Accueil Culture «Aletheia», recueil de poèmes de Georges de Rivas : Une grande poésie d’un puissant effet incantatoire

«Aletheia», recueil de poèmes de Georges de Rivas : Une grande poésie d’un puissant effet incantatoire

 

Voici d’abord, pour vous donner à goûter à cette grande poésie, quelques premiers versets ouvrant le 3e chant de ce nouveau recueil du poète français de large envergure, Georges de Rivas. Des versets lumineux et qui nous révèlent sans doute son rapport dermique, viscéral et profondément lyrique, à la création poétique qui est pour lui ce qu’elle a été pour son initiateur  Orphée, purifiante et au double pouvoir magique et talismanique qui protège contre les forces du mal, contre la douleur et l’abîme…

«J’écris ici toute ma douleur muée en augures, en ce chant venu à ma lèvre. J’écris avec l’âme pure de l’enfant qui se confond avec le souffle et le cœur et je me laisse porter au gré des mots qui soufflent sur le gréement de mon âme une musique qui me vient sifflée par des sylphes gréés du vent-océan (…) Ma plume est trempée dans la brume qui entoure le navire où je chavire, ô plume d’oiseau errant en cette tempête qui fut ma vie, et mon chant est baigné par les larmes qui inondent ce monde où montent les eaux de la mer. Ne me sois pas dur, lecteur, mon chant fut puisé à la douleur et à l’abîme !» (p. 36)

Dès le saisissant titre de ce recueil à haute voltige poétique, «Aletheia», Georges de Rivas plante son étendard de poète lyrico-épique, très marqué par l’orphisme et le platonisme,  dans la terre de la mythologie grecque où la vérité, celle de l’univers, celle de l’être, celle de l’amour et de la mort, est appelée, comme ces poèmes animés d’une intense lumière intérieure, «Aléthéa». Mot philosophique qui sans ce privatif initial «a» (= «Sans») renvoie au mythique fleuve «Léthé» et à ses «eaux oublieuses» où l’âme humaine, de retour sur terre, après son séjour au monde platonicien des «idées», s’y baigne pour ne plus se souvenir des «idées vraies» et s’adapter aux valeurs du monde sensible. Monde faux que le poète se doit de purifier, d’ennoblir et de rendre plus authentique et sublime  en vertu de cette enfilade de 7 chants, fabuleux comme les sept cordes de la lyre qu’Apollon donna à Orphée. Des chants de dimensions variables et aux rythmes véhéments, incessants, et où Georges de Rivas qui semble connaître, en vrai savant,  tous les arcanes du langage, mobilise plantureusement  un lexique riche et diversifié, souvent emprunté à la mythologie ainsi qu’à la théologie et  à la rhétorique antique pour célébrer, telles des noces, l’«Aletheia». Cette énigmatique et impénétrable «Aletheia»  qui, plus on se laisse emporter  merveilleusement par  cette irrésistible crue verbale effaçant les frontières entre la poésie et la prose, entre les mots de la langue et la musique,  et balayant à dessein cette marque pausale forte qui est le point (le point à la fin des phrases et à la fin des versets), plus elle s’avère être, par-delà tous les sens philosophiques possibles qu’on appréhende ou qu’on n’appréhende pas, par-delà une lisibilité thématique délibérément floue, voire quelque peu absconse pour les profanes, une créature ou un être du langage comme souvent les idées et les thèmes chez les grands poètes tel Saint-John Perse  qui ont compris qu’il n’y a de vrai en poésie que les mots et leur effet incantatoire. Puissant effet, effet extatique, effet hypnotique,  en faveur duquel Georges de Rivas porte, à son paroxysme,  l’expression lyrique, et ce, en maniant, tel le magicien, tel l’Aède, la langue avec une superbe élégance, multipliant les exclamations et les interrogations oratoires, jouant continûment sur sa puissance sonore, mobilisant toutes ses ressources musicales : hypozeuxes (parallélismes) insistants, multiples paronomases, et partout des échos et des récurrences, des sons itérés de manière cyclique, martelés, c’est-à-dire plus précisément des assonances, des allitérations et des homéotéleutes. Car Georges de Rivas serait bien parmi ceux-là qui pensent à juste raison que la poésie a été criée pour être sonore, une forme de musique, «de la musique avant toute chose» (Verlaine).

Musicalisés au suprême degré,  les versets dans ce lyrisme épique de Georges de Rivas qu’anime un souffle presque poétique, une extase (une sortie de soi-même) à nulle autre semblable, sont longs comme des phrases périodiques, construits selon une espèce de système à rebondissements qui fait qu’ils s’appuient constamment  sur un élément verbal ou sonore pour rebondir, s’élancer de nouveau en protase, atteindre un nouvel acmé, redescendre en apodose et gagner ainsi en longueur, en musicalité et en envoûtement. La syntaxe est quelquefois désarticulée, ordonnée différemment, pour servir la grande harmonie des rythmes fougueux de ces versets «rivassiens» qui d’un chant à l’autre se poursuivent avec un égal bonheur. Claires sont ici les influences qu’a eues la poésie de Saint John Perse sur notre poète qui, à l’instar de son immense prédécesseur, rêve grand, rêve par-dessus les silhouettes fantomales de la nuit menaçante et grimpe à un sommet rarement atteint dans cette poésie de célébration faite, comme celle d’Orphée, pour «charmer les dieux et les mortels, apprivoiser les fauves et émouvoir même les êtres inanimés» (Petit Robert des Noms propres). Prêtons l’oreille :

«Et seul l’Amour t’aura ouvert le sanctuaire étoilé de la Révélation, te voici sous son charme aimantant ton âme assurée de vivre éternellement au-delà du corps et ton cœur est un autel de prières d’où s’élève l’éclat de la Rose, l’oriflamme du libre royaume de l’Esprit conquis de haute lutte par ton ami, le silence du désert qui te donne la manne oraculaire, l’or du saint langage ! Or, c’est un bleu du ciel qui vire à l’orage sur les nuées couleur d’obsidienne et tu ne te souviens plus de l’antienne qui te berçait au cours de ton enfance du chant exhalé par une mère penchée comme une fée à l’orée de ton songe. Et tu te mets seul en quête de ce sommeil précieux veillé par les anges !» (p. 51).

Dans cette  poésie s’élevant à la dignité des grands textes poétiques et écrite avec maestria par Georges de Rivas, il y a, certes, comme l’a écrit Patrick Quillier dans la postface de ce livre, de la souffrance et de la résilience devant le temps qui passe et qui laisse ses stigmates dans nos corps et nos mémoires ; (p. 96) il y a aussi  une habitation de «la douleur comme une joie sainte» (Ibidem.), avec ce masochisme particulier qui est celui des ascètes et des poètes,  mais il y a surtout une douloureuse jouissance de cet «or du Saint langage» (p. 51), de cette poétique parole passionnée, à haute intensité, étonnante au plus haut point et  enchanteresse ayant déjà suscité, avec mérite,  chez les critiques et les lecteurs,  tous les éloges. Bravo poète !

Georges de Rivas, «Aletheia», Saint-Chéron, Editions Unicité, Septembre 2022, 100 pages, ISBN 978-2-37355-769-5.

Georges de Rivas  est poète et essayiste français. Il  vit à Hyères. Inspiré par le lyrisme épique et l’orphisme, il a publié plusieurs livres dont : «Orphée au rivage d’ Evros» «Le Petit-Véhicule», «La Beauté  Eurydice», «Orphée-Eurydice-Dialogue», etc.). Invité spécial au Festival international de Poésie «Letras en La Mar» à Puerto-Vallarta , au Mexique,  il a reçu le Prix décerné par le Festival «El Caracol de Plata» en 2017.  Depuis 2016, il  organise chaque année «Le Printemps des poètes» au Château de Solliès-Pont  ( Var ).

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