Accueil Magazine La Presse L’invité | Khaled Saidi, ancien stratège du CA : «Face à la logique froide et aveugle de l’argent, le foot a abdiqué !»

L’invité | Khaled Saidi, ancien stratège du CA : «Face à la logique froide et aveugle de l’argent, le foot a abdiqué !»

 

Parmi les artisans de la légendaire «Roubaiya» (quadruplé), composée du championnat et de la Coupe de Tunisie, de la Coupe d’Afrique des clubs champions et de la Coupe afro-asiatique en 1991-1992, figure Khaled Saïdi. Le stratège du Club Africain a vu le jour le 27 avril 1970 à Tunis, et signé en 1980 sa première licence pour l’équipe Ecoles du CA. Son premier match seniors a été ESS-CA (2-1) en demi-finale retour de la coupe de Tunisie 1988, et le dernier ASM-OB (2-0) en 1996. Car il faut rappeler que, outre le club de Bab Jedid, ce pied gauche magique a également milité pour Nadi Arraoudha Al Ihsa (Arabie Saoudite) en 1994, à l’AS Marsa en 1996, et à l’AS Ariana en 1997.
International «A» de 1988 à 1991, il a, à son palmarès, trois championnats de Tunisie 1990, 1991 et 1996, une coupe de Tunisie 1991, la coupe d’Afrique des clubs champions 1991, et la coupe afro-asiatique, en plus de deux finales perdues de la coupe de Tunisie, une finale de la coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe 1990, et une finale de la coupe arabe des clubs 1988 aux Emirats.
En qualité d’entraîneur, détenteur du 2e degré, Saïdi a pris en mains l’AS Ariana et Kalaet Landloss.
Cet ancien agent de la Sfbt, converti au commerce, est marié et père de trois enfants.

Khaled Saïdi, pour ceux qui ne vous connaissent pas vraiment, à quel poste avez-vous évolué ?

Celui de régisseur. Au CA, nous étions deux à briguer une place de titulaire: Lotfi Rouissi et moi-même. Cela a contraint un temps Faouzi Benzarti à me confier le rôle de latéral gauche afin d’exploiter ma force de percussion sur le flanc. Sachant que je ne suis pas un défenseur de métier, l’un des deux axiaux ou un pivot venait couvrir ce flanc à chacune de mes projections offensives.

Quelle était votre idole ?

Tarek Dhiab. Alors que j’étais encore à mes débuts, il m’a offert une fois son maillot en signe de considération et d’encouragement.

Qui vous a fait signer au Club Africain ?

Mon frère Habib, grand buteur du CS Cheminots, coaché alors par Ahmed Mghirbi. Au quartier Borj Errais d’El Ouardia, on me surnommait Tarek Dhiab en raison d’une petite ressemblance physique, avec notamment les cheveux longs. En 1980, alors que j’étais encore «Ecole», mon frère a chargé Nejib Abada, ancien joueur du CA, de demander à l’entraîneur des jeunes, Sassi, pour me faire subir un test de recrutement.

Quel a été votre meilleur match ?

En 1989 contre le Paris-Saint Germain, en amical, et nos sorties africaines devant les Ghanéens de Hearts of Oak et les Marocains du Wydad Casa. Sans oublier notre match face aux Irakiens d’Arrachid en coupe arabe aux Emirats en 1988.

Votre meilleur souvenir ?

Bien évidemment le quadruplé.

Et le plus mauvais ?

Notre finale de coupe arabe perdue. Mais aussi les finales de coupe de Tunisie face au COT et à l’EST perdues également. Lors de cette dernière finale, disputée le…24 décembre 1989, le premier but signé par Tarek Dhiab, dès la première minute, n’aurait jamais dû être validé. Le coup franc était indirect, l’arbitre français Claude Bouillet avait le bras levé. Seulement, il se laissa abuser par la roublardise de Tarek. Cela a été à mon avis un coup de chance. Car, de la position d’où il tira ce coup franc, à environ 35 mètres des bois de Slah Fessi, près de la sortie de touche, le capitaine «sang et or» ne pouvait pas marquer. D’ailleurs, pour le vérifier, mes copains du CA convoqués en sélection et moi-même demandions souvent lors des séances d’entraînement à Tarek de tirer de cette position-là. Mais, à chaque fois, il refusait de le faire.

Quelle différence trouvez-vous entre le foot d’hier et d’aujourd’hui?

Le talent s’est tari. Face à la logique froide et aveugle de l’argent, il semble avoir abdiqué. Jadis, on jouait pour le plaisir sans trop penser à ce qu’on peut gagner matériellement. Un foot romantique et cent pour cent amateur.

Pour illustrer ce que vous avancez, pouvez-vous nous dire de combien a été votre prime du championnat 1990 par exemple ? 

Un montant de 1.750 dinars pour chaque joueur, en plus d’un dîner dans un restaurant huppé. L’entraîneur adjoint, Kamel Chebli, a reçu 500 dinars. Ce titre arrivait après dix ans de disette. Forcément, on se dit qu’on s’est payé un peu notre tête.

A votre avis, quel est le meilleur footballeur tunisien de tous les temps ?

Hamadi Agrebi, un artiste inégalable. J’ai eu l’honneur de participer à son jubilé. Je citerais également Nejib Gommidh qui continue, la soixantaine largement dépassée, de réussir des merveilles, balle au pied.

Et les meilleurs joueurs de la formation clubiste où vous avez joué?

Faouzi Rouissi et Adel Sellimi.

En 1991-1992, le Club Africain a fait sensation en remportant tous les titres possibles. A la tête de la barre technique se trouvait un jeune entraîneur totalement inconnu du public, le Roumain Ilie Balaci. Que vous a-t-il apporté au juste?

Vous dites «entraîneur totalement inconnu» ? Peut-être cela est-il vrai pour les profanes, pour le commun des sportifs tunisiens. Toutefois, les spécialistes vous diront qu’il a été international roumain plus d’une soixantaine de fois, un brillant milieu de terrain au sein du redoutable Dinamo Bucarest, entre autres, et qu’il a été à ce titre élu meilleur footballeur roumain 1981 et 1982. Mais c’est vrai: quand Balaci a débarqué en 1990 au CA, sa carrière d’entraîneur venait de commencer. Il n’avait jusque-là coaché que deux clubs roumains anonymes, Pandurii Târgu Jiu et Drobeta Turnu-Severin. Nous étions dans la continuité de l’œuvre entreprise par Faouzi Benzarti qui a posé les fondations.

Quel a été donc le mérite du Roumain ?

Le mérite de Balaci, décédé le 21 octobre 2018 à 62 ans, a consisté à créer une ambiance propice au succès. Pour vous décrire le genre, je me contenterais de dire qu’il était capable de jouer sans gêne aux cartes avec ses joueurs, et de filer une cigarette à l’un d’eux qui n’en trouvait pas. Et puis, de grands dirigeants se trouvaient là, à l’instar de Hamouda Ben Ammar. Le club ne cessait d’enfanter des champions en quantités industrielles, une vraie usine de talents: Samir Sellimi et moi-même une saison, Faouzi Rouissi puis Sabri Bouhali, Mhaissi et Lotfi Rouissi une autre fois. Un grand défenseur axial, l’Algérien Fodhil Magharia, venait de débarquer. Sami Nasri possédait la technique et la force de récupération au milieu.

A vrai dire, chaque dimanche, Balaci avait l’embarras du choix pour composer son onze rentrant. Cette équipe-là était imbattable. En championnat, elle infligeait des cartons et donnait parfois l’impression de se promener.

Ce qui n’a pas été le cas en coupe d’Afrique des clubs champions, malgré une finale plutôt facile, non ?

En finale, les Ougandais de Nakivibu Villa n’ont pas fait le poids. La saison d’avant, avec Faouzi Benzarti, nous avions déjà fait sensation en allant jusqu’en finale de la coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe perdue devant les Nigerians de BCC Lions (0-3, 1-1). Dans cette compétition-là, nous avons  disputé le match le plus difficile de notre jeune carrière africaine. En quarts de finale, nous avions affaire aux Ghanéens des Hearts Of Oak qui nous avaient fait jouer chez eux par une chaleur torride.

Une demi-heure après le coup d’envoi, Sami Nasri était expulsé. Nous avons perdu (2-0) au match aller. A El Menzah, nous avons pris notre revanche (victoire 2-0). A la 7e minute, je servais Faouzi Rouissi seul devant les buts adverses qui ouvrait le score. En fin de compte, on se qualifiait aux penalties (6-5). C’était vraiment une finale avant la lettre.

Et en coupe d’Afrique des clubs champions, quel a été votre match le plus difficile ?

Contre le Wydad Casa des Taoussi, Chouaib, Moussa Ndaw…A Casa, tout le stade nous lançait de petites  tasses de «neffa» et nous chambrait drôlement.On a perdu là-bas (1-0). Mais nous avions déjà assuré l’essentiel à l’aller sur notre pelouse en gagnant (2-0).

Cette fabuleuse génération s’est vite perdue en route. Pourquoi ?

Après le quadruplé, l’équipe de Balaci n’a pas réussi le parcours qu’elle aurait dû faire. En fait, nous aurions dû gagner davantage et demeurer longtemps ensemble. Nous formions un ensemble très jeune où les plus vieux étaient Lotfi Rouissi et Fodhil Magharia. Cet effectif se composait de Khaled Maghzaoui, Adel Rouissi, Sayed Bergaoui, Naceur Amdouni, Lotfi Mhaissi, Samir Sellimi, Sami Nasri, Mohamed Hedi Abdelhak, Sami Touati, Faouzi Rouissi, Sabri Bouhali, Adel Sellimi et moi-même.

Nous savions compenser notre inexpérience par un culot de vieux briscards, l’audace et un goût prononcé pour l’aventure. En Europe, on ne risque pas de voir un cycle aussi court que ce qui se passe chez nous. Malheureusement, cela a été notre cas. Avec le départ en 1992 de Balaci pour l’Olympique de Casa, c’était comme si le charme était rompu. Ce sentiment de plénitude, d’être nettement au-dessus du lot ne nous habitait plus.

A part Balaci, quels furent vos autres entraîneurs ?

Amor Amri, Sassi, Ali Rtima, Ahmed Bouajila, Ahmed Zitouni, Kamel Kolsi et Attouga chez les jeunes. Le Russe Kazbek Tuaev, Faouzi Benzarti, les Français Marcel Husson et Jean Sérafin, le Polonais Bernard Blaut, et un autre Roumain, Mircea Radulescu chez les seniors.

Et en sélection ?

Mahmoud Bacha, Mohamed Salah Benzarti et Jamaleddine Bouabsa avec les sélections des jeunes. Mokhtar Tlili, Anton Piechniczek et Mrad Mahjoub en sélection «A».

Un entraîneur qui vous a marqué plus que d’autres ?

André Nagy même s’il ne m’a pas entraîné. Un précurseur qui a fait pratiquer au CA un football moderne, le fameux football total rarement mis en œuvre dans notre pays. Il savait imposer une discipline de fer et refuser la moindre concession à tous les joueurs sans distinction.

Sauf à Hedi Bayari, non ?

C’est vrai. Bayari était son enfant chéri qui savait le mieux mettre en pratique sa stratégie du jeu.Je l’ai vu réussir contre le ST deux buts identiques: au premier poteau, il vient couper la trajectoire sur une balle arrêtée de Ridha Boushih. D’où le surnom dont il a été affublé: «Photocopie». C’est un talent unique.

Pourquoi vous ne vous êtes jamais réellement imposé en sélection ?

Tout simplement parce que je devais compter avec des monstres sacrés qui me barraient la route: Tarek Dhiab et Lotfi Hsoumi qui étaient tout simplement meilleurs que moi.

Parlez-nous de votre famille…

Marié depuis 1998, j’ai trois enfants : Eya, Slim, et Imène.

Comment passez-vous votre temps libre ?

Avec le directeur d’un hôtel à Gammarth, Ridha Hbaz, nous avons formé un groupe d’anciens joueurs du CA: Hedi Bayari, Nejib Ghommidh, Hassen Khalsi et moi-même à organiser des parties de sixte. Je voyage régulièrement aux Etats-Unis où j’ai un frère, Hsouna. Son enfant Aziz a été convoqué en 2016 en sélection cadets. C’est un pur produit du club américain Philadelphia Union. J’aime aussi suivre à la télé les rencontres de Barcelone, je n’en rate aucune, et les superbes duels de la NBA.

Si vous n’étiez pas footballeur, quel autre domaine auriez-vous suivi ?

Dans les affaires. D’ailleurs, aujourd’hui, je vis d’un commerce qui me prend tout mon temps.

Enfin, que vous a donné le sport ?

L’amour des gens, ce qui, avouez-le, n’est pas négligeable, loin s’en faut !

Charger plus d'articles
Charger plus par Tarak GHARBI
Charger plus dans Magazine La Presse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *