Accueil Culture Ons Kammoun, chercheure et enseignante à l’École supérieure de l’audiovisuel et du cinéma, à La Presse : «Depuis l’année 2015, Chikli m’obsède»

Ons Kammoun, chercheure et enseignante à l’École supérieure de l’audiovisuel et du cinéma, à La Presse : «Depuis l’année 2015, Chikli m’obsède»

La Cinémathèque de Tunis vient d’abriter récemment les journées d’étude «Zohra, de Samama Chikli, 100 ans après». Cet anniversaire s’est révélé comme une occasion de faire l’état des lieux sur l’évolution des études sur le cinéma tunisien et a incarné une petite université hors les murs mettant ensemble cinéphiles et étudiants. En complicité avec Tarek Ben Chaâbane et l’École supérieure de l’audiovisuel et du cinéma, Ons Kammoun, maître-assistante à la même institution et également chercheure-associée à l’Institut de recherche sur le Maghreb Contemporain, a co-organisé les deux journées d’étude. Rencontre avec une militante pour la préservation de la mémoire de Samama Chikli.

En 1910, Albert Samama Chikli réalisait son premier documentaire. Ce centenaire n’aurait-il pas dû être organisé il y a 12 ans ?

En fait, pour plus de précision, cet événement que nous avons organisé coïncidait plus avec le centenaire de la première fiction tunisienne «Zohra» (1922), que du cinéma tunisien. Car si l’on suivait la démarche des historiens du cinéma, on se rendrait compte qu’ils ont considéré les premières vues des Frères Lumière, à savoir «Sortie de l’usine» et «L’entrée du train à la gare de Ciotta», comme les premières images cinématographiques, des images de facture documentaire.

Nous avons donc raté la célébration du centenaire du cinéma tunisien, puisque Chikli avait déjà réalisé en 1910 un documentaire commandé par le Prince Albert de Monaco pour son musée océanographique intitulé «La pêche au thon».

Ce film trône parmi les trois documentaires, dont on a beaucoup parlé dans les journaux de l’époque, à savoir «L’éclipse» et «La Catastrophe de Messine».

Depuis 2015, vous vous intéressez au travail de Chikli. Avez-vous réellement découvert le cinéaste à la suite des deux expositions que vous avez organisées sur la base de ses photos, la première dans le cadre des Journées cinématographiques de Hergla et la seconde lors du Festival Le Cinéma au Musée de Sousse ?

En effet, cette exposition, qui a eu lieu à Hergla et à Sousse, est un héritage d’une précédente expo organisée aux JCC en 1996, et que Paul Vaughan, le mari de la petite-fille de Chikli, Jaouida Tamzali, a eu l’amabilité d’initier. Depuis 2015, Chikli n’arrête pas de m’obséder. Un sentiment mêlé à beaucoup de culpabilité : comment en tant qu’enseignante de cinéma je n’ai pas évoqué dans mes cours Samama Chikli.

Eh bien, désormais dans mes programmes d’enseignement, je l’ai bien intégré tant dans «Les courants cinématographiques» que dans «Anthropologie et cinéma», son travail s’inscrivant totalement dans l’anthropologie visuelle.

On le voit bien même dans ses fictions «Zohra» et «Ain Ghezal», il trouve toujours le moyen d’évoquer un savoir-faire artisanal, des rituels, une cérémonie de mariage avec sa panoplie de traditions et coutumes.

Et sur le plan artistique, que vaut le travail de l’autodidacte Samama Chikli ?

À cette époque, où les écoles de cinéma n’existaient pas encore, personne ne pouvait faire d’études spécialisées. Chikli comme d’autres précurseurs se sont trouvés face à une fascinante invention technologique. Ils s’en sont emparés en l’adaptant chacun à son expérience de vie et à son contexte. Qui mieux que ce personnage curieux, brillant, intelligent, avide de toutes les innovations de son temps pour user du matériel inventé par les Frères Lumière ? Je considère Chikli comme un génie maîtrisant le langage cinématographique.

De plus, c’est un cinéaste orchestre, qui conçoit le récit, mais c’est sa fille Haydée, meilleure que lui en français qui écrivait les scénarios, qui tourne la manivelle, monte, réalise, projette, produit et distribue ses films.

Si on le comparait aux Frères lumière, ses contemporains, on se rendrait compte, que si les deux inventeurs du cinéma ont réalisé des films, c’est dans le but de vendre leur matériel et leurs pellicules. Alors que Chikli a fait du cinéma pour raconter des histoires. Selon cette perspective, on pourrait considérer que Chikli est beaucoup plus au cœur du métier qu’eux !

Le nom de Samama Chikli existe-t-il dans les livres d’histoire du cinéma mondial ?

Il est cité dans l’histoire de la photographie car son nom s’est beaucoup répété dans le cadre des archives militaires. Dans l’univers du cinéma, Aboubakar Sanogo, critique de cinéma et enseignant de cinéma à Ottawa, au Canada, a découvert son existence en 2015, il a d’ailleurs beaucoup milité avec Jaouida et Paul Vaughan pour que la Cinémathèque de Bologne restaure ses films.

D’autre part, Omar Khlifi a publié en 1970 son ouvrage, L’histoire du cinéma en Tunisie (1896-1970). Mais l’auteur se contredit dans ce livre, d’une part, il atteste de l’œuvre de Chikli et, d’autre part, il se présente lui-même comme le père du cinéma tunisien.

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