pays du nord européen qu’avec ceux de sa sous-région revient à admettre que le gap entre Européens et Africains ne sera pas réduit pour bientôt.
Par contre, si on arrive à diversifier nos économies, à asseoir une Union africaine homogène, capable de mettre en place une politique africaine de l’environnement, une politique africaine de la défense, une politique africaine des échanges intercontinentaux, nous serons en mesure de traiter d’égal à égal avec nos interlocuteurs.
Pour extrapoler, je dirais qu’il faut procéder doublement pour un véritable essor de la francophonie économique. Premièrement, sur le plan macroéconomique, il faut être à la fois compétiteurs et alliés. Deuxièmement, il faut jeter les fondements d’une véritable zone de libre-échange africaine pour ainsi muscler nos économies avant d’entreprendre une négociation ou une autre.