Le constat est toujours frustrant. Et pour cause, un grand nombre de nos mosquées a servi de vivier, depuis la révolution et jusqu’à une date récente, pour le recrutement des fondamentalistes, l’embrigadement des jeunes et plus particulièrement pour l’islam politique prôné par le parti Ennahdha qui s’est emparé du pouvoir après 2011.
Qu’en-est-il aujourd’hui? Serait-ce la fin de la récréation pour les prédicateurs qui ont longtemps profité du contexte politique post-révolution pour embrigader nos jeunes, les envoyer dans les zones de tension et transformer nos mosquées en lieux de propagande pour la mouvance salafiste et le parti islamiste en place à cette époque?
La société civile et les partis politiques, à l’exception du mouvement islamiste et ses alliés, ont toujours fait de la neutralisation des mosquées leur cheval de bataille, mais ils ont le plus souvent buté contre le double langage d’une majorité politique myope, arriviste et versatile qui a laissé faire les choses.
Le principe de neutralité ignoré
Au temps de la Troïka, on a bien vu des mosquées hors de tout contrôle, infestées par les salafistes, des imams appelant au jihad et d’autres, à la réputation phallocrate, s’élever contre les acquis de la femme en matière d’émancipation au point que certains rêvaient même d’un retour à la polygamie. Plusieurs lieux de culte, dont la mosquée El Fath à Tunis, se sont mués en havre de paix pour des terroristes notoires à l’instar du tristement célèbre Saifallah Ben Hassine, alias Abou Iyadh, qui a pu quitter en toute tranquillité cette mosquée au moment ou elle était totalement encerclée par des unités de police venues en grand nombre pour l’arrêter. Ceci sans compter le fameux prêche de Noureddine Khademi (avant sa nomination en tant que ministre des Affaires religieuses, faut-il le préciser), datant du mois d’août 2011, dans laquelle il a appelé les fidèles à s’engager sur le front de la guerre en Syrie.
Face aux multiples revendications relatives à la nécessité de tenir les mosquées à l’écart de toute instrumentalisation politique après le départ de la Troïka en 2014, des imams n’ont pas manqué, lors de leurs prêches, d’appeler les fidèles à manifester dans les rues en guise de refus de ce principe et sous prétexte que de telles décisions marqueraient un retour à la case départ, c’est-à-dire aux pratiques de l’ancien régime. Point n’est besoin de mentionner le motif de ces appels et qui sont les investigateurs.
Mais tout s’explique quand le religieux se met à la disposition du politique.
La guerre des mosquées est lancée depuis sans que le ministère de tutelle ne soit en mesure de mettre, terme au discours rétrogrades et misogyne de certains prédicateurs qui, bénéficiant du parapluie politique islamiste, n’hésitaient pas à s’attaquer à la centrale syndicale et même à des ministres en place en pleine campagne électorale, se moquant comme d’une guigne du principe de la neutralité des lieux de culte.
Il fallait prendre le taureau par les cornes pour assurer la neutralisation des mosquées. Le pouvoir actuellement en place l’avait bien compris, d’où ce grand remaniement qui a touché depuis un bon bout de temps des cadres relevant du ministère de tutelle des imams prédicateurs et des imams khoms dans plusieurs régions du pays. Désormais, il n’est plus question de politiser les mosquées.
Contrôler oui, mais par quels moyens ?
Le Président de la République a dans ce contexte reçu mercredi 30 novembre dernier le ministre des Affaires religieuses, Brahim Chebbi, au Palais de Carthage pour s’informer des activités de ce département. Au cours de cette rencontre, Kaïs Saïed a pris connaissance des activités du département des Affaires religieuses et a souligné par la même occasion que «les mosquées doivent rester des lieux de culte pour atteindre les objectifs de la vraie religion islamique». Des propos qui soutiennent l’engagement ferme de l’Etat à ne pas utiliser les lieux de culte à des fins détournées, notamment à des fins politiques.
Depuis avril 2015, le ministère des Affaires religieuses a fixé cinq priorités pour son département parmi lesquelles figuraient en particulier «une stratégie médiatique et une rationalisation du discours religieux», visant à «établir un discours religieux de conscientisation se basant sur les textes religieux et les préceptes moraux de l’islam, tout en réaffirmant « le rôle essentiel joué par les imams et les prédicateurs dans le traitement des problèmes sociaux, notamment le phénomène du terrorisme», sans oublier le contrôle des mosquées et des écoles coraniques.
Enchaînant dans la même voie, l’ancien ministre des Affaires religieuses Ahmed Adhoum avait annoncé en 2018 que son ministère s’était doté d’une «stratégie de lutte contre le terrorisme» qui repose sur plusieurs axes, dont l’analyse des causes de l’extrémisme et l’embrigadement, la prévention de la famille et l’éducation aux valeurs de la tolérance, la réforme du discours religieux et la diffusion d’un discours religieux éclairé. Il a expliqué à cette occasion que son département s’orientait vers une nouvelle approche dans la gestion des affaires religieuses en vue de contribuer à la lutte contre l’embrigadement et jeter les jalons de la tolérance.
Si certains objectifs ont été atteints, il n’en est pas de même pour la réforme et la diffusion d’un discours religieux éclairé. On est toujours loin du compte et les tentatives de récupération des lieux de culte dans certaines régions sont encore de mise, nécessitant une réforme en profondeur orientée notamment vers les prédicateurs. En 2018 et selon les statistiques fournies par le ministre des Affaires religieuses en place, notre pays comptait 5.890 mosquées et 20.114 cadres religieux. A cette époque, l’ancien ministre Ahmed Adhoum avait expliqué dans un point de presse que son département disposait de peu de moyens financiers et d’effectifs pour assurer le contrôle de tous les lieux de culte.