Beau et sincère, «Sous les figues» d’Erige Sehiri a été projeté en première le 5 décembre 2022 au cinéma «Les 7 Parnassiens» à Paris en présence de la réalisatrice et de l’équipe du film.
Le film met en valeur une région marginalisée, ses habitants et leurs préoccupations rayés des médias (télévision et cinéma compris), un sujet prisé par le cinéma aujourd’hui. Lorsque cette mise en lumière ne se limite pas à la représentation des minorités, mais touche l’universel, on ne peut que parler de grand cinéma.
Tout en douceur et en lumière, «Sous les figues» d’Erige Sehiri, actuellement en salles, fort du Tanit d’argent des JCC 2022, Bayard d’or du FIFF de Namur 2022 et sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes 2022, ainsi que plusieurs autres Grands Prix, est le premier long-métrage de fiction de la réalisatrice précédé d’un long documentaire «La voie normale», suit durant une journée des cueilleurs dans un verger de figuiers situé dans une région du Nord-Ouest du pays.
Le début du film est silencieux jusqu’à l’arrivée au verger où commence le marivaudage entre les protagonistes qui, dans de plans- séquences serrés, s’échangent, se courtisent, se disputent sous les branches des arbres traversées par les rayons du soleil qui éclairent leurs visages. Progressivement, les discussions prenne une tournure plus profonde sur les conditions sociales et salariales et la dénonciation par les jeunes filles, insoumises, du patriarcat qui caractérise les zones rurales. Entre traditions conservatrices et désir de modernité, le film met en empathie les spectateurs et leur permet de vivre pleinement cette histoire chargée d’amour, de frustrations et d’espoir.
A partir d’un dispositif léger et d’une simplicité déroutante avec le respect de l’unité de temps, de lieu et sans événements particuliers, Erige Sehiri réalise un huis clos solaire, tout en extérieur écrit au présent. On assiste à la cueillette des figues émaillée de discussions triviales. Elle réussit à exploiter les rayons du soleil qui passent à travers les branches pour éclairer intelligemment les visages des protagonistes, des jeunes notamment qui, comme les fruits qu’ils cueillent, sont en train de mûrir.
Une embellie dans le cinéma tunisien
Discussions amoureuses, consultation d’Instagram pour les jeunes et chants et prières pour les aînés, le film est un microcosme social qui raconte les préoccupations, les jalousies, les déceptions, la violence sociale, mais aussi l’espoir, la vie, et lorsque la journée se termine et que la lumière décline, les ouvriers et ouvrières regagnent la camionnette, entassés comme du bétail, pour retourner chez eux en chantant joyeusement un air populaire «Elloumou Elloumou», une manière de taquiner le destin, leur regard est transformé et le nôtre aussi.
Erige Sehiri offre un film à la fois tendre et poignant, un peu bucolique à la Renoir, où dans une jolie polyphonie, les protagonistes évoquent leur modeste condition, mais parlent de leurs sentiments, leurs amours et leurs désirs de liberté. Loin d’être un film social plaintif qui traite la misère des ouvriers, «Sous les figues» est plutôt une romance affectueuse et une jolie chorégraphie où la caméra se balade d’un arbre à l’autre, avec des improvisations au niveau des dialogues notamment, impliquant des acteurs tous débutants.
Rien ne semble joué d’avance et il se construit des chemins de tractations et de trouble entre la fiction et la réalité assez bouleversants. C’est un cinéma artisanal dont le principe esthétique est l’allègement des moyens au strict minimum. On retrouve l’unité de lieu, de temps et de la parole, une écriture simple et simplifiée, certes, mais qui exige subtilité et sincérité. Un pari réussi et gagné.