Crise de la filière laitière | Ça ne fait que commencer ?

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Malgré sa robustesse apparente, la filière lait prend l’eau. Entre sécheresse, crise Covid et guerre en Ukraine, etc. le secteur accuse les coups et les chocs exogènes.

Essoufflée, la filière est, aujourd’hui, au bout du rouleau: un cheptel en baisse, des éleveurs qui boudent une activité de plus en plus risquée (en raison des effets des changements climatiques) et un régime de fixation de prix qui bride les systèmes de production. Pourtant, il s’agit bien d’une filière clé pour l’agriculture mais aussi pour l’économie nationale. Elle contribue à hauteur de 11 % de la valeur de la production agricole totale, 25 % de la valeur de la production animale et environ 7 % de la valeur de l’industrie agro-alimentaire. C’est aussi un secteur pourvoyeur d’emplois puisqu’il compte près de 112 mille éleveurs (plus de 30 % des emplois agricoles), sans oublier les emplois générés tout au long de la chaîne de valeur, notamment par l’industrie laitière.

Est-ce conjoncturel ou structurel ?

Dans les grandes surfaces et les supermarchés, le manque de lait se fait toujours ressentir sur les étalages. Pas d’effet de surprise; avec une production laitière qui couvre 70% des besoins du marché (1,4 million de litre par jour), l’offre ne répond plus à une demande croissante. Mais ces pénuries traduisent-elles une réelle crise qui pointe ou juste une mauvaise passe dont le secteur finira par se sortir? Au cours des dernières années, la filière lait a vécu au rythme des revendications: les professionnels n’ont cessé d’appeler à la libéralisation du prix de vente du lait. C’est la solution qu’ils préconisent pour en finir avec les problèmes de rentabilité économique qui surgissent à chaque fois où le coût de production enregistre une hausse significative.

Dans son rapport de synthèse sur l’agriculture en Tunisie publié en 2019 dans le cadre du Projet d’appui à l’initiative Enpard Méditerranée, l’analyste des politiques agricoles, Houssem Eddine Chebbi,  explique que les performances réalisées par le secteur, depuis les années 90, “dissimulent en effet, de nombreuses lacunes opérationnelles et structurelles, en particulier la faible taille des élevages et le vieillissement des exploitants, une productivité limitée, une situation préoccupante en termes de santé animale, un déficit fourrager compensé par un recours excessif aux aliments concentrés, un manque de maîtrise en matière de conduite de l’élevage et de bonnes pratiques qui limitent la productivité et se traduisent par une faible qualité du lait”.

Et d’ajouter : “Si la stratégie lait a été très efficace, la situation enregistrée depuis début 2016 illustre clairement la fragilité de cette filière, avec un abandon de cheptels et une baisse de production qui menace l’approvisionnement du marché local. Cette situation et les lacunes identifiées montrent que le modèle de développement appliqué jusqu’alors a atteint ses limites. Ce modèle, basé sur un prix de soutien au producteur et des primes tout au long de la filière pour compenser le prix du lait subventionné au consommateur, n’est plus adapté pour garantir l’essor, voire le maintien de la filière laitière tunisienne. Il ne permet pas aux producteurs de se rémunérer correctement et limite la rentabilité des autres maillons de la filière”.

Autant dire que bien avant la crise Covid , la filière connaissait de véritables problèmes de rentabilité économique mais aussi de gouvernance. La guerre en Ukraine, qui a provoqué la flambée des prix des fourrages et des intrants, n’a fait qu’exacerber ces difficultés au point de mettre  le secteur à rude épreuve.  En effet, selon les données communiquées par l’Utap, les produits alimentaires pour bétail représentent 65% du coût de production du lait. Or, la majorité des matières premières utilisées pour l’alimentation animale sont importées, ce qui expose l’agriculteur-producteur aux risques de la dépréciation de la monnaie mais aussi de la variation des prix de ces matières  sur le marché international qui ont connu  une hausse vertigineuse, en 2022, suite au déclenchement du conflit russo-ukrainien.

Evolution du prix moyen de vente de l’aliment concentré pour vache laitière en dinars la tonne

La guerre en Ukraine a exacerbé les difficultés

Une enquête, qui a été réalisée, l’année dernière, par l’Iace et qui a porté sur l’impact de la guerre russo-ukrainienne sur le secteur laitier en Tunisie, a mis, en ce sens, l’accent sur le poids que fait peser le coût des fourrages sur les agriculteurs. Elle a révélé que le secteur agricole est l’un des secteurs les plus impactés par ce conflit qui  a entraîné une forte perturbation des chaînes d’importation et une hausse des coûts  de l’énergie et des céréales. Il ressort, également, de ce rapport que  la hausse des prix des fourrages  a contraint 56% des agriculteurs interrogés à vendre une partie du cheptel, pour pouvoir rentrer dans leurs frais.  Egalement, les éleveurs ont affirmé que la tarification du lait à la production ne permet pas de couvrir le coût de production qui est, actuellement, estimé à 1,8 dinar. L’enquête a, également,  révélé que les agriculteurs interrogés ont pointé un  recul des investissements dans le secteur, plus particulièrement dans les régions propices à l’élevage et que 11% d’entre eux souhaitent réduire leur capacité de production. Autant dire que les éleveurs sont de plus en plus nombreux à rendre le tablier, faisant ainsi les frais d’une conjoncture économique et financière difficile mais aussi des caprices du climat.

La flambée des prix des aliments pour bétail

L’année 2022 était l’annus horribilis pour le secteur laitier: rien que pour  les prix des matières premières, ils ont augmenté de 55% entre février et octobre, poussant ainsi les fabricants d’aliments pour bétail et des importateurs de matières premières à lancer un cri de détresse pour faire part de leurs inquiétudes quant à la continuité de leurs activités. En effet, dans un communiqué publié au mois de novembre dernier,   la Chambre syndicale nationale des fabricants d’aliments pour bétail et des importateurs de matières premières a mis en garde contre les répercussions de la poursuite du gel des prix de l’alimentation animale décidé en mai 2022, pour contenir la hausse des prix de certains produits, y compris le lait.  Elle a précisé que les pertes supportées par les industriels à cause du gel des prix de l’alimentation animale en Tunisie depuis février 2022 s’élèvent à 250 millions de dinars ; les prix de vente de ces produits étant inférieurs aux coûts de production. La Chambre a souligné que les industriels se trouvent aujourd’hui incapables de s’approvisionner en matières premières en raison des difficultés de financement.

“La production des aliments de bétail est également  menacée par la régression de 50% du rythme d’approvisionnement en tourteaux de soja produits localement et la détérioration des réserves”, ajoute-t-on dans le document. Cette hausse sans précédent des prix des fourrages   vient se greffer à un problème structurel, celui de l’alimentation pour bétail, qui connaît un déficit structurel et qui est fortement dépendant des importations. En effet, les céréales et les protéagineux importés (soja et maïs) représentent aujourd’hui 60 % de la ration alimentaire des animaux.

Quelles solutions ?

Pour remédier à toutes ces difficultés et préserver les systèmes de production, l’Utap propose d’augmenter les prix de vente de lait mais aussi de  subventionner les matières premières importées utilisées dans l’alimentation animale. “Sur le court terme,  la première solution consiste à augmenter le prix à la production de 800 millimes et de subventionner les matières premières importées de l’étranger. A moyen terme, il faut établir une stratégie nationale pour la production fourragère à l’échelle nationale et subventionner les agriculteurs pour les encourager à s’orienter vers la culture de colza, un oléagineux  important qui peut remplacer le soja.

On peut se fixer l’objectif de  250 mille hectares de colza à l’horizon de 2030. Ceci nous permettra de couvrir 40 à 50% de nos importations des sources protéiques, garantir des revenus stables pour les agriculteurs mais aussi de couvrir  70% de nos besoins en matière de production fourragère”, a fait savoir Mnawer Sghiri, lors de son intervention sur les ondes d’une chaîne radio. 

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