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Tribune | Où va la culture ?

 

Par Mohamed KOUKA

Cicéron est le premier philosophe à avoir défini la culture, dans un texte des ’’Tusculanes’,’ comme «Un champ, si fertile soit-il, ne peut être productif sans culture, et c’est la même chose pour l’âme sans enseignement». ‘’Cultura Animi’’ , transféré à l’esprit, la culture de l’âme désigne soit l’activité par laquelle l’homme développe ses facultés en s’instruisant, soit le résultat collectif de cette activité. Le sens ontologique du mot culture recouvre tout ce par quoi l’existence humaine apparaît comme s’élevant au-dessus de la pure animalité, et plus généralement au-dessus de la simple nature. Il appartient à l’homme cultivé d’être  à la fois curieux et respectueux des autres hommes et d’agir en connaissance de cause. La culture est destinée à s’effectuer au sein d’un élément spécifique, celui des œuvres de l’esprit qui sont celles de l’art, de la poésie ou littérature, de la pensée conceptuelle, sciences et philosophie. La culture, c’est évidemment l’individu réalisant sa propre humanité. Cette réalisation est d’abord intellectuelle.

La culture d’une société est, certes, à sa manière représentative de la culture humaine en général ; elle en est une réalisation particulière, un moment particulier. La  culture n’est pas un genre : c’est un ordre, une condition ou une processualiste essentiellement unitaire. La culture est renouvellement, innovation, remise en cause, et par suite incessant labeur. La culture est audace… La culture est liberté ou n’est rien.

Le propre de l’action culturelle est de susciter les consciences, les aider à se prendre en charge. Plus que jamais aujourd’hui, le droit à la culture doit être au cœur de nos préoccupations éthiques et politiques. Lier fortement vie sociale, valorisation personnelle et créativité. La force de la culture, c’est qu’elle appartient à tout le monde  parlant de chacun, à chacun  individuellement.

L’univers technoscientifique, univers virtuel où le bruit de la communication illimitée se substitue à l’épaisseur  physique de la matière, il nous fait entrer dans un univers  artificiel, l’automatisme numérique est en passe de s’étendre jusqu’au domaine de la subjectivité ; la réalité virtuelle se substitue chaque jour davantage au réel. Il faut privilégier l’action théâtrale parce qu’elle apparaît comme  étant une des dernières cérémonies sociales dans laquelle il reste beaucoup de socialité. Grotowski parle d’une rencontre ici et maintenant unique…Et ça coule comme le fleuve d’Héraclite…

On est en droit de se poser la question de la gravité de la crise que traverse actuellement le pays. Que nous arrive-t-il ? La décennie que nous venons de vivre est la plus lugubre, la plus triste, depuis l’indépendance, générant crise économique, politique, culturelle, morale, religieuse. Promenez-vous dans les rues de la Capitale, la crasse est partout, jamais les avenues de Tunis n’ont été aussi dégueulasses. Il vous arrive même de croiser au coin d’une rue une meute de chiens errants ! En plein centre de la Capitale ! La faute n’incombe pas seulement aux services municipaux concernés, mais aux citoyens  sous-éduqués, incultes, bref affaire culturelle. Faut-il rappeler que le propre de l’action culturelle est de susciter les consciences et de les aider à se prendre en charge. La culture c’est l’individu réalisant sa propre humanité. Comment convaincre que l’enjeu culturel concerne tout le monde et pas seulement les acteurs culturels ? Comment convaincre que le social ne peut être dissocié du culturel. Cela consiste, entre autres, en un exercice persévérant et diversifié des facultés de l’esprit qui idéalement les porte à l’optimum de leur usage.

Ne pas confondre action culturelle et loisir. Cette confusion a été commise au sommet de l’Etat, lors de la formation d’un gouvernement, en associant la culture au tourisme dans un même ministère ! Règne de l’ignorance et de l’incapacité au centre de décision étatique. Je cite André Malraux, ancien ministre de la Culture français, inaugurant la maison de la culture de Bourges : «Je dis que c’est (la culture) une aventure dans le domaine de l’esprit parce qu’il faut que l’on comprenne bien que le mot loisir devrait disparaître de notre vocabulaire commun. Oui ! Il faut que les gens aient des loisirs. Oui ! Il faut les aider à avoir les meilleurs loisirs du monde. Mais, si la culture existe ce n’est pas du tout pour que les gens s’amusent, parce qu’ils peuvent aussi  s’amuser et  peut-être bien davantage avec tout autre chose et même avec le pire… Et ce qu’on appelle la culture, c’est l’ensemble des réponses mystérieuses que peut se faire un homme lorsqu’il regarde dans une glace ce que sera son visage de mort». À apprendre par cœur par ceux qui prétendent à la charge culturelle dans ce pays ! Dans ses Pensées, Pascal n’est pas moins explicite, «La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, cependant c’est la plus grande de nos misères».

La crise que traverse le pays n’est pas uniquement d’ordre politique. Elle est éminemment d’ordre culturel. Cela va de soi. Et l’institution culturelle, elle-même, y est pour beaucoup. Que font lesdits hommes de théâtre, où sont-ils ? Les dramaturges ? Les metteurs en scène ? Les acteurs ? Les critiques ? Les professeurs spécialistes ? Notre théâtre actuel si pauvre en esthétiques, si démuni, si impuissant dans son affrontement avec l’époque. Et ces Journées théâtrales de Carthage, si ternes, si quelconques, sans surprise. Elles sont passées à côté de l’événement. Qu’est-ce qui leur a manqué ? Eh bien la personnalité idoine, cultivée, un véritable animateur (ou animatrice), au courant des différentes formes de théâtre pratiquées dans le monde actuellement, des diverses esthétiques théâtrales en cours présentement… Pourtant, les Journées théâtrales de Carthage d’antan n’avaient pas manqué de créer l’événement avec la présence de grands hommes de théâtre, histoire de faire découvrir au public tunisien les spectacles de ces créateurs et de susciter des rencontres-débats mémorables avec ces grands artistes. Il me souvient, et avec quelle nostalgie, des rencontres mémorables avec notamment Pierre Debauche, Marcel Maréchal, Daniel Mesguich, suite à leurs spectacles,  dialoguer avec le fameux dramaturge Jean Claude Carrière, paix à son âme… En principe, les festivals de théâtre internationaux servent aux artistes à se connaître, à échanger, poussent à la découverte, à l’étonnement. 

Une note positive mais presque unique, la publication du livre de Mohamed Elmay sur Molière et le théâtre tunisien. Passionnant thème qui n’a presque jamais sollicité l’attention des spécialistes. À part quelques infimes erreurs d’attention, le livre d’Elmay vaut la lecture.

Terminons avec une note sacrément positive, miraculeuse, avec les temps qui courent. L’ouverture du ‘Centre des Arts de Djerba’. Magnifique espace culturel ouvert sur le monde. Derrière cette magnifique réalisation, un homme cultivé dans le sens universel du terme, un authentique humaniste. Il s’agit de Fadhel Jaziri, initiateur et maître d’œuvre intégral et sans partage des lieux. Cet espace va, largement, contribuer à renouveler les conditions de la création, avoir recours à des créateurs appartenant à d’autres disciplines (peintres, musiciens, cinéastes, hommes de théâtre, pédagogues), associer ces créateurs autour de projets communs. Ce lieu magnifique, mais  unique, va être l’espace d’un mouvement artistique intense auquel chaque créateur élu apportera sa contribution. Les créateurs peuvent y résider. Un rare espace, ouvert sur le monde, consacré à toutes les formes de  création artistique. Un grand défi qui s’annonce…     

M.K.

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Un commentaire

  1. Mohamed Ali Elhaou

    22 décembre 2022 à 20:25

    L’article marche sur la tête, les derniers paragraphes ce sont eux qui doivent être mis en premier lieu. On part des informations puis on va traiter des différents sens de la culture. Tout le respect à Si Mohamed. Mais à chacun son métier.

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