Par Brahim JEGUIRIM | Ex-secrétaire général de l’Association d’amitié tuniso allemande Germaniste-Diplômé de Sciences Po de Strasbourg |
La République Fédérale, d’Allemagne vient de fêter en grande pompe le 32e anniversaire de sa réunification, le 3 octobre 1990. Le peuple allemand a vécu terriblement la Seconde Guerre mondiale de 1939 à 1945. Après la guerre, les 4 puissances victorieuses ont présidé au sort de l’Allemagne en lui imposant leur volonté et leurs conditions. Les conséquences de la défaite sont notamment la dénazification, la démilitarisation et la démocratisation de la vie politique.
Très vite, l’Amérique a réalisé l’importance qu’elle accorde à l’avenir d’une Allemagne nouvelle et alliée pour contrecarrer l’avancée du communisme en Europe et freiner les ambitions de Staline.
Dans cette conjoncture d’après-guerre, l’Allemagne héritière du 3e Reich a été divisée en deux pays : l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est. La capitale historique Berlin a également connu la division en deux : Berlin-Ouest et Berlin-Est. A partir de la capitulation allemande en mai 1945, tout restait à revoir et il s’agissait de concevoir l’avenir politique et économique d’un pays laissé en ruine, dépourvu des conditions élémentaires pour survivre et continuer à exister. La riposte des forces militaires alliées était sans ménagement et d’une violence extrême à tel point que des villes ont été bombardées et entièrement détruites comme Hambourg, Francfort et Munich, avec les souffrances et les malheurs qui s’ensuivirent.
Les Occidentaux, et à leur tête l’Amérique, ont compris très vite que leur intérêt consistait à ne pas perdre définitivement l’Allemagne mais plutôt à réaliser la démocratisation de ce pays et de réussir les conditions de son redressement économique et social. C’est ainsi que sont venus l’idée et les fondements du plan Marshall conçu en 1948 pour reconstruire l’Europe en général et l’Allemagne en particulier. C’était déjà la bonne orientation qui a donné une nouvelle chance à l’Allemagne. Le peuple allemand a saisi cette opportunité et a bien réagi à cette initiative américaine et a fait preuve d’un sens aigu du civisme et du labeur pour redresser la situation. Quant à la Russie, elle a campé sur ses positions et a continué sa politique agressive et belliqueuse avec une volonté de vengeance et loin de toute volonté de réconciliation.
Cette situation ténébreuse n’a cessé de se détériorer pour aboutir à l’établissement de la guerre froide. Dans ce contexte de tension, la République Fédérale d’Allemagne a vu le jour en mai 1949 avec sa constitution du 23 mai 1949. C’était la naissance d’un jeune Etat démocratique libéral et ouvert sur le monde extérieur avec les meilleures dispositions pour un avenir meilleur. La nouvelle constitution a prévu dans son article 23 qu’elle est provisoire et qu’elle s’applique dans les 11 régions (Laender) qui forment la République Fédérale, tout en précisant que les autres régions ont la vocation d’intégrer la nouvelle République. Quant à la Russie, elle érige dans sa zone d’occupation en mai 1949 la République Démocratique Allemande (RDA) qui a adopté le modèle politique, économique et social de la Russie.
Quant à la capitale Berlin, elle a été divisée en 4 zones d’occupation : russe, américaine, anglaise et française. Une situation dramatique caractérisée par la séparation des familles et le cauchemar de la menace de la guerre.
De son côté, l’Amérique a voulu instaurer une politique d’assimilation et d’expérimentation de sa doctrine et de sa conception. En particulier elle a imposé le fédéralisme comme système d’organisation administrative et économique qui diffère du centralisme en France. Les Américains ont voulu surtout expérimenter leur modèle de société. Ce qui a amené les chercheurs et les politologues à appeler l’Allemagne « la petite Amérique » face à l’Amérique aux possibilités illimitées (Klein Amerika).
Toute cette stratégie pro-américaine est activée par le premier chancelier d’après-guerre Konrad Adenauer qui est considéré par plusieurs Allemands comme le chancelier des Américains. Tout cela est dicté par les Occidentaux qui avaient la volonté d’éradiquer la puissance de l’Allemagne pour toujours, pour ne pas craindre une hégémonie ou une menace pour le reste de l’Europe. Après la fondation des deux Allemagne, les relations entre l’Est et l’Ouest n’ont cessé de se détériorer pour laisser libre cours à l’installation de la guerre froide. Cette lourde ambiance n’a cessé de s’aggraver et de s’étendre, surtout à cause du manque de confiance réciproque. Cette ambiance lourde qui a caractérisé les relations Est-Ouest s’est aggravée avec la construction du mur de Berlin le 13 août 1961 par la RDA pour arrêter l’exode des Allemands de l’est vers l’ouest.
L’Allemagne Fédérale s’est évertuée depuis sa création à ériger une politique de liberté, de paix et d’unité. Le Chancelier Konrad Adenauer a dirigé la RFA du 15 septembre 1949 au 15 octobre 1963. Durant cette période, le peuple allemand a connu la prospérité, le bien-être et le progrès. Son successeur, le chancelier Ludwig Erhard, a réalisé le miracle économique de l’Allemagne et a mis le pays en marche pour le progrès et la performance économique en Europe.
Pendant une longue période, l’Allemagne se refusait de jouer un rôle politique important pour se consacrer exclusivement à l’économie. Également, à cause de son héritage politique accablant, l’Allemagne a renoncé à jouer un rôle important sur la scène mondiale, ce qui a permis aux observateurs étrangers de considérer l’Allemagne comme un géant économique mais un nain politique. Toutefois, le sentiment allemand de frustration et d’humiliation à cause de la division de leur pays et de leur capitale Berlin ne peuvent indéfiniment échapper à la contestation et au désir de changement. C’est ce qui a poussé plusieurs générations à aspirer à la réunification allemande tant espérée. Pourtant, plusieurs en Europe sont d’avis que l’unité allemande est loin d’être souhaitée à cause des enseignements tristes de l’histoire. Les pays voisins de l’Allemagne ne se sont pas habitués à avoir une Allemagne forte, expansionniste et ambitieuse.
Devant l’intransigeance de la Russie, les provocations permanentes et les intimidations adressées à la R.F.A., l’aspiration à la réunification n’a cessé de se confirmer et de se renforcer.
La guerre froide persiste et l’Allemagne est devenue un laboratoire des relations Est-Ouest et un centre d’observation stratégique de l’évolution des relations internationales. Le président américain John Kennedy effectue une visite à Berlin-Ouest le 14 avril 1963 et prononça un discours historique pour défendre Berlin et l’empêcher de tomber dans le camp communiste : “Ich bin ein Berliner” (je suis un Berlinois), clamait-il.
L’Ostpolitik ouvre la voie de la réunification allemande
L’Allemagne d’après-guerre a consacré toute sa politique extérieure à la réconciliation avec tous les pays européens, puis au renforcement de la coopération européenne. Une attention particulière a été accordée à élaborer la politique à adopter à l’égard de l’Union soviétique et des pays de l’Est qui sont regroupés dans le pacte de Varsovie. La Pologne fait l’objet d’un intérêt particulier dans la politique extérieure de l’Allemagne.
L’Allemagne, durant plus de vingt ans, s’est efforcée à gagner la confiance et coopérer pour construire une Europe nouvelle. Dans ce contexte, la France et l’Allemagne ont conclu en 1963 le traité d’amitié et de coopération franco-allemandes. L’Office franco-allemand de la jeunesse a également vu le jour en mars 1963 grâce au soutien accordé par le général de Gaulle, poursuivant les efforts de l’Allemagne pour tourner la page du passé et consolider la place du peuple Allemand sur la scène internationale.
Le Chancelier social-démocrate Willy Brandt, un homme de grande valeur politique a consacré tous ses efforts à l’ouverture à l’Est ou Ostpolitik. Il s’est engagé à réaliser en Allemagne la paix, la sécurité, la liberté et le bien-être. Il considérait qu’il était inadmissible pour les deux Allemagne de continuer à s’ignorer mutuellement, de vivre dans la méfiance permanente, la tension et la haine. Pour cela, il a appelé au dialogue inter-allemand et à la coopération bilatérale.
Ainsi, Brandt a accordé une priorité à l’amélioration des relations avec l’Union soviétique qui a une grande autorité sur le reste des pays de l’Est et surtout sur la R.D.A. Sans négliger son influence sur l’avenir de l’Europe qui ne peut se dessiner sans son consentement. De 1969 à 1974, le Chancelier Brandt, grand militant de l’Internationale Socialiste et grand acteur sur la scène mondiale, a consacré tout son talent pour hisser l’Allemagne au niveau international, en vue de la préparer à la réunification future grâce à son engagement et à sa politique pacifique.
Depuis, la détente entre l’Est et l’Ouest n’a cessé de se consolider et de s’affirmer au cours des rencontres au plus haut niveau entre l’Allemagne d’un côté et l’union Soviétique, la R.D.A et la Pologne de l’autre.
Une nouvelle ère pour les relations internationales a été inaugurée le 12 août 1970 grâce à la signature du traité entre l’Union soviétique et l’Allemagne de l’Ouest signé par Willy Brandt et Walter Scheel, ministre des Affaires étrangères du côté allemand, et Alexej Kossygen et Andreï Gromyko du côté russe. Ce traité est d’une grande importance et ouvre de nouvelles perspectives. Dans son article 3, il stipule que la paix en Europe est possible grâce au respect des frontières existantes et au non-recours à la force.
En outre, le traité du 7 décembre 1970 conclu entre l’Allemagne et la Pologne est venu confirmer le respect de la ligne Oder-Neisse et la renonciation à la force pour ouvrir la voie du dialogue et de la coopération bilatérale dans plusieurs domaines.
Le président Giscard D’Estaing a évoqué dans ses mémoires, avec beaucoup d’affection, sa visite officielle à Moscou en octobre 1975 au cours de laquelle il a eu deux entretiens amicaux et détendus avec Brejnev qui ouvrent de nouvelles perspectives dans la coopération et l’amitié franco-russe.
Ce n’est qu’avec l’arrivée au pouvoir en Union soviétique en octobre 1988 du réformateur Mikhaïl Gorbatchev que des chances sérieuses pour la réunification de l’Allemagne ont vu le jour. Des mouvements de protestation et de revendication des libertés ont éclaté partout en R.D.A. La contestation en 1989 n’a pas cessé de s’étendre et de se généraliser. Les autorités est-allemandes ont été incapables de freiner les mouvements de contestation. Devant cette situation nouvelle, irrésistible, Gorbatchev a refusé d’autoriser Erich Honecker d’utiliser la force pour maîtriser la situation.
Les Allemands de l’Est demandent la liberté, la démocratie et la réunification. L’Union soviétique de Gorbatchev, qui s’est engagée à réformer la société russe grâce à la Perestroïka et à la Glasnost, ne voyait pas comment elle peut faire marche arrière et poursuivre la défense et la protection des dirigeants de la R.D.A qui ne contrôlaient plus rien et étaient débordés par les mouvements de foule et les manifestations dans les rues au cri de « Wir sind das Volk » (nous sommes le peuple), ce qui a fait chuter le mur de Berlin.
Après le 9 novembre 1989, les manifestants ont continué à protester en changeant de slogan « Wir sind ein Volk » (nous sommes un seul peuple). Très vite, tout le monde a compris qu’il n’y avait plus de retour en arrière, et qu’il s’agissait d’un vrai tournant dans l’histoire et que rien ne sera plus comme avant. Il s’agissait bien d’un combat pour réaliser l’unité. La nation allemande inaugurait une page nouvelle. Le président français François Mitterrand, déclara en recevant Helmut Kohl à l’Elysée, qu’il ne servait plus à rien d’aller à contre-courant de l’histoire. Les jeux étaient faits. Rien ne pouvait arrêter la marche allemande. Il s’agit plutôt de s’y accommoder et de penser à l’avenir de l’Europe. De son côté, le président américain George Bush père suivait de près les évènements et apporta son soutien plein et entier à la volonté populaire allemande, à la seule condition de ne pas remettre en cause les frontières existantes, en l’occurrence celle entre la Pologne et l’Allemagne de l’Est tracée à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi l’Amérique a démontré encore une fois sa fidélité à sa politique à l’égard de l’Allemagne d’après-guerre qui consiste à l’attirer pour en faire un allié sûr dans le vieux continent qui mérite sa confiance et son appui traditionnel et même sa protection en cas de besoin.
Quant à la France, elle exige de Helmut Kohl de s’engager définitivement dans une union économique et monétaire en Europe. Autrement dit, elle exige la création de l’Euro comme monnaie d’échange de la réunification. Kohl donne son accord et s’engage dans l’immédiat à créer l’union monétaire avec l’Est de manière très généreuse : un Mark est-allemand équivaudra à un Mark ouest-allemand. Ainsi, une volonté politique sans équivoque s’est dégagée en faveur de la réunification. Bénéficiant de la réunification de tous les facteurs positifs et favorables à la réalisation de la réunification de l’Allemagne, le Chancelier Helmut Kohl a fait preuve d’une grande détermination à réaliser l’aspiration de son peuple à la souveraineté et à la libre détermination. Les deux Allemagne ont vécu pendant 45 ans sous deux régimes politiques et économiques différents, ce qui a permis à plusieurs observateurs de la politique allemande d’appréhender les risques sérieux face à cette aventure unique. Aujourd’hui, 32 ans après la réunification, l’expérience s’est révélée couronnée de succès.
Le peuple allemand a prouvé sa capacité de forcer l’admiration du monde entier pour sa ferme détermination à s’imposer et à gagner tous les défis grâce à son organisation, à son civisme et à son sens aigu du devoir, ce qui lui a valu de grands succès dans plusieurs domaines.